Poudrière humide

Lancé au pur hasard du catalogue Game Pass, ce jeu m'a accroché d'un violent uppercut de maitrise. Le premier acte de Backbone est en effet un modèle d'entrée en matière. Tout est y immersif. L'univers marié à merveille au pixel art, l'intrigue saisissante, les personnages hauts en couleurs, les mécaniques d'enquête... ces premières minutes si décisives nous plongent avec savoir-faire dans une ville dystopique peuplée d'animaux anthropomorphes, où se trame une sombre machination qu'il nous tarde de démêler.

Pourtant, jamais - je le crois - un jeu ne m'a semblé autant gâcher son potentiel. À tel point que j'en ressente le besoin de l'écrire.

Si toute la première moitié est vraiment prenante, portée par une direction artistique aux petits oignons qui respecte les grands tropes du polar noir, la machine s'essouffle hélas trop rapidement. Les mécaniques d’enquête et de farfouinage sont vite abandonnées pour ne laisser place qu'à un point & click simpliste, où l'expérience de jeu s'efface derrière la narration. Pas foncièrement un problème en réalité, puisque Backbone met l'emphase sur le développement des personnages et la mécanique de dialogues, qui laisse suggérer un impact des différents choix et des intrications. C'est malheureusement là que le jeu commence à décevoir.

Très rapidement, la narration se noie dans une multiplication des intrigues qui parait d'abord claire, avant de s'avérer à la limite de l'indigeste (sans mauvais jeu de mot, pour ceux qui ont joué) tant les créateurs s'aventurent vers des terrains alambiqués qu'ils ne maitrisent de toute évidence pas. Le choix de dévier d'une enquête terre à terre immersive, entre jeux d'influence, politique et critique sociale, vers un imbroglio caffi de charabia pseudo-scientifique et - pardonnez moi l'expression - d'une insupportable branlette philosophico-existentielle, ne prend absolument pas à mon sens. Surtout pas dans cette ambiance de film noir, qui n'est jamais transcendée par ces choix novateurs, bien au contraire.

Backbone laisse une amère sensation en bouche, comme un symbole. Ce jeu semble définitivement incomplet. À ouvrir autant de portes sans apporter de réponses convenables, on ravit un public friand de narrations disruptives et décousues, souvent présentées comme gage de maturité dans l'écriture. Ne vous y trompez pas : il n'en est rien. Non content de ne pas clore ses intrigues, Backbone se perd en circonvolutions et en survols de thèmes bien trop profonds pour les quelques petites heures qu'il nous offre. Beaucoup trop de portes ouvertes oui, laissées à l'abandon et qu'il ne nous reste plus qu'à murer, comme au 7e étage de cet appartement miteux de Westend.

Alors que le premier chapitre m'a donné l'envie irrépressible de dévorer la suite (on se comprend), toute la seconde moitié m'a parue poussive, douloureuse. Le gameplay disparait en même temps que la qualité narrative. Demeurent la belle DA, avec des musiques et des ambiances qui tapent toujours juste, le caractère attachant des différents personnages ainsi qu'un monde mystérieux qui existe par lui-même, au-delà de l'intrigue que nous suivons.

Hélas, ce très beau travail sur l'univers ne parvient pas, à mon sens, à prendre le pas sur le gâchis terrible et la déception une fois le générique de fin arrivé.