Chrono Crossed
L’impression de découverte est primordiale dans Chrono Cross, comme dans beaucoup d'autres jeux, c’est pourquoi il vous faut mieux passer votre chemin si vous n’y avez pas joué, car rien ne vous sera...
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le 18 nov. 2013
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L’impression de découverte est primordiale dans Chrono Cross, comme dans beaucoup d'autres jeux, c’est pourquoi il vous faut mieux passer votre chemin si vous n’y avez pas joué, car rien ne vous sera épargné ici.
Tout d’abord, et pour que ce soit dit : Chrono Cross, c’est l’apogée des graphismes de la PS1 associés à un style artistique merveilleux, l’apogée du scénario débuté dans son prédécesseur Chrono Trigger, et l’apogée de la musique dans le jeu vidéo. (c'est bon, calme-toi Xeno)
Mais Chrono Cross est aussi un jeu qui joue beaucoup sur son atmosphère et l’ignorer revient à passer à côté d’une bonne partie de l’intérêt du jeu, ce qui explique l’indifférence de certains joueurs à l’égard de ce RPG. L’intro nous plonge d’emblée dans une atmosphère de souvenirs et de nostalgie avec l’un des plus beaux openings du jeu vidéo, principalement grâce à sa musique : Scars of Time.
Un livre s’ouvre, interroge la destinée et sa complexité, avant de se refermer sur ces mots :
Yet even then, we ran like the wind,
Whilst our laughter echoed,
Under cerulean skies…
La cinématique se lance là-dessus dans un rythme effréné, jusqu’à la plongée dans l’œil de Kid, qui laisse bêtement contemplatif, admiratif, déjà amoureux.
http://www.youtube.com/watch?v=923fVDDwaHo
Je ne vais pas raconter le détail du déroulement du jeu, mais je vais quand même l’évoquer à travers l’exemple du manoir Viper, qui se situe au centre des enjeux au début du jeu. Ce lieu représente en effet à lui seul la plupart de choix faits pour le game design de Chrono Cross.
Son infiltration, tout d’abord, peut se faire de trois manières vraiment différentes, décidées selon le personnage qui nous accompagne :
- On entre de front avec Pierre, anti-héros qui croit avoir droit à un laisser-passer, et on se retrouve à se battre contre toute la garde, y compris Salt & Pepper ainsi que leur nouvel .... acolyte Ketchup.
- En allant trouver le rockeur Nikki, on passe par les souterrains du manoir dont l’entrée se trouve dans une forêt, on traverse une mini-cascade où un squelette nous donne une technique afin de vaincre un boss sans même l’affronter.
- Enfin, en rejoignant Guile puis Korcha et son bateau, on peut contourner le manoir afin d’entreprendre l’escalade de la falaise sur laquelle il est perché.
Chacun de ces trois chemins aboutissent finalement au manoir Viper, qui est juste une perle au niveau du level design. En réfléchissant à une réponse, on trouve le mot de passe de la salle des trésors : un silence. Une fois dedans, on se sert, on tombe dans un piège évident et on atterrit dans le laboratoire de Luccia. On ouvre la cage de la créature Pip afin de le retrouver plus tard dans le jeu, on insiste jusqu’à ce que Karsh nous cède son coffre, on active l’échelle de la bibliothèque grâce à l’observation de Marcy, on suit Glenn afin de voir où il a écrit le code du serpent, on se rend compte que le plongeur est un espion, qui se révèle plus tard être Norris… Enfin, on monte à l’étage, et c’est là que Lynx et ses étranges chats noirs apparaissent pour la première fois. Ce ‘donjon’ condense donc plusieurs éléments essentiels au jeu : les choix, qui passent par celui des personnages recrutables, l’ingéniosité du level design, et le mystère du scénario lié à un sentiment plus décomplexé de l’aventure.
Ignorant tout du système de Chrono Cross, j’ai d’abord été très surpris par le recrutement de l’affreux Poshul, en me disant que bon, c’est sympa d’avoir un personnage optionnel, mais quand même, j’espère que le reste de l’équipe va relever le niveau du design. Puis, peu à peu, je me suis rendu que presque tous les PNJs à avoir une icône lors des discussions sont recrutables. Chacun a un design unique (et en effet, personne ne bat Poshul dans ce domaine), et se recrutent de manière plus ou moins évidente. J’ai juste adoré recruter Mojo, poupée vaudou complètement inattendue et délirante, et je me suis efforcé à jouer avec NeoFio après avoir pris la peine de trouver l’étincelle de vie qui permet de la créer.
