Bayonetta
7.3
Bayonetta

Jeu de Platinum Games, Hideki Kamiya et Sega (2009Xbox 360)

Lorsque j'ai écrit que j'allais recevoir Bayonetta, le dernier beat'em all de Platinium Games, afin de le tester, j'ai été étonnée de recevoir uniquement des commentaires (enthousiastes) féminins. Il faut dire que les affiches croisées dans le métro pouvaient laisser croire à un jeu illustrant parfaitement le male gaze décrit par Laura Mulvey.
Mais finalement, Bayonetta, est ce vraiment un amalgame de stéréotypes créés par et pour les hommes ? Et n'est ce que ça ?
La liste des « attributs » de Bayonetta est longue. Et pourtant, durant les 10h non stop de jeu, je ne me suis pas réellement sentie stigmatisée en tant que femme, la conclusion qui s'impose à moi est plutôt que Bayonetta est un jeu très jouissif, et délicieusement transgressif.


(Attention, certains spoilers sont utilisés pour cet article)


L'héroïne, dont le character designer (Mari Shimazaki), est une femme, semble pour l'instant faire cas unique. Des femmes dans les jeux vidéo, il y en a et il y en a eu (d'ailleurs, j'y reviendrai). Souvent magiciennes, plus rarement excellentes au combat, il semble qu'il n'y ait pas encore eu un personnage qui cumule le statut d'héroïne, de combattante hors-pair et de sex-symbol affirmé (Lara Croft, peut être ?), et semble déplacer ce genre de personnage du statut d'objet, vers le statut de sujet même du jeu...

Proche de la Magical Girl par ses transformations, faisant écho au Male Gaze et aux Pop-Idols sans vraiment s'y conformer, Bayonetta, à la manière d'une Final Girl (elle est ici la seule survivante de sa tribu), se pare d'armes souvent « masculine » (des sabres aux revolvers, en passant par une tronçonneuse gigantesque) pour perforer ses ennemis de toute part, et nous offre également deux courses épiques, où elle chevauche tour à tour une moto et un missile en enchainant les combos pour envoyer au tapis un maximum d'ennemi sans dévier de sa route...

Cependant, l'équipement de l'héroïne va bien au-delà d'un emprunt d'armes masculines, Bayonetta utilise avant tout son corps et son apparence comme une arme : revolver fixés aux talons (non sans rappeler le personnage de Rose McGowan dans Planète Terreur), chevelure polyvalente tour à tour combinaison, arme ou invocation, son personnage semble pousser au maximum tous les stéréotypes possibles pour les cristalliser en un seul personnage, ce qui, à mon sens, fait de ce dernier une performance plus qu'une personnalité. La performance est renforcée par l'ambiance du jeu, empruntant beaucoup au style gore, connu pour être lui aussi un genre surjoué et excessif : le sang gicle et les membres volent, les attaques sadiques et les apothéoses sont des shows, ce qui d'ailleurs renverse totalement le « sadisme» souvent de mise dans les slashers, ou dans certains jeux vidéo : ici, c'est l'héroïne, dont la combinaison rappelle déjà un certain penchant fetish / BDSM, qui dispose d'attaques sadiques impitoyables, contre des ennemis qui enchaînent les coups (quand ils le peuvent), sans avoir de combo particulier. Autre renversement : la nudité intervient lors d'attaques « apothéose » : ici, le joueur n'obtient pas un costume « sexy » en récompense de ses exploits, c'est l'héroïne qui l'utilise dans ses attaques, dans le but de tuer, elle me semble donc moins « soumise » à celui qui la contrôle. (Car oui, je trouve les costumes « trophées » dégradant.) Certes la nudité peu toujours être vue comme une récompense après avoir réussi des combos complexes, mais elle intervient avant tout pour éliminer l'ennemi... de manière plus qu'efficace.
Il est d'ailleurs dommage que les costumes déblocables soient aussi peu originaux et reprennent une cible très masculine, laissant de côté la dérision de mise jusqu'ici...


Les cinématiques du jeu ajoutent une dimension show-esque très importante, comme l'indique des scènes mémorables, telle la première confrontation avec Joy, ou encore la fin du jeu, véritable clip de pop-idol.

Bayonetta est dans la performance, la représentation : elle lance des regards à la caméra, cligne de l'œil en direction du joueur, et termine ses combats par une série de trois photographies immortalisant son dernier combo, souvent effectué dans un bain de sang (ou de membres, c'est au choix.).
Devil May Cry, du même Hideki Kamiya, avait déjà été considéré comme un jeu de poseur, et Bayonetta emprunte ce style pour le surpasser et fait de la pose un jeu à part entière, si ce n'est le principe même de ce jeu vidéo : les photographies lors des combats en sont déjà une preuve, de nombreuses cinématiques viennent s'y ajouter : les dialogues qui jalonnent les chapitres sont en réalité des séries d'arrêts sur image où les lèvres ne bougent pas, où les personnages posent en représentant une émotion, pouvant ainsi faire écho à d'autres formes tout aussi exagérées comme le manga, voire le roman photo.

