Nerfs is over
Catherine, c'est l'histoire d'un jeu qui va mettre vos nerfs à rude épreuve. Vous incarnez le rôle de Vincent, presque trentenaire et légèrement pilier de bar qui va devoir faire un choix difficile...
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le 23 sept. 2011
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En 2011 sortait Catherine, jeu à la médiatisation énigmatique, teinté d’un érotisme assumé mais présenté comme un jeu « puzzle ». L’éditeur, Atlus est tout de même un gage de confiance, et des membres des équipes de Persona semblent aussi avoir lézardés aussi sur l’œuvre. Le résultat est unique à plusieurs niveaux, et c’est avec enthousiasme que j’ai découvert ce météore.
Dans ce qui ressemble à un quartier d’une ville nippone, Vincent, un homme de 32 ans, est en couple avec Katherine une femme sérieuse, qui lui demande de se prendre en main, et surtout qu’il s’investisse davantage dans leur couple. Il semble effectivement anxieux, très indécis et n’assumant presque jamais ses avis ou pensées, cette relation est démesurée par rapport à ses attentes et ses désirs. Un soir, alors qu’il boit des coups au Stray Sheep, le bar où il va avec ses amis un peu trop souvent, Vincent rencontre Catherine, une jeune femme blonde entreprenante et qui correspond parfaitement aux goûts de notre brunet, tombant sous le charme mais tentant de rester distant, il rentre chez lui. À son réveil, il trouvera Catherine, allongée à ses côtés. Cela arrivera à 3 reprises sans qu’il ne parvienne à se souvenir de ce qu’il s’est précisément passé. Malgré ses ellipses, il peinera, hésitera à se séparer d’elle. Katherine quant à elle, voit bien qu’il est nettement plus stressé que d’habitude, celui-ci n’aura de cesse de prétendre que le travail accapare toute sa vie, et il devra alors composer avec cette situation adultérine, mais aussi avec ses cauchemars.
En effet, le jeu se déroule sur 9 jours, et à chaque nuit, dans ses rêves épouvantables, Vincent se retrouve dans un purgatoire qui consiste à grimper une montagne de blocs. Il arbore alors 2 cornes de moutons et croisera des moutons anthropomorphes avec qui il discutera. Personne ne semble bien conscient de ce qu’ils font ici. Rapidement, il comprendra que ces personnes-là existent bien et qu’il ne les a pas inventées. Lors du deuxième jour après son premier cauchemar, en regardant le JT au bar, il apprend que des personnes sont décédées lors de la nuit, sans véritable explication, avec une légende urbaine qui vient elle en apporter une : ceux qui trompent leurs compagnes sont maudits.
C’est ainsi que le jeu aborde très directement les notions d’amour et de couple, de fidélité, de culpabilité aussi, le rôle des relations amicales. « Catherine » élabore une idée pertinente sur la construction et l’intérêt de nos rêves dans notre vie, reprenant la théorie qu’ils sont faits pour nous préparer aux épreuves, ce qui est palpable symboliquement dans les cauchemars.
La narration est globalement excellente, cela va bien sûr passer par des dialogues vraiment très bien écrits, mais aussi un décorum qui ne se contente que de quelques lieux, dont seuls 2 sont jouables -le bar et les cauchemars- et un troisième -la chambre de Vincent-. Le rythme, cinématique, bar, cauchemar fait rentrer dans une bonne routine qui m’a personnellement toujours donné envie de poursuivre l’histoire. Il se trouve que le jeu est richement agrémenté en scènes cinématiques, au bas-mot j’estime à deux heures trente pour l’ensemble. Une partie des scènes est dessinée, elles sont riches visuellement et clairement données à faire à des gens très compétents. J’ai un peu regretté cependant qu’elles ne soient pas toutes techniquement réhaussées à l’identique (une vidéo notamment n’est pas du tout en HD, une autre saccade). D’autres scènes cinématiques avec le moteur du jeu existent aussi et restent de bonne qualité. Non, vraiment, il n’y a pas de quoi se plaindre (surtout après la narration affligeante d’un Tales of Berseria… je dis ça…). Pour mieux comprendre le scénario toutefois, il y a tout de même plusieurs faits et situations sur lesquels je vous conseille de porter plus précisément votre attention (même si quasiment tout finira par être élucidé avec une relative adresse) :
- Discutez avec tout le monde dans le bar, l’alcool en fait partir certains et venir d’autres !
- Qui est la sorcière ?
- Soyez attentive/attentif aux voix et vêtements des personnages.
- Quels noms et objets voyez-vous à la fois en réalité et en cauchemars ?
- Quelle est l’origine du nom de « Catherine » ?
- Que voit-on dans le miroir ?
- Y’a-t-il des moutons en dehors des cauchemars ?
- Mais c’est quoi ces boss ?!?