Mais le recrutement se fait également pour les personnages principaux de l’histoire : ainsi, on ne passe à côté d’aucun d’eux, étant même amené à contrôler Lynx, Marle, Viper ou Radius. Le recrutement de personnages populaires comme Nikki ou Norris permet de retourner voir les PNJs en suscitant de nouvelles réactions, tandis que celui de personnages comme Skelly nous accompagne tout le long du jeu de manière amusante, et jouissive lorsqu’on parvient enfin à reconstituer son corps. Sans soluce, bien sûr.
En ce qui concerne les combats, le jeu propose un tour par tour original à base de nombreux éléments à équiper. Il a le mérite de proposer quelque chose de différent, mais chaque personnage y perd en capacités spéciales, mis à part quelques exceptions comme Sprigg ou Pip. De plus, le fait de devoir rééquiper une vingtaine d’éléments à chaque fois que l’on change de personnages est plutôt lassant.
Ces mêmes éléments, de six couleurs différentes, influent sur une sorte de jauge à trois paliers : utiliser trois éléments noirs rendra par exemple la jauge entièrement noire. Cela renforce les éléments de couleur noire, affaiblit ceux de couleur blanche car ils sont de couleur opposée, mais hélas les variations de dégâts ne sont pas très impressionnantes. Cette jauge permet toutefois de donner une plus-value aux combats, et surtout d’utiliser les invocations, même si celles-ci sont difficiles à lancer et ne peuvent l’être que par un personnage appartenant au même élément.
Le thème de combat est souvent considéré comme une dissonance au sein de l’OST du jeu, mais il ne m’a pas marqué de manière négative. Les simples combats aléatoires sont assez rapidement répétitifs et peu captivants, mais le fait que les ennemis apparaissent sur la map et que l’on peut esquiver la plupart d’entre eux à l’aide d’une observation de leur mouvements empêche le gameplay d’être rébarbatif. Notons tous deux même deux passages qui en font bouffer car les monstres doivent tous être tués : les Lagoniens de Marbule et le cœur de Gaïa.
L’accès à un équipement de qualité est facile, recruter Zappa nous permettant d’y avoir accès partout sur la world map. Seule l’obtention de la dernière arme de Serge relève d’un challenge particulier : battre Dario. A l’image du combat contre Miguel, c’est principalement le thème Prisoners of Fate qui donne toute sa force à ce boss annexe, qui est aussi le plus difficile du jeu. Mais ce qui en fait un combat épique est aussi le background de cette longue quête, dispersée dans tout le jeu à travers de nombreux personnages secondaires : Glenn, Riddel, Karsh, Radius. L’approfondissement du mythe de la Masamune commencé dans Chrono Trigger éveille aussi la curiosité de joueur.
L’autre quête annexe de grande importance dans le background du jeu est celle des Magical Dreamers. Dès le début du jeu, on nous annonce le concert de Nikki à Termina, qui n’aura finalement lieu que dans l’autre monde après avoir pris connaissance du passé de Fargo et Zelbess, ses parents, et de toute la thématique du lien entre humains et demi-humains que représente donc Nikki, premier fils d’un homme et d’une sirène. Cette longue attente est finalement majestueusement récompensée par la prestation du rockeur et de Mikki, leur spectacle brillant grâce au morceau Radical Dreamers – The Wind, Stars, and Waves, où la guitare électrique prend le premier rôle afin d’offrir une fois de plus un morceau unique à l’OST du jeu (que l’on doit bien sûr à Mitsuda).
http://www.youtube.com/watch?v=oTsD_ua3VFc
Pour en revenir au déroulement du jeu, il est important de noter que le rythme de l’aventure n’est pas aussi équitable que celui de son aîné.
