Il y a, à l’heure de boucler cette trilogie espagnole, le curieux sentiment que Mercury Steam a tenté de faire ressentir au joueur toute la détresse de son héros maudit Gabriel Belmont. Difficile de ne pas se sentir trahi et de ne pas éprouver une profonde amertume devant cet opus de conclusion. Lords of shadow 2 n’est pas un mauvais titre, on en est même assez loin. Il a cependant un double tort. Sa brillante ascendance lui broie les épaules et il gâche avec des choix discutables un potentiel manifeste qui émerge régulièrement, exacerbant les regrets.

Le spoiler est aujourd’hui frappé de prescription. Abandonné par le Dieu auquel il avait tant donné et tant sacrifié, Gabriel s’est tourné vers les ténèbres, devenant le Prince de la Nuit Dracula au terme du premier Lords of Shadow. Un final tonitruant qui dévoilait aussi le cadre de cette suite : un univers contemporain qui a depuis 2010 alimenté les fantasmes et les craintes.

Le temps a fait son oeuvre : des siècles d’aigreur et de colère ont eu raison de la puissance du vampire, qui se traîne misérablement comme une goule décharnée en sortant de son cercueil et n’aspire plus qu’au repos éternel. Une doléance que seul ce grand traître de Zobek semble en mesure de satisfaire. Sous conditions bien sûr. Satan prépare son retour, et le revers qu’il a subi voilà mille ans a attisé sa haine. Le pacte est donc scellé : contrecarrer ses plans et gagner le droit de mourir. D’un naturel facétieux, le maître des Enfers a choisi pour sa réapparition la ville aujourd’hui bâtie sur les fondations du Castlevania, le légendaire château de Dracula.

Lords of Shadow 2 n’est pourtant pas qu’une chasse au démon. Il est aussi la quête d’une paix intérieure et d’un pardon bien difficile à obtenir : celui qu’on s’accorde à soi-même. Sur ce second point, pourtant facilement casse-gueule, Lords of Shadow 2 fait preuve d’une retenue et d’une pudeur dans l’écriture qui l’honorent. Plongé dans le souvenir de son château à l’apogée de sa puissance, Dracula regagne ses pouvoirs et se confronte à ses démons intérieurs, au sens littéral du terme. Au milieu de décors grandioses (et bien aliasés...), écrasé par la majesté des lieux, le joueur retrouve sporadiquement la poésie macabre qui habitait le premier volet. Il y a bien quelques passages dont la pertinence nous échappe, à l’image de ce cache-cache avec un boss qu’on affrontera deux minutes plus tard, mais l’ensemble se tient bien. De bons moments et l’assurance que le studio espagnol avait à l’évidence les clefs d’une incontestable réussite. La gueule de bois au réveil n’en est que plus intense.

Car l’aventure ne saurait être qu’un songe cauchemardesque, et les suppliques des habitants du Castlevania lorsqu’on les abandonne pour revenir au réel sont l’écho de celles du fan qui serait bien resté lui aussi. A la poursuite des séides de Satan, on arpente un univers d’un seul tenant, vaste et tortueux, revenant régulièrement sur nos pas au gré des capacités débloquées pour trouver de nouveaux passages, parfois très bien dissimulés. Une structure de Metroidvania classique où on alterne les combats et les séquences de plate-forme dirigistes, façon Uncharted.

L’adage veut qu’on n’ait qu’une seule occasion de faire une bonne première impression, et sur ce point LoS2 s’étale dans les grandes largeurs. Une fois le très “god of warien” prologue avalé, et le premier boss (très classe) vaporisé, le début du jeu est ce qu’on appellera pudiquement une purge qui cristallise tout ce qu’on aurait aimé ne pas voir. On se retrouve catapulté dans une sorte de complexe pharmaceutique industriel, condamné à visiter des couloirs aseptisés, à emprunter des sas de décontamination, et à se transformer en rat (WTF ?) pour aller mordiller du câble au fond d’un conduit de ventilation. Aux environnements hors-sujet ne répond qu’une progression sous forme de pseudo-phases d’infiltration censées traduire la grande faiblesse initiale du héros. On parlera plutôt de mini-énigmes punitives, puisqu’il n’y a qu’une seule solution possible et que tout faux-pas signe votre arrêt de mort et le retour au précédent checkpoint. Très limité dans ses options, votre glorieux prince balance des nuées de chauve-souris pour distraire de gros golgoths apparemment indestructibles, et prend le contrôle de leur esprit pour enclencher des scanners rétiniens. Oui, vous êtes dans un Castlevania, et le mec coincé dans sa gaine de ventilation est supposément l’un des personnages les plus charismatiques de la littérature fantastique. J’ai beau être matinal, j’ai mal.