Le système de jeu est sécable en deux morceaux. La partie éveillée passe par l’unique environnement du bar, où il s’agit de discuter avec les différents personnages : les amis (Tobby, Orlando, Jonny), la serveuse (Erica), les vieilles jumelles affables de la table derrière, le journaliste, le policier… Il y a aussi de l’alcool à boire, elle servira dans la deuxième phase du jeu à se déplacer plus rapidement et lorsque le verre est terminé, une anecdote sur les alcools vient nous récompenser. De temps en temps, Vincent reçoit des SMS de Katherine et de Catherine, à qui il peut répondre par des textos (pré-écrits), ou non. Cela influence une jauge dont la nature n’est pas explicite avant la fin du jeu (Jauge morale ? Jauge de désir du personnage ? Jauge de fidélité ou de liberté ?) qui apparaîtra régulièrement après des choix de dialogues toujours binaires. Il est aussi possible de jouer à la borne d’arcade, Rapunzel, qui est un mini-jeu, littéralement, puisqu’il s’agit de la miniature de ce que Vincent vit dans ses cauchemars.
Une fois rentré chez lui, Vincent se retrouve donc face à des blocs de pierres empilés en haut desquels une poignée faisant sonner des cloches symbolisent le sommet. Il s’agit alors de pousser, de s’agripper, et de grimper ces blocs rapidement, ils vont être amoncelés de manière plus ou moins évidentes, il faudra les emboîter pour escalader. Si la majorité des blocs est solide, il y en a plusieurs qui viennent compliquer l’ascension : des fragiles (sur lesquels Vincent ne marche que 2 fois), des explosifs (qui fragilisent tout ceux alentours), des piégés (avec des pics qui s’activent au premier passage), des faciaux (avec une langue qui nous empêche de s’y agripper), des glacés (glissants), des trous noirs (qui aspirent tout ce qui passe dessus) et des surprises qui imitent aléatoirement les blocs. De temps en temps, des moutons plus ou moins belliqueux mais souvent gênants croiseront le chemin de notre grimpeur en caleçon blanc à cœurs roses.
La principale difficulté du jeu sera que l’ascension est en temps limité puisque peu à peu, les lignes de blocs s’effondrent et tombent dans le vide. Le vide et la chute menacent perpétuellement, il n’y aura jamais plus de deux checkpoints au cours de la montée qui peut parfois vraiment devenir complexe à entreprendre même si seuls 2 puzzles (à ma connaissance) n’ont semblé proposé qu’une seule solution possible. Pour l’aider dans son épreuve, Vincent trouve ponctuellement différents objets à utilisation unique, permettant de créer des blocs, de les normaliser, de tuer les ennemis présents à l’écran, de sauter 2 blocs à la fois... Il est aussi possible d’annuler les derniers coups joués si jamais l’on constate que ça ne fonctionne pas. Le jeu reste globalement très bienveillant dans ces phases et en mode normal, le défi est déjà assez impressionnant pour un cerveau mal câblé comme le mien face à ce genre de problèmes logiques. Les oreillers symbolisent les vies du héros, il peut en récupérer dans sa montée ou en acheter chez un marchand qui est parfois disponible entre deux-niveaux.
Cet entre-deux est un moment de pause où il est possible de sauvegarder, de discuter avec les moutons survivants, d’apprendre de nouvelles techniques ce-faisant et d’aller au confessionnal. Ici, une voix véhémente puis de plus en plus impressionnée par les exploits de Vincent lui posera alors une question, et là encore son choix va influencer assez nettement sa progression sur la jauge. Ces questions sont très personnelles et, fait amusant, les résultats sont compilés en ligne et nous pouvons constater ce que les joueuses et joueurs votent la première fois.
Après un à six niveaux de préparation (« Trial »), un boss viendra se lancer à la poursuite du protagoniste dans un niveau plus rapide, et en lançant des attaques plus ou moins violentes et régulières. Ces boss sont des allégories des peurs, angoisses, et paradoxalement, de quelques envies de Vincent. Si les contrôles ne sont pas parfaits avec un aspect un peu glissants par moment, ils restent très efficaces dans l’ensemble et très simples à prendre en main. Ce qui est parfois plus ennuyeux est plutôt le contrôle de la caméra qui n’existe quasi pas, ce qui m’a manqué à plusieurs reprises pour trouver quelques solutions.
Objectivement, ce n’est pas grand-chose, le système de jeu est terriblement efficace, très arcade avec un score, un chronomètre et des rangs qui sont à atteindre, des pièces à récupérer… Ainsi, ma première partie s’est terminée en 15-16 heures environ, avec les cinématiques.
Graphiquement, le jeu est en ombrage sur celluloïd. Il est plutôt dans le haut du panier et je suis toujours surpris de voir comme une bonne direction artistique avec un moteur graphique adapté et décent avec cette technique rendent les jeux agréables à l’œil, même des années après (12 ans ici !). Les animations des personnages sont vraiment élégantes, celle d’Erica en particulier à mon avis, mais elles sont en petit nombre. Lors des dialogues, les animations faciales sont fidèles à l’esprit d’un animé avec des expressions vraiment marquées et exagérées, il faut vraiment aller chercher le détail des cheveux notamment pour trouver des marques de vieillissement, ou le fait que les ombres n’existent pas. Dans un sens, les décors des cauchemars peuvent être décevants parce qu’ils ne varient pas beaucoup, mais c’est un choix évident : il s’agit de jouer de manière intuitive et ne pas perdre de temps à désapprendre ce qui a été vu précédemment mais au contraire, d’enrichir ses capacités à monter ces fichus blocs !