L’absence quasi-totale de narration lors de la quête des dragons incite à la découverte du monde de Chrono Cross de manière tout à fait personnelle : chaque lieu est unique, et l’on peut s’y rendre quand on veut, dans l’ordre que l’on veut. Le jeu crée alors un magnifique brouillage entre la quête principale et les quêtes annexes, car l’on ne distingue plus si ce que l’on fait fait avancer l’action ou non. Cela pourrait paraître agaçant, mais le game design est si réussi qu’on a l’impression que chacune de nos actions fait partie d’un tout, qui est tout simplement l’aventure de Serge et des autres sur l’archipel d’El Nido. Et cette aventure est servie de manière splendide par une carte dessinée, des environnements enchanteurs, et bien sûr les quatre différentes musiques de la World Map : deux pour le continent principal, deux pour la mer.
Les environnements ne sont pas vastes et vides, ce qui les rend agréables à l’exploration. On se retrouve souvent à y retourner plusieurs fois, notamment pour le manoir Viper ou le S.S. Zelbess/Invincible. Cet aspect répétitif est compensé par un sentiment croissant de familiarité avec El Nido, qui participe à forger nos souvenirs de ce monde. Certains lieux superbes comme l’île de l’ermite sont vraiment un plaisir à visiter.
De plus, les lieux sont truffés de détails et sont servis par un excellent level design, regorgeant de secrets qui savent trouver un juste milieu entre recherche et récompense. Ainsi, on se demande comment atteindre un coffre hors de portée protégé par un insecte, et l’on y parvient bien plus tard, après avoir pris un passage secret qui permet de faire fuir l’insecte en frappant sur les grilles des égouts. Ainsi, on se transforme en chat suite au tour de magie raté de Sneff (ayant compris qu’il fallait rester sous la forme de chat, je me suis enfui avant même qu’il réessaie de me transformer), et on découvre un nouveau monde où les chats deviennent nos conseillers : on s’infiltre dans la cuisine pour trouver un coffre, on marche le long d’une corde pour visiter le bateau de Nikki.
La carte du monde est très joliment dessinée, elle condense en une carte assez petite, qui nous reste donc familière, toutes les destinations du jeu. Toutefois, la rapidité avec laquelle elle se parcourt empêche de profiter pleinement des thèmes maritimes, et on se retrouve à faire des tours inutiles juste pour l’écouter un peu plus …
Tout est donc à petite échelle, on n’est pas dans une aventure grandiose et épique mais plutôt dans un rêve. Le radeau représente bien cette différence avec de nombreux RPGs : on navigue aux alentours de notre île natale sans jamais trop s’en éloigner. Pourtant, Chrono Cross parvient à transmettre un sentiment d’altérité grâce à la navigation entre les deux mondes parallèles : rien de plus bouleversant que de voir sa propre maison habitée par un autre. Retourner à Arni et y être considéré comme un inconnu, alors qu’on discutait le matin même avec tous ses habitants, provoque un étrange sentiment de délaissement et d’incompréhension. On est presque agacé par le refus de Leena de croire Serge et de se lamenter sur sa mort, et on est finalement bien content de trouver une partenaire enjouée et solidaire : Kid.
Il est possible, si l’on est fou ou que l’on tente un NG+, de refuser sa compagnie. C’est alors Leena, notre amie d’enfance, qui nous rejoint et matérialise une barrière entre les deux protagonistes. Espérer vivre une aventure avec Leena ne mène cependant rien, elle appartient à un passé que Serge doit dépasser. L’accepter plutôt que Kid représente un refus de l’aventure, et il paraît absurde de vouloir continuer à tout prix avec elle. Kid est la seule vraiment digne d’accompagner Serge, c’est grâce à elle qu’il est vivant, c’est elle qui le recherche depuis bien plus de temps. Il suffit d’aller voir la voyante à Termina pour qu’elle le confirme : Leena n’a aucun avenir avec Serge.
Revenons sur la coexistence de deux dimensions : on commence le jeu dans Home World, et l’on est soudainement absorbé dans Another World. Contrairement à ce que laissent penser ces nominations, c’est en fait Another World qui est le monde d’origine, dans lequel Serge est mort. Home World a été créé parallèlement lorsque Kid, envoyée par Belthasar, a voyagé dans le temps afin de sauver Serge. Home World sert donc de correction, de contournement des défauts du monde réel. Il est une fuite, mais qui permet finalement d’améliorer le monde d’origine en fusionnant les deux.
