Temps de jeu : 20 heures
Mon troisième Bayonetta
Test rédigé pour Nintendo-Difference [#84]

S’il aura fallu attendre huit ans pour enfin jouer à la suite de Bayonetta 2, seuls cinq petits mois ont suffi à Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon pour succéder au troisième opus canonique. Dans ce spin-off mettant en scène les premières aventures de notre sorcière bien-aimée, exit les combats d’une profondeur et d’une richesse rarement inégalées dans le beat’em all, ainsi que la mise en scène glorieuse et over the top de ses séances de pugilat. On lui préfère ici une narration plus poussée, servie par une ambiance et une direction artistique plus posée et grand public. Un vrai spin-off donc, qui a pour but d’attirer un tout autre panel de joueurs via une porte d’entrée plus accessible, mais également de proposer un peu plus de cet univers aux amoureux de la première heure. Disponible depuis le 17 mars dernier pour près de soixante euros sur le Nintendo eShop, mais aussi en version physique, on vous dit tout ou presque sur notre ressenti dans ce test loin d’être sorcier.

Morgana de toi

Fruit d’un amour interdit entre un Sage de Lumen et une sorcière de l’Umbra, Bayonetta – ou Cereza de son vrai nom – n’a jamais eu la chance de grandir auprès des siens. Son père exilé, sa mère jetée au cachot, elle fut élevée comme une paria par ses consœurs. Moquée et mise à l’écart, la petite Cereza gardera de cette enfance troublée un lourd traumatisme ; pleurnicharde, constamment intimidée ou effrayée, on est encore loin d’une Bayonetta forte et affirmée. Héritage d’un passé peu enviable, l’apprentie sorcière continuera de faire le même rêve, celui de sauver sa mère des geôles du village, en vain. Pourtant cette fois-ci, un jeune homme vient la sauver du funeste destin qui l’attend en Enfer, tout en lui promettant un immense pouvoir capable de libérer sa maternelle. C’est sur ce pitch que le joueur, qui contrôle une Cereza frêle et dénuée de maîtrise magique, se réveille et entreprend de fouler les terres interdites de la forêt d’Avalon.

Après une introduction servant de tutoriel aux côtés de Morgana, la mère adoptive et professeure particulière de notre jeune héroïne en devenir, il est en effet temps de s’aventurer dans le Royaume des Fées, réputé pour enlever à tout jamais les innocentes âmes qui y pénètreraient. Seul un cœur pur peut d’ailleurs s’y enfoncer, majoritairement celui d’un enfant, interdisant de fait l’accès à la plupart des adultes et donc de Morgana. Cereza le sait : elle devrait faire face seule au labyrinthique, trompeur et lugubre Royaume des Fées. Seule ou presque, puisque Chouchou, la peluche confectionnée par sa mère lorsqu’elle était derrière les barreaux de sa cellule, servira de réceptacle à un démon nouveau-né et fraichement invoqué par le joueur. Avec lui, ennemis et obstacles n’auront qu’à bien se tenir ! Premier et principal objectif pour ce duo que tout oppose dans leur caractère : trouver et suivre un loup blanc, pour enfin libérer le garçon du rêve de Cereza et espérer devenir assez forte pour arracher maman des oubliettes.

Élémentaire, mon cher Chouchou

Un Joy-Con dans chaque main ou à l’aide d’un stick dédié, le binôme se contrôle de manière asymétrique : la partie gauche est dédiée à notre jeune héroïne, tandis que la partie droite permet de manipuler Chouchou, qu’il soit sous sa forme de peluche ou de démon. Qu’il s’agisse des combats ou des phases d’exploration, le joueur pourra alterner entre ces deux formes autant qu’il le souhaite, sans aucune contrepartie. Dans la nature, Cereza peut dénicher des ressources servant à confectionner des potions aux effets variés (soins, défense accrue, régénération plus rapide de la magie ou encore onde de choc), mais aussi des trésors et autres mécanismes servant à progresser dans les chapitres du jeu. Chouchou lui, montera en puissance lors des moments clés de l’aventure, représentés par l’obtention d’un nouveau pouvoir élémentaire. Au nombre de quatre, symbolisés par le bois, les flammes, l’eau et la roche, ils permettront au démon pelucheux d’éteindre des feux de forêt ou de se balader sur des lacs, d’ouvrir de nouveaux chemins jusqu’alors bloqués par des ronces glacées ou des éboulements, et ainsi de suite.

