Citation de François-Robert Zacot
Il y a les jeux qui marquent, et il y a les jeux qui vous construisent. Je ne peux pas commencer cette critique sans dire que Sid Meier's Civilization V: Complete edition fait pour moi partie de la seconde catégorie. Découvert vers mes 10 ans, instantanément obnubilé par celui-ci, CIV 5 pose les bases de ma curiosité quant à l’histoire, la géographie, les citations et le médium vidéoludique en général. Cela étant dit, je ne tomberai pas dans cette critique dans les bras de Sid Meier comme Flynn Rider dans les bras de Raiponce. J’ai autant de choses positives que négatives à dire sur le contenu de Civ 5 et la manière dont leu jeu s’insère dans sa licence et dans son genre vidéoludique.
Rare sont les licences qui ont lancé (ou tout du moins démocratisé) un nouveau genre et qui ont su se maintenir à la tête de ce même genre. C’est le cas de la licence Civilisation, qui domine son genre depuis Civ I (1991) et se voit sans réelle concurrence jusqu’à au moins la fin des années 2010. Cela fait donc de Civ 5 et de ses extensions, le dernier vrai coup d’éclat de la licence, chose qu’on peut voir avec le top des meilleurs jeux de stratégies, où il trône insolemment à la première place, juste devant Civ 4, même si ce top n’est pas l’exemple le plus fin qu’on puisse trouver. A noter qu’on rencontre également loin Civ II et III, respectivement à la 9 et 14eme place, mais pas Civ VI et VII, montrant bien une certaine chute de qualité de la série. Cela a permis à Civ 5 d’aller au-delà du succès d’estime qu’est Civ 4 (très apprécié, concourant au titre de meilleur opus de la série mais plus trop joué) et de devenir une espèce de super smash bros mêlée de la licence Civilisation, avec une base conséquente de joueurs refusant de se diriger vers les opus plus récents. Le détail du pourquoi du comment Civ 5 surpasse ses suites et comment il est en parti responsable de la baisse qualitative de la série est destiné à une autre partie. Mais avant de rentrer dans le lard je voulais que tout le monde soit au fait que Civilization V: Complete Edition s’impose aujourd’hui plus que jamais avec la sortie tiédasse de Civ VII, comme le dernier coup d’éclat d’une licence légendaire dont la couronne vacille depuis.
Au niveau du gameplay, Sid Meier's Civilization V: Complete edition est un jeu où l’on doit faire évoluer sa nation de la découverte de l’agriculture en -3000 à l’an 2050. C’est un jeu de stratégie et de gestion qui nous demande donc de gérer des ressources, des villes (et les bâtiments qui les composent) et des unités sur 2 dimensions : spatiale et temporelle. Comme l’explication le laisse entendre, ce gameplay offre une immense variété de gestions possibles de nos pays. Heureusement, au début de la partie, cette complexité est brimée par le manque de ressources et de temps (qui est aussi une ressource en tant que tel). En plus de ne pas perdre les nouveaux joueurs, cette approche permet la sensation d’évolution et du passage du temps si cher à la série. Toutes ces ressources sont impossibles à maximiser en même temps, mais en délaisser une un peu trop pourrait être contraignant sur le long terme, obligeant donc un jeu mi spécialiste mi généraliste. Cela permet à chaque partie d’être différentes, car elles dépendent de la créativité du joueur, de la façon dont le joueur souhaite gagner sa partie et des contraintes qui lui sont imposées. Ces contraintes étant liées au niveau de difficulté proposé, aux autres nations et à notre capacité (spatiale et temporelle) à accéder aux différentes ressources.
Au début du jeu, avec uniquement quelques bâtiments et unités, le fonctionnement de notre empire est assez simple. Mais au bout de 200 tours, avec tous les effets entre autres induis par les bâtiments, les doctrines sociales, et les religions, le système devient très complexe. C’est cette capacité à créer un système à la fois très complexe et mais quand même compréhensible qui fait tout le sel du jeu. Combien d’anecdote d’invasions qui ne se passent pas comme prévu, d’alliances temporaire pour préparer un coup dans le dos, de stratégies alambiquées faisable sur ce jeu ? Il y a un générateur de trucs fous dans ce jeu qui est malheureusement brimé par les IA. Le système d’IA en lui-même est sans doute (à voir avec Civ 7) le plus performent et pertinent de la série. Les tempéraments (Belliqueux, diplomate, isolationniste) et les objectifs (militaires, religieux, financiers…) sont clairs et pertinents mais brident la capacité d’un monde à partir en guerre mondiale/gros moments de tensions et qui limitent généralement les moments vraiment marquants d’une campagne. Je ne sais vraiment pas comment JDG a pu créer un monde avec autant d’événements et même en faisant ça il a résumé des dizaines d’heures de parties en peut être 1 grand max. Forcer de constater qu’on n’enchaîne pas les parties de Civ 5, et ceux même en restant en vitesse normale. 2025 a d’ailleurs été la première année ou j’ai fini une partie de Civ 5 car je me suis forcé pour cette critique à outre passer ce moment, généralement autour des années 500/1500 ou tout devient beaucoup trop calme à mon gout.