Home World a été créé pour que Serge puisse vivre, il est donc la raison de son existence. Cela fait de lui l’unique être apte au voyage entre les dimensions, car il ne vit que dans une seule des deux. Les autres personnages, eux, sont confrontés lors du changement de dimension à leur autre ‘moi’ ; jouer avec cela permet d’en recruter de nouveaux, de développer leur background et enfin de débloquer leurs dernières techniques.
A force d’alterner entre Home World et Another World, on ne sait parfois plus trop dans quelle dimension se trouve la facette du personnage que l’on recherche. Ainsi, les deux dimensions tendent déjà à fusionner de manière anarchique dans notre mémoire, ce qui met bien en valeur la confusion qu’engendre le voyage entre deux temps parallèles, et c’est presque un exploit si Serge n’en devient pas fou. L’ouïe nous permet toutefois de reconnaître tout de suite quel monde Serge explore, grâce aux magnifiques thèmes de la World Map, dont notamment Dreams of the Shore of Another World.
http://www.youtube.com/watch?v=ROKcr2OTgws
Ce titre évoque l’importance dans le jeu de l’imaginaire lié à la mer. La plage d’Opassa, qui nous met face à celle-ci, est le lieu où tout a commencé, où Serge est mort et où il a été sauvé, causant la séparation entre les dimensions. Un villageois d’Arni demande à Serge s’il aime la mer, mais aucune des deux réponses n’est présentée comme absolument fausse ou vraie. Elle est à la fois beauté, immensité, source de contemplation et d’un rêve d’aventure, mais elle est aussi inséparable d’un grand danger, d’un mystère insondable, de forces naturelles écrasantes et même de mort.
Le bleu de la mer est la couleur de Chrono Cross, là où le rouge (des cheveux de Crono/de Lavos) est celle de Chrono Trigger. Le premier jeu était nerveux, épique, le second est rêveur et contemplatif. Tous les deux partagent cependant un grand sentiment d’aventure et de nostalgie.
Pour continuer sur le rapprochement entre les deux jeux, on peut dire que là où Chrono Trigger proposait un voyage astucieux entre les époques permettant de changer l’histoire afin de vaincre Lavos, Chrono Cross explore une dimension jusqu’alors ignorée : les conséquences des actions de Crono et son équipe en sauvant le monde, l’avenir qu’ils ont effacé. Le jeu ne se base plus sur un voyage dans le temps au sens d’époque, mais au sens de dimension, mêlant ainsi deux mondes parallèles.
L’équipe de Chrono Trigger se retrouve avec les fantômes de Crono, Marle et Lucca. Ceux-ci font partie intégrante du rêve du monde, que Serge empêche de s’accomplir en s’opposant inconsciemment aux plans de Belthasar. Il y a donc, à leur première rencontre, une certaine attitude de reproche de la part des trois fantômes vis-à-vis de Serge, mais les deux protagonistes principaux des jeux Chrono partagent finalement des similitudes importantes. Ils sont d’abord tous deux ‘muets’, ce qui permet une forte implication des personnages secondaires lors de scènes importantes, mais donne aussi lieu à une projection des interrogations du joueur dans ce personnage, et inversement. Le joueur doit effectivement faire des choix, ce qui empêche Serge de suivre un chemin que le joueur souhaite à tout prix éviter.
Ils se rapprochent aussi par la question de la faute : Serge doit réparer les conséquences imprévues de la victoire de Crono et ses amis sur Lavos, tandis qu’il est lui-même allé à l’encontre du plan de FATE. Enfin, Crono et Serge sont tous deux des fantômes dans ce monde : le premier n’est plus qu’une image tandis que le second est censé être mort.
Bien sûr, le lien le plus fort qui unit Chrono Cross à son aîné est celui de Schala. Kid est en effet un clone de la grande sœur de Janus, ou Magus. Emprisonné dans le Darkness Beyond Time avec Lavos, Schala attend que Serge vienne la délivrer, et la mission de Kid est d’aider à les faire se rejoindre. Elle est à l’origine de la deuxième dimension, car c’est elle qui sauve la vie de Serge en retournant dans le passé dans le cadre du plan de Belthasar.