Prenant la forme d’une boucle à travers ses diverses régions, le titre invite les joueurs à revisiter Avalon de fond en comble une fois les quatre éléments récupérés. Une forme de backtracking bienvenue, tant le level design se révèle globalement réussi. Particulièrement alambiqué, et donc respectueux de cette idée de forêt labyrinthique, le Royaume des Fées demandera quelques heures de plus pour être vidé de ses secrets et de ses quêtes annexes. En effet, en plus de sa quête principale, le joueur devra secourir des Wisps et nettoyer des tír na nÓg par dizaines. Les premiers sont des petits personnages officiant sous forme de fantômes d’enfants, tandis que les seconds correspondent plus ou moins à des mini-donjons, à la manière d’un sanctuaire de The Legend of Zelda : Breath of the Wild. On se permet ici la comparaison, tant le concept, l’ambiance, les objectifs et la petite récompense similaire à un fragment de cœur y sont confondantes de ressemblance. Ce n’est pas non plus le léger petit jingle joué au piano à l’ouverture d’un coffre qui nous fera penser le contraire.

Cereza, l'apprentie sorcière

De manière générale, Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon se présente presque comme un Zelda-like, empruntant à la fois à Ōkami, mais aussi et bien plus logiquement aux The Legend of Zelda 2D. Après avoir récupéré cinq Pétales de vitalité, une fleur de vie complète se forme et s’ajoute aux deux de base ; des fleurs complètes sont également octroyées lorsque le joueur parvient à se défaire d’un boss majeur au cours de l’aventure. Lorsque celles-ci sont vidées de leurs pétales, c’est la défaite. Encore faut-il y arriver, le jeu étant particulièrement généreux sur les manières de se soigner complètement, tout en faisant preuve d’une certaine facilité dans son équilibrage général ; mieux encore, Chouchou ne disparait pas lorsqu’il tombe au combat, mais revient sous forme de peluche que le joueur doit s’empresser de ramasser. Toujours est-il que les tír na nÓg, s’ils sont intéressants et variés tout au long ou presque de l’aventure, tendent à se répéter un peu trop souvent sur la fin du scénario. Enchaînant les épreuves de force à base d’arènes, il tend malheureusement à oublier celles faisant appel à de la réflexion ou de la plateforme.

En plus des Pétales de vitalité, Cereza pourra également mettre la main sur deux monnaies importantes pour elle et son démon : les dragées d’Avalon pour Chouchou et les roses d’onyx pour elle-même. Ces deux devises sont à échanger dans les camps de repos, chaque région en possédant un. Là-bas, en plus d’y retrouver un feu de camp pour sauvegarder, concocter les fameuses potions et la possibilité de se téléporter d’une région à une autre (uniquement lorsque la forêt a été visitée une première fois), on y trouve aussi un miroir donnant accès aux arbres de compétences du binôme. Prenant littéralement la forme d’arbres, ils permettent d’améliorer passivement les capacités déjà connues, mais aussi d’ajouter des coups supplémentaires à un éventail certes léger, mais qui tend à se complexifier assez rapidement. Chouchou pourra ainsi charger une attaque puissante en plus de donner un coup ultime après cette dernière, tandis que Cereza pourra effectuer une roulade d’esquive ou régénérer plus rapidement sa magie lors d’une entrave.

Jeanne, au secours !

Si Chouchou reste l’arme principale lors des phases de combat, notamment pour éliminer les monstres ou leur retirer leur bouclier élémentaire à l’aide du bon pouvoir, Cereza n’en demeure pas moins importante. S’il est en effet possible de se passer d’elle tout le long d’un affrontement, la faire participer aux batailles apporte un gain de temps et une efficacité considérable, notamment contre les ennemis les plus coriaces. Capable de ralentir et d’enraciner ses vis-à-vis, elle offre à son partenaire la possibilité d’effectuer plusieurs combos sans repousser le monstre ciblé à la fin d’un de ceux-ci. Chouchou peut également se déchainer plus facilement sur son ennemi principal, sans être dérangé par les autres Fées, alors entravées par Cereza, et donc momentanément inoffensives. Toutefois, si l’idée parait simple sur le papier, c’est là que réside la plus grande difficulté du titre : contrôler deux personnages en même temps face à une horde d’ennemis, devoir esquiver avec l’un et attaquer avec l’autre, avant de revenir sur Cereza pour entraver une cible tandis que Chouchou doit contrer une attaque à distance, on retrouve bien là les mécaniques complexes de PlatinumGames, pour le meilleur comme pour le pire.

