C’est l’histoire d’une nuit, dont l’écoulement dépend de la perception de chacun : elle semble se prolonger indéfiniment, étant le lieu de péripéties qui se succèdent sans atteindre l’essoufflement ; certains voient sur leur montre les jours passer à l’allure de secondes, tandis que ce sont des années qui filent sur le cadran des plus vieux. Pourtant, elle ne dure pour le spectateur rationnel qu’une heure trente. Et c’est cette durée qui semble être la plus proche de ce que vit la fille aux cheveux noirs (Kurokami no Otome) qui rappelle gentiment au vieil homme se remémorant avec nostalgie un concours de boisson que celui-ci a eu lieu il y a quelques instants seulement. Une fille et un jeune homme (Senpai), deux facettes d’un personnage principal multiforme facilitant le processus d’identification du spectateur, si tant est que celui-ci cherche encore un point où s’ancrer, et qu’il ne s’est pas déjà laissé sombrer dans cette nuit folle et sans repères. Car contrairement aux apparences, non, les carpes koïs du vieux pervers n’ont pas disparu, l’ouragan qui les avait emportées les amène providentiellement jusqu’à la scène finale du théâtre illégal, afin que le contact simultané de leurs écailles et du cuir chevelu du Don et de l’assistante reproduise le coup de foudre qu’avait provoqué une première fois la chute des pommes écarlates.
Pour être plus clair, c’est une nuit de printemps ou d’été, une nuit où il semble faire chaud mais durant laquelle un rhume violent sévit. La fièvre qui se propage à l’ensemble de la ville est bien pratique : il suffit de contaminer les autres avec son amour pour que celui-ci prenne chez eux. C’est une myriade de microbes, de couleurs et de voix qui anime cette nuit aux scènes invraisemblables, s’éternisant parfois avant de laisser place à une transition abrupte.
Inutile de louer la qualité des visuels ou de l’animation, déjà le kotatsu ambulant quitte l’emplacement 34, il ne leur reste qu’une assiette de takoyakis et deux pintes vides, le script de cette partie est déjà terminé, rédigé dans l’urgence et dans l’inspiration naturellement issue de la situation dont elle dessine en même temps les futurs possibles. Les plans du Senpai sont toujours déjoués par le caractère imprévisible des événements, la rationalité ne parvenant à se faire une place que comme composante du sensoriel. Le tribunal des plans d’action du moi est ainsi envahi par un régiment de Johnnys (pas celui-là) faisant déborder l’instinct du jeune homme fébrile, dont le délire ne parvient pas pour autant à repousser celle sur qui aucun signe d’ivresse ne semble se manifester. Comme si les cocktails engloutis étaient bus par la ville elle-même, épargnant ainsi son ange gardien qui de chevet en chevet va s’assurer du bien-être des fiévreux.
On te reconnaît Ra Ta Ta Tami, tous tes personnages sont là, et pourtant ce ne sont pas les mêmes. Ou peut-être ont-ils simplement décidé de changer de tenue et de voix pour passer une nuit de plus en notre compagnie, de nouveau imprégnée de cette atmosphère de rose-colored campus life, où Ozu s’amuse cette fois à se faire passer pour un dieu. Yukio Mishima a-t-il vraiment exprimé son désamour de l’œuvre d’Osamu Dazai face à ce dernier ? Maintenant que les deux auteurs ont choisi de quitter le monde physique, les mots abandonnés dans leurs sillons créent des liens dans la brocante universelle qui les réunit, lieu parmi tant d’autres où cette nuit qui pourrait être infinie se poursuit.
Eh bien, qu’elle ne cesse pas, tant que toutes les fantaisies qu’elle doit rendre réelles ne le sont pas devenues. Qu’il y ait des défis à relever, des opportunités à saisir, ou simplement une nuit à savourer, il suffit de se laisser emporter pour entrevoir un monde de possibles trop souvent différés qui nous emporte en son sein sans présenter de menu, nous laissant ainsi libres de goûter à toutes sortes de plats (mais tous sont épicés)