Mais Kid développe aussi sa propre personnalité, ce qui fait d’elle bien plus qu’un simple clone. Les choix majeurs que peut prendre Serge pendant le jeu sont pour la plupart liés à elle : accepter ou non sa compagnie, décider de la sauver ou non du venin de l’hydre. Le rapport à Kid est donc relatif au choix du joueur, même si elle finit toujours par s’impliquer au cœur de l’action. La vision qui nous est offerte dès le début du jeu avec la projection au fort Dragonia, à savoir Serge poignardant Kid, hante le joueur qui se méfie donc de la jeune fille, mais trouve de moins en moins de raisons de ne pas lui faire confiance à mesure qu’il s’approche de la scène fatidique. Et à juste titre : c’est en effet de lui-même que Serge devait se méfier, ou plutôt de Lynx et son aptitude à la manipulation.
Commence alors une longue période où l’on est séparé de Kid, cette fois sans avoir le choix : ceux qui l’ont évité en début de jeu ont certainement regretté un rejet aussi injustifié, tandis que ceux qui s’étaient accoutumés à elle sentent son absence ; elle acquiert alors une nouvelle place dans le cœur du joueur. Cette période d’éloignement permet en même temps de profiter des nombreux personnages annexes, mais leur caractère secondaire renforce la volonté de revoir un personnage comme Kid dans l’équipe, que Harle remplace par ailleurs très bien.
Il est possible de terminer le jeu sans Kid, et ainsi de la reléguer à un rôle secondaire. Le joueur doit donc se démener pour la garder à ses côtés et c’est ce qui participe à créer tout le charme du personnage. Aller la retrouver, convalescente, sur l’île de l’Ermite est essentiel à la bonne compréhension du scénario, car on y assiste à la scène de l’orphelinat brûlé, qui est la maison de Lucca dans Chrono Trigger. Sauver les enfants des flammes permet de soulager le souvenir de Kid, mais d’alourdir le nôtre lorsqu’on laisse l’enfant Kid, seule, alors qu’on lui promettait de ne pas l’abandonner.
Jouer à Chrono Cross sans avoir fini son prédécesseur est donc regrettable, cela empêche de saisir toute la richesse de cet univers. En même temps, vénérer Chrono Trigger et ne pas avoir tenté l’expérience Chrono Cross, bien que différente, est assez incohérent, car cette expérience permet d’approfondir ses connaissances sur Chrono Trigger, dont Radical Dreamers, qui a très largement inspiré Chrono Cross, sert de complément.
L’histoire, déjà évoquée, est d’abord d’apparence simple, mais elle éveille rapidement la curiosité avec un mystère omniprésent, et connaît un premier twist important au fort Dragonia, avec le changement de corps, qui mène à des questions sur l’identité du personnage, sur son rapport avec Lynx, sur Kid, et sur cette Lucca qu’elle mentionne … mais le scénario ne prend toute son ampleur qu’avec ses deux piliers : Dead Sea et Chronopolis. Ces deux donjons apportent chacun à leur tour leur lot de mystères et de révélations, donnant une profondeur à l’histoire et le liant à son aîné. Lavos. Le parasite de la planète est une fois de plus au cœur de l’histoire, mais de manière plus indirecte.
Lavos apporte de nouveaux enjeux par rapport à Chrono Trigger, il n’est plus l’unique puissance maléfique, l’ennemi ultime. Il est en effet à l’origine de l’évolution de l’homme, ce qui crée presque un lien d’interdépendance entre l’humanité et Lavos. L’homme est ainsi lui-même un parasite, qui a déformé l’ordre naturel présent sur la planète, aidé pour cela par une sorte de Prométhée, qui lui a accordé son feu, sa flamme gelée. C’est entre autre ce que l’on entraperçoit lors de l’exploration de l’énigmatique Dead Sea, premier surgissement futuriste dans le jeu.
Ce lieu, où l’on traverse une autoroute en ruines, emprunte le métro, affronte des tragédiennes dans un théâtre, se conclut par la rencontre avec son gardien, Miguel, père de Leena. A l’image de sa fille, Miguel représente une aide, un ancien ami de son père, mais il ne peut faire partie de l’avenir de Serge. S’ensuit un combat mémorable, auquel les révélations qui le précédent, le coucher de soleil et surtout le thème Prisoners of Fate donne toute son ampleur.
https://www.youtube.com/watch?v=YUPbMd2fbp8
Dead Sea, par sa cryogénisation, sa destruction, son existence liée à celle de Serge, a donné lieu à tout un tas d’interprétations, dont il est impossible de rendre compte exhaustivement. L’atmosphère qui émane de ce lieu reste accessible à tout le monde, et c’est celle-ci qui donne sa saveur au donjon. Une saveur similaire à celle, plus tard, de Chronopolis, bien qu’elle diverge de différentes manières, chacune demeurant unique.
