Ce n'est pas l'homme qui prend la mer...
Après toutes ces années, je m'adonne enfin à Bioshock. Peu importe: les bons jeux sont éternels. Si la technique générale du titre qui nous occupe est assez dépassée, en 2012, elle est néanmoins largement compensée par l'incroyable design. Avec Bioshock, je voulais m'enfoncer dans les ténèbres de l'océan, sentir palpiter le coeur de Poséidon au sein d'une ville brisée, un rêve englouti par la terreur et la folie... et c'est bien ce que j'ai eu. Toutefois, mon enthousiasme pour la puissance artistique du jeu ne me fera pas oublier les défauts bien réels de son gameplay. Suivez-moi dans les abysses...
Les premières heures sont annonciatrices d'une oeuvre mémorable: un tout nouvel univers qui donne le vertige et des possibilités de gameplay qui semblent presque trop nombreuses ! Je suis perdu. Ô joie ! Peu à peu, j'apprivoise la ville sous-marine qui m'ouvre ses bras, Rapture. Rapture est à la fois vide et grouillante d'ennemis. Personne ne me veut du bien. Seul contre tous, je connais ça. Les quelques personnes plus ou moins saines d'esprit encore vivantes ne cessent de me donner des ordres. Je les accomplis, récoltant au passage des dizaines d'enregistrements qui me dévoilent le riche background de la ville...
Le premier petit souci de Bioshock, c'est que, finalement, le scénario (soit l'aventure que vous vivez au présent) est assez mince. Vous êtes muet (grand classique du jeu qui se veut immersif) et votre corps n'est pas modélisé, mis à part les bras. Vous êtes donc une caméra à roulette armée de faux bras en plastique télécommandée à distance. Difficile de ressentir de l'empathie pour un héros pareil, amorphe, inexistant, vide. Heureusement, Bioshock n'est pas un jeu comme les autres: ce qui apparaissait comme une faiblesse devient un élément de scénario intelligent et assez surprenant. Le dernier tiers de l'histoire nous place donc au sein d'une réflexion comme il ne peut y en avoir que dans le jeu vidéo, un questionnement sur le principe de liberté, du joueur, bien sûr, mais aussi de l'homme ou de la femme derrière la manette.
Cependant, cette excellente idée conceptuelle n'occulte pas le fait que le scénario est presque inexistant. Les objectifs sont typiques des jeux d'aventures les moins inspirés à base de "Va chercher tel produit. Ho zut ! Une dose n'est pas suffisante, va en chercher une autre !", "La porte est bloquée, va chercher la console capable de l'ouvrir", "Telle arme n'est pas complète, va chercher ses composants judicieusement éparpillés un peu partout", "Tu vois la baballe ? Va la chercher !", etc. La fin est à l'avenant, brusque, laissant un arrière-goût d'inachevé dans la bouche. Toute la force de Bioschock réside donc dans le background et le concept d'exploration: Rapture est immense et magnifique, hantée de souvenirs et de fantômes inassouvis. De sombres lumières dévoilent les trésors architecturaux d'une dystopie construite durant les années 50 tandis que des pans entiers d'obscurité dissimulent des secrets qu'il appartient au joueur curieux de découvrir.
Le gameplay est riche... mais répétitif. Pirater les différents systèmes de sécurité et autres distributeurs de marchandises devient une activité aussi jouissive qu'un travail à la chaine dans une usine de boites en carton. Les gunfights, un peu molles, sont très faciles à affronter mais se complexifient énormément si vous essayer de découvrir toutes les combinaisons possibles entre vos armes et vos plasmides (l'équivalent génétique de "pouvoirs magiques"). Les combats contre les sous-boss que sont les Protecteurs, par contre, sont plutôt mal gérés. Incroyablement coriaces au début du jeu, ils deviennent beaucoup moins problématiques quand vous trouvez des armes de destruction massive. Par la suite, les richesses et les munitions ne manquant jamais, tout devient un jeu d'enfant. Que vous en chiez au début pour les vaincre ou que vous les abattiez en quelques secondes, la difficulté des combats avec les Protecteurs est tout simplement mal réglée. Et comme ces espèces de grands scaphandriers pullulent dans le jeu, il n'est pas impossible que vous soupiriez d'ennui à plusieurs reprises.
Pétri de répétitivité et d'une certaine dose de clichés, Bioshock est avant tout un jeu de découverte, un trip qui ne se vit pleinement qu'une fois mais qui regorge de beautés et de terreurs, de désespoir et d'amour. Si le chemin est parfois un peu laborieux, il mérite amplement d'être parcouru, surtout pour les joueurs sensibles à une véritable vision dans le jeu vidéo, encore trop rare de nos jours. Je ne me lancerai pas dans le deuxième opus, trop semblable pour m'apporter une quelconque satisfaction mais j'attends impatiemment le troisième épisode, apparemment doté de la même force créative mais bien plus fun et plus riche au niveau des interactions entre les personnages. C'est tout ce que j'attendais...