On appréciera en plus la “cohérence” du titre, qui justifie ces séquences par votre condition de vampire cacochyme fixant ses canines au polident en début d’épopée, mais qui vous en balance encore une 12 heures plus tard alors que vous êtes redevenu une impitoyable machine à tuer. Bravo...

Soyons néanmoins honnêtes. Ces phases mises bout à bout n’occupent pas plus d’une heure de jeu et il en faut une quinzaine pour boucler l’aventure. On sera en revanche plus circonspect sur la qualité globale des environnements, qui savent heureusement revenir à une architecture plus gothique par la suite, mais ne s’affranchissent jamais d’une chaufferie bien glauque ou d’un parking bien pourri pour casser l’ambiance. Difficile donc de s’enthousiasmer et de retrouver le ton crépusculaire qui fait le charme des séquences jouées dans le souvenir de votre château. Il y a bien des zones et des panoramas saisissants, mais l’extase est trop syncopée pour opérer à plein.

On sent d’ailleurs que les développeurs ont bien compris que quelque chose ne fonctionnait pas dans ce grand barnum horrifico-contemporain. Toute la partie qui s’y déroule paraît forcée et oscille entre grandiloquence et effets de manche pas toujours adroits. Que dire de ce bestiaire iconoclaste allant du démon très réussi au mécha totalement égaré dans un contexte où il n’a pas sa place ? Comment réagir face à des protagonistes principaux à l’emphase boursouflée, tous titulaires d’un triple doctorat latin/ pyrotechnie/ boule à facettes ? Un représentant d’Activision pourrait-il venir récupérer la séquence du train et la sortir d’un titre où elle n’a rien à faire ? Quelqu’un pourrait-il dire à Satan qu’il a de tout petits testicules après s’être injecté des anabolisants pendant un millénaire ? Coincé sur le fil qui sépare le spectaculaire légitime du mauvais goût manifeste, LoS 2 penche dangereusement du pire côté.

Tout ceci est fort regrettable car dans ses mécaniques de jeu, le titre est toujours très convaincant (à l’exception de l’infiltration donc). Il reprend largement les bases du glorieux ancêtre, ne s’autorisant que quelques aménagements bien vus. Le fouet/couteau suisse n’est plus désormais qu’une arme d’alignement “neutre”. On gagne en compensation une épée faible mais rendant de la vie à chaque coup porté, et une paire de griffes très puissantes fracassant les armures et les boucliers. L’utilisation de ces deux engins de mort nécessite de puiser dans leurs jauges de magie respectives, qu’on remplit en combattant de façon efficace avec le fouet pour faire grimper une jauge de concentration. Une fois pleine, les ennemis libèrent des orbes qui alimenteront lesdites jauges. Un équilibre bien pensé et qui rend le jeu nettement plus technique que ce qu’un feeling très proche des aventures de Kratos laisse supposer de prime abord.

Sans être très compliquées (même en difficile), les rixes de LoS2 se jouent sur un rythme assez lent et demandent un certain sang-froid. Les adversaires, agressifs, ont des patterns plus riches que la moyenne des beat’em all, travaillent en groupe et peuvent lancer des assauts coordonnés. La maîtrise de la parade et surtout du contre (en gardant juste avant que l’attaque ne vous atteigne) sont indispensables pour ne pas se faire massacrer de façon humiliante. On y associera l’esquive, très sollicitée face au nombreux “imparables” que les ennemis ne manqueront pas d’exploiter.

Pour répliquer, on puise évidemment dans le très large panel d’attaques à disposition pour chaque arme. Chacune possède son arbre de maîtrise, qu’on débloque petit à petit à grands coups d’expérience. Chaque technique progresse à l’aune de sa fréquence d’utilisation. Un coup parfaitement assimilé peut alors être “tranféré” à la puissance globale de l’arme. Simple, efficace, sans fautes.

On tirera également un coup de chapeau aux très nombreux boss croisés, qui associent régulièrement un design génial à une résistance convaincante. Pourquoi diable ne pas avoir étendu cette belle combinaison à l’intégralité du bestiaire ? Le mystère reste entier…

Lords of Shadow 2 est en fait plus décevant pour ce qu’il laisse entrevoir que pour ce qu’il est réellement. Constater qu’il aurait pu (et du) être bien meilleur est éminemment frustrant. A l’image de son dénouement souffreteux, il donne le sentiment de ne pas trop savoir quoi raconter, et ferait presque office d’épisode de transition si Mercury Steam n’avait pas annoncé clore ici sa contribution à la saga. Un jeu un peu vain donc, redondance essoufflée du premier volet alors qu’il détenait pourtant dans la dimension tragique de son héros les germes d’un bien meilleur traitement. Clairement pas à la hauteur du premier opus, mais pas aussi calamiteux que certains veulent bien le dire.
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le 17 mars 2014

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