Chronopolis est une ville du futur (2300 AD), attirée à cette époque suite à un échec d’une opération liée à Lavos menée par l’équipe Belthasar, qui se sert de ce lieu comme base à une recherche scientifique et à la mise en place du project Kid.
En contrepartie, le Dragon God a ramené une ville préhistorique afin de préserver l’équilibre de la nature : Dinopolis, la cité des Dragoniens. En découle une guerre rapidement remportée par les forces futuristes, qui divisent le pouvoir du Dragon en six entités, que chacun connaît bien …
C’est ce qu’on apprend lors de notre visite à Chronopolis : les dragons se sont joués de nous, l’ennemi devient double, voire triple, et ambigu. D’une part, Lavos absorbe les énergies de la planète mais est à l’origine de l’évolution humaine, Belthasar et le Dragon God luttent contre cette ‘étoile rouge’, mais leurs fins divergent. C’est bien sûr le parti de Belthasar que va suivre Chrono, afin de délivrer Schala de l’emprise de Lavos, dont la fusion a formé le Time Devourer.
Chronopolis est aussi le lieu de nombreuses révélations directement liées au monde de Serge, et entretenues par les nombreuses anecdotes et réflexions des fantômes peuplant la cité futuriste. Ces fantômes sont des souvenirs, répétant inlassablement leur passé, les côtoyer procure un sentiment d’empathie, et tout à la fois d’étrangeté lorsqu’on découvre leurs analyses, notamment dans la salle où les deux dimensions d’El Nido sont affichées sur des écrans.
L’archipel d’El Nido, le lieu de toutes ces aventures, est une illusion, une création humaine à double interprétation, où des réalités parfois opposées coexistent, comme le pêcheur d’Arni qui est dans l’autre monde un adorateur de Mojo, mais les grandes lignes de la destinée de cet archipel sont contrôlées. En transmettant leurs souvenirs aux cubes de sauvegardes, les habitants d’El-Nido créent un lien avec Chronopolis, qui contrôle leur esprit et leur insuffle parfois des pensées qui leur permettent de ne pas bouleverser le déroulement historique, comme avec la poète qui se voit contrainte de ne pas partir pour le continent, sans trop comprendre pourquoi. Ce procédé de sauvegarde comparable à celui de Xenogears permet habilement de contrôler la destinée, mais celle-ci est remaniée par des humains, non par des dieux. A qui revient alors de décider de la destinée ? Crono et ses amis ont-ils agi sans porter préjudice à qui que ce soit ? N’est-il pas préférable de se soumettre au cours des événements plutôt qu’à une fatalité remaniée par un de nos semblables ?
Tout ce programme de contrôle de la population d’El Nido est incarné par l’ordinateur FATE.
Serge, grièvement blessé par un démon panthère lorsqu’il avait trois ans, a dû entrer en contact avec la flamme gelée pour guérir, et est ainsi devenu l’ « arbitre », le lien entre FATE et les habitants d’El Nido, par le biais du circuit Prométhée, qui n’est pas sans rappeler le nom d’origine de RoBo dans Chrono Trigger … On rejoint donc le mythe de Prométhée, Serge s’est attribué le pouvoir de la flamme, l’a volée au Destin, qui ne prévoyait pas d’avenir brillant pour l’homme. Mais cette flamme est gelée, cet oxymore insistant sur son effet contradictoire : elle soigne et corrompt. D’un côté, Serge survit, de l’autre, Wazuki, son père, devient Lynx en tuant son fils.
Ce qui avait échoué une première fois réussit : Serge est tué par une panthère. Mais le laps de temps entre les deux tentatives de meurtres a permis à Serge d’entrer en contact avec la flamme gelée, bouleversant ainsi les plans de FATE. Finalement, Lynx est un être manipulé, non conscient des réelles fins : ni de l’étendue du project Kid, ni de la raison de la présence de Harle à ses côtés.