La performance ne s'arrête pas aux combats, elle continue dans la totalité du jeu, et chaque détail semble avoir été pensé tel un accessoire, un maquillage supplémentaire du personnage : des papillons s'échappent de ses pas lorsqu'elle saute, les sucettes ont remplacé les trousses de secours, les cartes postales de fin sont accompagnées d'un baiser de rouge à lèvres...
Bayonetta se rapproche de l'esthétique Camp par ce goût des artifices, qui donne l'impression que son personnage et sa plastique ne sont pas une célébration ou une revendication d'une quelconque représentation féminine, mais plus une décoration, et c'est à mon sens ce qui permet au jeu d'assurer une certaine cohérence : il ne cherche pas à faire de Bayonetta un personnage de « femme accomplie », mais uniquement une performance, une identité à elle seule. Le scénario totalement incompréhensible est d'ailleurs un atout pour cette ambiance d'artifices, avec une histoire qui n'a ni queue ni tête, faisant des dialogues des jeux de pose sans véritable enjeu, autre que celui d'ancrer encore plus les personnages dans la représentation quasi théâtrale. D'ailleurs, l'intrigue se base pendant un long moment sur l'amnésie de l'héroïne qui ne sait pas qui elle est ni d'où elle vient. Une amnésie plutôt utile ici, puisqu'elle permet à Bayonetta de ne justifier son comportement que par le plaisir qu'elle prend à poutrer de l'archange, ce qui est assez intriguant, puisque le joueur peut facilement trouver son plaisir dans un jeu à travers la direction d'un personnage, mais ici, l'héroïne nous donne l'impression d'être celle qui apprécie le plus les combats, que le joueur la suive ou non.

L'image contrôlée et décorative que Bayonetta renvoie est également servie par une sexualité floue : malgré une surexposition de son corps, l'héroïne semble conserver des parts de silence : une attitude ambiguë autant envers Lukas qu'avec Jeanne sème le trouble, tout comme l'arrivée de Cereza, cette petite fille qui l'appelle « mummy », mais qui n'est finalement qu'un reflet d'elle-même, une Bayonetta miniature qui n'est en aucun cas le fruit d'une grossesse ou d'une quelconque relation, qui semble nous dire que son corps et son sexe ne sont que des armes.
Twist : Cereza s'avérera être le véritable nom de Bayonetta, qui nous aura servi une performance sous pseudonyme, nouvel artifice, pendant la totalité du jeu.



Autre remarque : Le premier trophée que l'on peut remporter ? « Je suis une s... Une sorcière ! » bien que l'on puisse trouver le langage sous-entendu problématique, je trouve qu'il est également intéressant de noter qu'ici, c'est le personnage lui-même qui se qualifie et s'amuse de son image, preuve d'une « conscience » de ce qu'elle renvoie, contrairement à la plupart des personnages féminins aux courbes évocatrices, qui, malgré l'évidence, n'évoquent jamais cette image : elles ne sont là que pour le regard du joueur, dans un schéma plus « voyeur » puisque le personnage reste coincé dans un corps qui n'est là que pour le plaisir du regard, au premier degré.

L'ambiance musicale n'est bien sur pas en reste, et chaque combat laisse place à une ambiance proche de la J-pop, qui semble assumer totalement cette dérision notamment provoquée par le décalage entre un combat ultra-violent et cette musique sucrée.
L'autre aspect soutenant la qualité du jeu reste évidemment le game-play, très fluide et très agréable, qui fait de Bayonetta un excellent jeu auquel on joue et rejoue, dans l'espoir de réaliser à chaque fois de nouveaux combos, plus puissants, plus étonnants, et surtout toujours plus démesurés... jusqu'à atteindre le mode apothéose.
Les décors sont eux aussi impressionnants : un mélange de steampunk et d'emprunts à diverses cultures de par le monde, qui ne fait qu'intensifier cette idée d'artifices et de décoration, bref, d'high-def rococo.

Au final, je pense sincèrement que Bayonetta ne sert pas l'image de la femme, cependant, je n'ai pas vraiment l'impression qu'elle la dessert, car on ne tente pas d'imposer ce personnage comme modèle de « femme forte » : elle semble être ailleurs, et le mot « féminin » ne semble définitivement pas suffisant pour définir Bayonetta. Ces réflexions m'ont semblé faire écho avec les théories de Judith Butler sur le genre, et ses études autour de la performance drag-queen.
Bayonetta n'est surement pas exempte de reproches, et l'on pourrait en premier lieu argumenter sur le fait que cette performance prend comme point de départ un corps qui semble être celui de la « femme » idéale dans les JV : blanche, poitrine gonflée, minceur... Cependant, il m'a semblé que cette image était ensuite utilisée pour être quelque peu détournée...
Peut être ne suis-je qu'une fan supplémentaire de série Z abreuvée à la culture nippone, totalement tombée dans le piège de Bayonetta, mais dans ce cas, ce fut avec un plaisir non dissimulé...

Dernière remarque qui m'a parue intéressante de faire, j'ai beaucoup parlé du goût de Bayonetta pour le déguisement, et cela semble être largement prolongé dans la vie réelle, via la pratique du Cosplay

****

Retrouvez ma « liste de lecture » d'articles à propos de Bayonetta, sur mon Delicious.
High Def Rococo, expression empruntée à Tiff Chow
Notes on Camp, Susan Sontag
Un petit article de Delphine Valloire, sur l'esthétique Camp
Dessiner l'idole, Comité Central in Poli n°1
Pour la Final Girl : Men, Women and Chainsaw : gender in the Modern Horror Film, Carol Clover
Pour le Male Gaze : Visual Pleasure and Narrative Cinema, Laura Mulvey
Pour la performance de genre : Judith Butler, Trouble dans le genre et Défaire le genre.
Moossye
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le 16 mai 2010

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Moossye

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