Les musiques sont de bonnes voire très bonnes qualités dans le bar, on a même la possibilité d’écouter des morceaux de Persona, et l’ambiance lounge ou jazz sera toujours adéquate. En mode cauchemar, les morceaux sont bons aussi mais les boucles me semblent un peu courtes (surtout en quand on se coince longtemps ou qu’on recommence souvent comme… certains...). Les doublages des personnages sont absolument excellents en anglais avec des doubleurs reconnus d’autres jeux, tous sont justes, même les personnages secondaires, la voix-off etc. C’est simplement parfait et ça sert excellemment bien les dialogues du jeu. Enfin, les bruitages eux aussi sont à la fois immersifs dans le bar, et arcades dans la phase de grimpette, avec les exclamations de Vincent servant, là encore, la nervosité du système de jeu.
Alors que dire ? Sans doute que j’ai attendu 12 ans de trop pour faire ce bijou ? J’étais freiné par les avis un peu bas-du-front de l’époque. Aujourd’hui, je vois que le propos tenu est bien mené car il aborde et travaille tout de même nombre de stéréotypes sur les couples (hétérosexuels). Je constate aussi que le jeu pourrait franchement virer au mysogine (et d’ailleurs les citations des écrans de chargement le sont parfois), mais s’il y a du sexiste, il y a aussi un très bon recul critique, ne serait-ce qu’avec le personnage d’Erica. Le jeu aurait pu glisser vers l’érotique voire le pornographique, alors qu’il joue parfaitement la carte du suggestif sans jamais aller trop loin, mis à part 3-4 photographies de Catherine qui font le fan-service, photographies qu’elle envoie d’elle-même pour un Vincent qui peut répondre par « non, je ne veux pas que tu fasses ça », pour différents motifs par ailleurs.
L’histoire a une évidente et forte envergure psychologique de l’événement que traverse Vincent, et à aucun moment il n’est question de le faire passer pour une totale victime. D’ailleurs, il est amené à assumer souvent ses faux-pas, face à ses potes, et devant Katherine, et devant Catherine ! Tout cela tient avec intelligence, dans la partie « jeu » autant que dans la « narration ». Les développeurs auraient très bien pu délier plus fortement les cauchemars du reste, pourtant il y a un effort véritable à bien signifier le pourquoi des rêves. Il n’y a pas de dissonance ludo-narrative, et il n’y a même que de rares moments qui viennent briser le quatrième mur (et encore, tout cela nous est présenté dès le début comme une émission-documentaire TV du Golden Broadcast sur Vincent Brooks). Ce souci d’expliquer souvent les réactions du protagoniste, mais aussi de le confronter à ses errances, à la fois via des dialogues, et symboliquement dans ses rêves, font un propos cohérent. D’autant plus qu’il vise et critique subtilement les pseudo-morales religieuses qui proposent une pureté des sentiments et des comportements amoureux, une morale ici dénoncée comme inaccessible, inutile voire dangereuse à l’humanité, n’ayant pas de véritable sens et menant simplement à ne pas pouvoir faire confiance aux partenaires qui seraient toujours tenté. Comme si la morale avait oublié l’humain.
Les quelques limites que je trouve alors au jeu sont assez étroites. La première étant qu’objectivement, les choix de dialogues sont trop restreints, et l’impossibilité de pouvoir répondre personnellement aux SMS est frustrante et abouti souvent au mensonge « Je n’ai pas le temps », « je travaille », « je suis fatigué », l’idée est bonne, l’exploitation bancale. Deuxième limite, à ce jour, le jeu n’est pas compatible avec mon ubuntu (PopOS) et cela m’a mené à réinstallé Windows 10 (première fois en plus d’un an que je me trouve coincé). Enfin, et là c’est un point de vue très personnel : à la fin du jeu nous débloquons différents modes de jeux puzzle, et je dois avouer que sans la carotte du scénario qui avance à côté (et qui m’a particulièrement parlé pour différents souvenirs intimes), je vois nettement moins d’intérêts à continuer l’affaire. Ceci-dit, je reste tenté par le mode difficile et il y a tout de même 8 fins alternatives (peut-être plus, puisque la fin que j’ai eu n’est pas listée sur wikipedia). Il va rester dans un coin de disque dur, on ne sait jamais.
Dans tous les cas, Catherine est un jeu alors unique de par son ambiance, son discours et son système de jeu solide, et qui m’a conduit vers une expérience extra-ordinaire.
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Créée
le 4 janv. 2024
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