C’est finalement Serge qui tue FATE, ce qui a une très forte symbolique : Serge se débarrasse du destin, acquiert son propre libre-arbitre. Cependant, il est doublé par Harle qui récupère la flamme gelée et met au jour son identité de 7e dragon, ainsi que la trahison des dragons. Mais cela n’empêche pas au plan de l’ingénieux (un peu trop) Belthasar de porter ses fruits : ni Lynx ni FATE n’étaient au courant de l’intégralité du project Kid, qui a conduit finalement, depuis le début, à mener Serge ici afin de le faire affronter le Time Devourer. Sacré Belthasar … alors que la part de déterminisme dans l’histoire semblait s’effacer, il vient en rajouter une belle couche. Mais, même si son contrôle de la situation semble inhumain, il n’est pas un dieu, et son plan n’a rien de fatal.
Harle, personnage enchanteur et énigmatique, qui se joue de Serge tout en étant captivé par lui, cache sous ses apparences de ‘bouffon’ l’un des personnages-clés de l’histoire. Elle s’attache de plus en plus à lui lorsqu’il la côtoie sous sa forme de Lynx, mais Harle est dans l’incapacité de créer une réelle relation avec lui, ayant une cause à défendre, dont elle ne peut s’écarter. Ce malaise du personnage est à son paroxysme lors de sa maladroite question à Serge/Lynx : « Si tu devrais choisis entre sauver le monde et moi, que choisirais-tu ? ». Celle-ci prend tout son sens plus tard car Harle, étant le 7e dragon, doit forcément périr pour la réussite du plan de Serge.
Celle qui paraît se jouer de tout est en fait une émissaire, irrémédiablement vouée à être la Némésis de Kid et donc de Serge, car leurs causes sont opposées, et aucun d’eux ne peut l’abandonner. Sous ses apparences, Harle est donc le plus triste des personnages, ce qui est en grande partie dû à son omniscience : elle manipule, aide tous les éléments de l’intrigue à se mettre en place, tout en observant les protagonistes d’un œil amusé et grave. Les premiers vers de la poète d’Arni peuvent s’appliquer à elle :
Insanity leads to chaos,
Then to solitude…
The fruitless effort of adding
Meaning to what is meaningless
Battre le Dragon God est en quelque sorte une manière indirecte de tuer Harle, à moins de considérer que sa personnalité a déjà été effacée lors de la fusion, retournant ainsi complètement à son créateur.
La création de Harle peut être, par ailleurs, mise en rapport avec celle de Kid. Son physique indique une ressemblance, qui en ferait un autre clone de Schala, qui semble être le seul modèle humain possible grâce à sa fusion avec Lavos. Harle, ayant elle aussi réussi à créer sa propre individualité, n’a toutefois pas de réel passé, étant née dans un corps de 18 ans. Cela fait d’elle en quelque sorte une enfant, qui veut se jouer de l’intrigue et des personnages. Mais cet enfant à des limites, car il est associé à un but plus grand, à l’origine du contraste entre l’aspect joueur et la figure triste, que seuls les fous semblent pouvoir maîtriser.
Chrono Cross possède quelques références artistiques, notamment à travers le personnage de Van, recrutable bien sûr, et sa relation avec son père Gogh. Comme si ça n’était pas assez clair, le réveil de Serge dans le corps de Lynx se fait dans un décor déconcertant qui rappelle le style du peintre, où on rencontre la (oui, la..) mystérieuse Sprigg et sa capacité Doppelgang, et où l’on retrouve la seule, l’unique, Harle.
Le Vortex Temporel vise à renverser le système de conventions du joueur : entre le jeu des perspectives qui influe directement sur le level design, ou l’interrogatoire métaphysique de Harle, qui fait douter de la réelle identité du personnage que l’on contrôle depuis le début. Le changement de corps entraîne une perte de repères, qui passe aussi par un changement d’alliés que le large casting peut se permettre.
Lynx, par son apparence de panthère, est en quelque sorte l’incarnation de la phobie de Serge. L’incarner lui permet une appropriation de cette peur, tout en remettant en question l’apparence du mal. Celle-ci suscite une incompréhension dans son entourage, qui refuse de dissocier l’apparence de l’esprit. On retrouve ici toute la thématique de la haine des demi-humains, chassés par les habitants d’El-Nido et réfugiés à Marbule. L’histoire de Zelbess, femme de Fargo et mère de Nikki, est la plus représentative de cette thématique, mais on la retrouve de manière récurrente, par exemple avec les nains. Serge a absolument besoin de l’humeur d’hydre pour sauver Kid, mais il sait en même temps que tuer l’hydre revient à empoisonner les marais, réduisant ainsi à néant le lieu de vie des nains. L’homme est donc dissocié de la nature et des autres espèces, il doit l’exploiter, la détruire afin de pouvoir survivre ; il partage bel et bien les caractéristiques de Lavos.