Mais on peut cependant dire que Civ 5 met le paquet pour nous faire passer un grand moment « d’histoire ». A commencer par cette vidéo d’introduction extrêmement grandiose : « Rien ne dure jamais vraiment…» est vraiment une introduction phénoménale de l’univers et de l’œuvre vidéoludique que propose Civ 5. Ça passe par des visuels beaucoup moins cartoonesque que Civ 6 avec notamment des visuels très aquarelles pour les technologies nouvelles et les merveilles naturelles construites ; elles sont accompagnées par des citations, et vu que c’est aussi un peu la raison pour laquelle j’en mets au début et à la fin de mes critiques je tenais à vous en dresser une liste non exhaustive :
- « Notre puissance scientifique a dépassé notre puissance spirituelle. Nous avons des missiles guidés et des hommes égarés. »
- « C'est bien que la guerre soit si terrible, ou nous y prendrions trop goût. - Robert E. Lee »
- "Nous aimons découvrir la beauté, tout le reste est une forme d'attente."
- "Dès que les hommes décident que tous les moyens sont permis pour combattre un mal, alors leur bien devient indiscernable du mal qu'ils entendent détruire."
- « La puissance déchaînée de l'atome a tout changé sauf nos modes de pensée, et nous dérivons ainsi vers une catastrophe sans précédent. »
- "Ce qui est étonnant, ce n'est pas que le champ d'étoiles soit si vaste, mais que l'homme l'ait mesuré."
Il faut cependant être honnête : La raison pour laquelle Civ 5 est aujourd’hui le plus grand jeu de la série c’est surtout grâce à ses extensions Brave New World et Gods and Kings. C’est vraiment drôle de voir la différence entre les avis des gens sur Civ 5 au moment de la sortie du jeu et fin 2013. On passe d’un accueil tiédasse à un final sous ovation des joueurs. Pourquoi ? Parce que les joueurs de la première heure qui n’ont donc pas profité des 2 extensions ont pu lancer un jeu tellement en dessous des attentes et des qualités de gameplay proposé par Civ 4. A titre personnel, j’étais beaucoup trop jeune à la sortie de Civ 4 et à celle de Civ 5 classique et acheter sur CD la complète édition à 25€ était pour moi une découverte incroyable (inutile de dire que Civ 6 sorti il y a 9 ans en 2016 en complete edition c’est aujourd’hui 80€ et Civ 7 dont tous les packs ne sont pas encore sortis c’est aujourd’hui à 130€). Mais il faut revenir un peu plus tôt dans l’histoire de la série pour comprendre ce changement de l’opinion publique. La licence Civilisation n’a pas commencé à faire des extensions avec Civ 5, on en retrouve d’ailleurs depuis Civ 2 (1996 quand même). Mais là où les extensions de Civ 4 par exemple améliorent beaucoup la qualité de jeu, celles de Civ 5 ne se contentent pas d’être juste bonnes, elles fondent l’identité et le gameplay du jeu. Parmi les éléments apportés par les deux extensions du jeu on compte : la religion, l’espionnage, la moitié des dirigeants jouables, les idéologies, le congrès international, les routes commerciales ou encore le tourisme qui modifie grandement l’idée de culture et de victoire culturelle. Et c’est sans parler de toutes les modifications établies au niveau des doctrines, des unités et des bâtiments.
Civ 5 n’est pas le jeu auquel j’ai joué, il n’est pas le meilleur jeu de stratégie et de gestion au tour par tour jamais créé. Les maigres recherches faites pour cette critique m’ont fait comprendre que c’est Civ 5 : Complete édition qui est en réalité le mastodonte de son médium. Et voir toutes les modifications crées par les 2 extensions m’empêchent de voir un seul et même jeu. Et malheureusement, Civ 5, de par sa réussite économique et qualitative à la fin de sa production, à donner envie aux gens à la tête de Firaxis Games de balancer des jeux non terminés qu’ils recalibreraient au fil de MaJ et d’extensions à la manière d’un No Man Sky. Civ 6 est arrivée, à suivre la même trajectoire de Civ 5, mais en moins bien, troublant pour la première fois la licence hégémonique de son genre. Et à première vue, Civ 7 sera le premier vrai échec de la licence principale d’un point de vue de la qualité qui, en suivant les traces de Humankind avec autant de similitudes annoncent ne plus faire la course en tête. Firaxis Game va devoir se remettre en question, et surtout remettre en question son système économique.
Presque ironiquement, la citation un peu ridicule car pléonastique de George W. Bush qui conclut la fin de Civ 5 : "le passé est révolu" s’accorde avec la situation de la licence entre Civ 5 et Civ 6. Civ 5 : complete edition est pour moi et pour beaucoup la plus grande expérience de son genre. C’est aussi celle qui montre les prémisses de la chute d’une des licences qui a le plus dominé un genre vidéoludique. L’histoire est composée de royaumes et de systèmes politiques qui naissent, grandissent, dominent (ou pas), décroient et disparaissent ; l’hégémonie de l’empire romain de son genre est terminée, le monde regarde alors pour savoir qui prendra sa relève.