Là où l’exploration et les énigmes restent faciles d’accès voire carrément sommaires, les phases de combats peuvent représenter une certaine difficulté pour les plus néophytes ou les moins doués. Très mécaniques, surtout sur la fin de l’aventure et face aux plus gros boss du titre, ils demanderont un certain sens de l’exécution, de la planification et de la coordination. Le jeu aurait d’ailleurs pu tomber des mains des moins patients, mais c’était sans compter sur de nombreuses aides liées à la difficulté générale du titre. Il est en effet possible de rendre les ennemis moins agressifs ou plus faibles dans leur constitution, de réduire les dégâts subis par les coups adverses ou encore d’automatiser les Pulsations de Cereza (une utilisation spécifique de la magie pour modifier l’environnement à travers un simili-jeu de rythme). En ligne droite, il faut compter plus ou moins quinze heures pour assister à la conclusion de l’histoire. Des challenges alternatifs dans les tír na nÓg, une difficulté supplémentaire et la possibilité de jouer un scénario bonus de moins d’une heure avec Jeanne en tant qu’héroïne permettront d’allonger une durée de vie déjà bien dosée.

Celtique, mais pas sceptique

Finalement, là où Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon brille le plus et sans contestation aucune, c’est davantage du côté de son enrobage visuel et sonore. Doté d’un sound design de haute volée, le titre se pare également d’une bande-son de qualité, laquelle mêle reprises de thèmes déjà existants au sein de la série, mais aussi de nouvelles compositions. Plus légère qu’à l’accoutumée, elle accompagne à merveille une direction artistique lorgnant du côté du conte illustré, façon aquarelle. C’est doux, féérique et nimbé de mystères, mais on préfère toutefois prévenir qu’il ne s’agit pas d’un titre à mettre entre toutes les mains. Le PEGI 12 n’a pas été choisi par hasard, en attestent plusieurs scènes effleurant le domaine certes léger, mais bien réel, de l’horreur. Même le lore du jeu, plutôt explicite, narre la difficile vie des Wisps, ces âmes errantes d’enfants que les Fées s’amusent régulièrement à torturer. En allant plus loin, certaines séquences usant d’altérations visuelles comme des déformations grotesques ou la représentation de portails menant vers l’Enfer, le tout accompagné par des thèmes angoissants, peuvent perdre les plus jeunes.

C’est là un questionnement de notre part : d’un côté, le titre fait tout pour ouvrir la franchise au plus grand nombre, mais de l’autre, certaines mécaniques de gameplay un poil complexes ou une narration parfois trop glauque tendent à l’en empêcher. Il n’empêche que le récit global reste suffisamment intéressant pour le suivre jusqu’à sa conclusion, menant le joueur dans des séquences parfois épiques, parfois touchantes. Rien d’incroyable non, mais le tout est servi par une localisation de très bonne facture, laquelle aide à se plonger sans mal dans cet univers onirique, sinon lugubre. La relation Cereza-Chouchou fonctionne à merveille et même les personnages secondaires comme Morgana parviennent à marquer le joueur. Toutefois, impossible de ne pas se montrer quelque peu gêné par le prix demandé à l’achat du titre. Le scope du jeu laisse un goût de jeu indé dopé (ce qui ne nous dérange aucunement), mais lequel serait officiellement facturé soixante euros, soit le même prix qu’un Bayonetta 3 autrement plus ambitieux dans ce qu’il propose, tant en termes de technique que de contenu.

Conclusion

Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon est un excellent spin-off, et plus largement un très bon jeu. Bien qu'un poil prévisible dans sa structure et répétitif dans son game design, le titre de PlatinumGames propose une aventure charmante et agréable à parcourir dans sa large majorité. Doté d'un bien bel écrin, aussi réussi sur le pan sonore que visuel (en dépit d'un mode portable moins convaincant techniquement avec son aliasing assez prononcé), sans jamais sourciller du point de vue technique, ni même souffrir d'un quelconque bug bloquant, le jeu réussit sa mission de départ : le néophyte, convaincu et enchanté par l'univers proposé, s'empressera probablement de se plonger dans la série principale pour y découvrir les aventures d'une Cereza devenue Bayonetta. Quant aux amoureux de la franchise, peut-être espèrent-ils comme nous de nouveaux spin-off aussi bons, mais explorant d'autres genres, personnages ou mythologies, à l'instar de cette fabuleuse représentation des légendes celtiques. Adapté à une audience plus large que la trilogie originale, mais pas forcément tout public, on s'étonne tout de même que le jeu – pensé pour contrôler deux personnages – ne propose pas de mode coopération. Ça aurait été la cerise sur le gâteau. Ça, et un prix moins élevé, aussi.

Créée

le 25 mars 2023

Critique lue 95 fois

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Kalimari

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