Blasphebof
Comme beaucoup pourront le signaler, le jeu se situe entre Dark Souls, Hollow Knight et Salt and Sanctuary. Pour moi, il s'en inspire plus qu'il ne les rejoint en terme de qualité. J'ai trouvé...
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le 19 sept. 2019
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Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Revenir sur Blasphemous, du studio The Game Kitchen (The Last Door), c’est essayer de comprendre ce qui le rend si fascinant, alors que son gameplay, inspiré de Castlevania et d’un soupçon de « Dark Souls » pour sa difficulté relevée, se contente d’être globalement fonctionnel. Notre hypothèse, c’est qu’il l’emporte par sa forme grandiose plus que par son fond ludique, une forme qui nous immerge dans un monde de signes perturbants et de visions cauchemardesques, dans l’un des plus beaux projets en pixel-art de ces dernières années.
ON N’EST PAS VENU ICI POUR SOUFFRIR, OKAY ?
Prévenons tout de même d’emblée : il faudra se munir d’une certaine dose de patience pour braver les rigidités du gameplay de Blasphemous, volontairement bloqué au début des années 90, méconnaissant trente ans de progrès en game-design. Ses phases de plateformes se jouent ainsi au pixel près et n’admettent aucune erreur, quand la plupart des jeux récents ont appris à « tricher » en notre faveur – c’est devenu la nouvelle norme. Il faut aussi accepter les nombreuses morts instantanées qui ne manquent pas de nous cueillir lors des inévitables chutes dans les gouffres ou sur les pics, avec retour express au dernier point de sauvegarde, parfois à plus de cinq tableaux de distance (il vaut mieux ne pas être allergique aux allers-retours).
Ces sanctions, on les endure surtout les deux premières heures du jeu, le temps de s’approprier les mouvements de notre personnage et les vilains tours qui lui sont réservés, comme ce fâcheux recul qu’il subit lorsqu’il reçoit un coup puissant, cause de bien des chutes involontaires. La difficulté pique également sur les boss les plus ardus, où la moindre erreur de positionnement se paye cash : les retours au point de sauvegarde peuvent alors être vécus comme une punition, en l’absence de remplissage par défaut de la barre de mana (qui pourtant se révèle bien utile contre les boss) et dans l’impossibilité de passer les dialogues à l’amorce des combats.
La plupart du temps cependant, le challenge est bien dosé : l’éloignement des points de sauvegardes place la découverte des zones sous haute tension, nous forçant à progresser pas à pas, totalement concentré sur chaque affrontement pour éviter l’erreur fatale. De ces moments naît, forcément, un sentiment de mérite à la mesure des efforts consenti, ainsi qu’une grande satisfaction à l’ouverture d’un raccourci : ces derniers, abondants, sont le signe d’un level design pensé comme un tout cohérent, dont les parties sont intelligemment connectées, et qui sait en outre faire varier les épreuves entre tableaux horizontaux plutôt dédiés aux combats, et salles verticales plus propices aux phases platefomesques. A quelques rares moments près – le trop hardcore Cimetière des Cimes vers le début, que l’on a été ravis de quitter -, l’exploration est un vrai plaisir, et ce sentiment ne fait que se renforcer tout au long du jeu.
Quant au combat, il est généralement fonctionnel et ne fait pas de chichi : sa palette d’action reste simple, et nous est donnée dans son entièreté dès le départ (seuls quelques coups spéciaux restent à débloquer). Outre la frappe simple à l’épée, notre personnage peut parer (sur le bon tempo), glisser pour esquiver, ou bien sauter par dessus certains coups, ce qui donne trois réponses possibles aux attaques adverses, à utiliser sur le mode du pierre-papier-ciseau : à chaque ennemi correspond une réponse idéale, que l’on découvre par l’expérience. A noter tout de même, les combats de boss opposent une vraie résistance qui ne peut être surmontée qu’en apprenant leur schémas d’attaque par cœur – le dernier boss, notamment, n’a eu de cesse de punir notre impatience dans sa deuxième phase infernale, qui nous a fait frôler le rage quit -.
DE TELLES VISIONS À NOUS MONTRER
Mais Blasphemous est moins affaire de gameplay (fonctionnel mais sans éclat) que de style. Et si l’on accepte ces rudesses, c’est que son monde est fascinant à explorer, avec ses cathédrales en pierres brunes, son village touché par la lèpre et son couvent perdu au sommet des montagnes, décors figurés par de beaux arrières-plans dans une palette chromatique gris-brun, aux couleurs de la pierre, de la terre et des cadavres, relevées de rouge sang. Très inspirée, son imagerie gore et morbide reprend à son compte une violente iconographie catholique, et notamment le dolorisme, doctrine qui exhorte à « souffrir pour expier ses péchés », prise ici au pied de la lettre par des modèles et animations qui l’illustrent jusqu’au malaise.
Florilège : des condamnés portent la roue qui a servi à les supplicier, des pénitents se flagellent au sang, des martyrs s’avancent le corps coupé en deux de la tête au tronc, et des nonnes sadiques nous frappent du corps de ceux qu’elles viennent de torturer. Nos alliés, il faut le dire, ne sont pas beaucoup plus rassurants, à l’image de cette femme plantée de six épées, figée dans une moue de souffrance telle une sainte en plein calvaire. Quant à notre personnage, on le découvre allongé sur une pile de cadavres, lui même masqué d’un casque de torture qu’on imagine clouté de l’intérieur. Le jeu tente bien de nous faire croire qu’il s’agit d’une sorte de héros, se levant pour défier le règne de la souffrance, au nom trompeur de « Miracle » ; mais on sent bien que cette interprétation défaille, et l’on peine à s’accrocher à quoi que ce soit sinon à l’idée qu’il s’agit là d’un enfer, peut-être de son enfer à lui, et que sa mission est vouée à l’échec comme Sisyphe avec son rocher.
Et puis il y a les boss, figures tutélaires d’un clergé dévoyé qui semble régner sur cet enfer, et qui tiennent, tout simplement, du chef d’oeuvre de l’animation en pixel-art : on pense à Melquiades, cadavre géant d’un archevêque dont la position allongée laisse penser qu’on vient tout juste de l’extraire de son tombeau ; vêtu de ses habits mortuaires et coiffé d’une couronne d’or incroyablement ouvragée, il est porté à bout de bras par ses dévots, dans un tableau proprement sidérant. Et comment oublier cette Dame du Visage Calciné dont la face immense, fondue par de l’huile bouillante, surgit de l’obscurité pour nous épier de ses yeux tristes et coulants dans une scène où la précision de l’animation laisse pantois ? Ces moments, semblables à des hallucinations éveillées, sont si marquants, si étranges et singuliers, qu’ils suffisent presque à eux seuls à motiver la poursuite de l’aventure, juste pour voir quelles visions folles nous réserve la suite, juste pour prolonger l’immersion dans cet enfer de pixel aussi beau que dérangeant.
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Créée
le 22 avr. 2020
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