Les nains, privés de leur habitat naturel, sont amenés à commettre l’impardonnable en s’appropriant celui des fées ; Serge les déloge une fois de plus, mais les fées ne lui sont pas reconnaissantes, il est à l’origine de ce massacre et aurait dû prévoir plus tôt de telles conséquences. Bien qu’absolument hideux, les nains tiennent des propos qu’il est difficile d’ignorer. On sait qu’ils sont pour la plupart vrais, mais il est impossible de faire marche arrière, et de laisser Kid mourir. Sa vie est donc préservée au prix d’autres. Et tout ceci aboutit finalement à une rencontre rendue inévitable : le combat final contre le Time Devourer.
La façon dont on décide de le battre a une importante répercussion sur l’ending, et l’on doit se démener pour accéder au plus complet. En effet, si l’on se contente de battre le boss, le générique défilera aussitôt, abandonnant le joueur face à une fin simple et presque brutale. Pour accéder à la ‘vraie’ fin, il faut utiliser les éléments de manière assez retorse : Jaune, Rouge, Vert, Bleu, Noir, Blanc dans l’ordre, afin d’enfin activer le Chrono Cross. Mais le Time Devourer ne compte bien sûr pas laisser Serge s’en sortir aussi facilement, et lance régulièrement des éléments, toujours contraires à celui nécessaire … Quand on y parvient enfin, par chance et par ruse, on délivre Schala de l’emprise du Time Devourer, les deux dimensions sont réunies, les protagonistes se séparent et … oublient toute cette aventure.
Ces souvenirs viennent rejoindre les rêves du monde, mais laissent Serge amnésique, retrouvant la Leena qui le connaît, pour qui le temps ne s’est pas écoulé pendant toute cette aventure. On revient à l’idée selon laquelle Leena n’a pas sa place dans cette aventure, dans ce qui est devenu un rêve, au contraire elle représente le retour à la réalité de Serge.
Cet oubli laisse aussi la place à un nouveau départ, à une nouvelle aventure dans laquelle tout est encore à refaire. Le staff de Chronopolis a été victime du même sort, car sa mémoire a été effacée afin qu’il puisse peupler l’archipel d’El-Nido et créer un nouveau paradis. La mise en place de ce ‘paradis’, c’est une sorte de mise en abyme où les hautes instances de Chronopolis, à l’image des développeurs, veulent insuffler un vent nouveau dans l’univers de Chrono Trigger. On peut tout aussi bien faire une analogie entre Belthasar et Masoto Kato, tous deux connaissant l’intégralité des ressorts du scénario et en étant totalement maîtres.
Ce nouveau départ fait de Serge, en plus d’un voyageur entre les dimensions, un voyageur dans le temps, qui reprend l’aventure du début dans un New Game+. Celui-ci lui donne l’occasion de recruter tous les personnages et surtout de découvrir les dix autres fins du jeu, qui font de cette aventure une histoire aux interprétations multiples, comme un rêve récurrent que l’on apprend peu à peu à maîtriser. On peut mentionner les grandes forces de ce NG+, dont le Time Shifter qui facilite grandement la rejouabilité en nous permettant d’accélérer combats, dialogues et déplacements grâce à une simple pression sur une gâchette, le Time Egg qui permet à tout moment d’aller battre le Time Devourer, et le Relief Charm qui permet de mettre Serge de côté en combat.
Revenons pour conclure à l’ending du jeu, qui propose une association plus que séduisante entre images et musique. Le thème Radical Dreamers – Unstolen Jewels nous imprègne d’une forte mélancolie, rendue plus terrible par les images de Kid, cherchant inlassablement Serge … à moins que cette recherche ne soit celle du joueur lui-même ?
On ne sait jamais, peut-être que la Kid de votre dimension est quelque part, cherchant à vous rejoindre depuis toujours.
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Créée
le 18 nov. 2013
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