Nombreux sont les jeux sortis pour les anciennes consoles dont on entend rarement parler. Le plus souvent c'est à juste titre, car parmi le nombre incroyable d'oeuvres produites pour chaque système il y en a beaucoup dont la piètre qualité pousse à s'interroger sur les raisons de leur existence.
Crystalis pour NES ne démérite pourtant pas, mais il est une série d'autres éléments qui ont contribué à son oubli : tout d'abord sa sortie très tardive, à peine 4 mois avant la commercialisation de la SNES, ne lui a pas permis de retrouver le public espéré même s'il a réussi à vendre suffisamment pour s'assurer un remake pour la Game Boy Color. Le jeu n'a pas non plus été localisé en Europe, ce qui explique pourquoi chez nous peu de monde en a entendu parler.
La troisième raison, il faut le dire, c'est qu'il ne brille pas par son originalité. On se retrouve à première vue avec de l'action-RPG très classique avec un héros qui doit taper les monstres apparaissant directement sur la map du monde pour faire de la thune et du level, puis explorer des donjons et botter les fesses à un certain nombre de boss pour arriver jusqu'au bout. L'influence de Ys I et II est énorme, que ce soit dans la structure des menus ou dans la possibilité d'équiper différents items ou sorts (certains comme Transform ayant été repris quasiment tels quels de Ys II) ; l'utilisation de l'épée dans les combats avec la possibilité de lancer des projectiles fait néanmoins davantage penser aux Zelda qu'à Ys.
Si en effet on appuie sur le bouton d'attaque sans faire bouger le héros, une barre en bas se charge jusqu'au niveau souhaité (de 1 à 3 selon l'accessoire équipé) pour balancer ce qui va de simples projectiles qui ne consomment pas d'énergie à de puissants sorts qui balayent l'écran des ennemis. Cela ne vous rappelle rien ? Hé oui, cette mécanique de jeu sera bien reprise et perfectionnée dans Secret of Mana. Comme quoi les petits jeux méconnus peuvent eux aussi inspirer les géants...
De Crystalis, Mana a aussi probablement retenu la logique des attaques élémentaires : les quatre épées que le héros utilise tout au long du jeu ont chacune son élément (air, feu, eau, foudre) et des projectiles et sorts qui lui sont propres. Crystalis introduit cependant une part supplémentaire de difficulté en rendant la plupart des ennemis dans le jeu immunes à un, deux ou même trois des éléments disponibles, et comme souvent les ennemi dans une certaine aire n'ont pas tous les mêmes immunités cela oblige le joueur à jongler sans cesse dans le menu pour changer d'arme afin de tuer tous les monstres qui l'entourent. L'idée est assez audacieuse, peut-être un peu trop pour la NES et ses 4 boutons, car à force d'appuyer sur Select pour changer d'arme ET d'accessoire (sans quoi on n'a pas accès aux attaques plus puissantes) on finit souvent par s'embrouiller alors qu'avec les triggers L/R on aurait pu switcher sur-le-champ sans casser le rythme du jeu. On remerciera toutefois les développeurs d'y avoir pensé parce que ça ajoute tout de même une dimension de challenge bienvenue.
Le gameplay n'est pas le seul domaine dans lequel Crystalis a introduit de nouveaux éléments ; son scénario est aussi l'un des premiers dans un RPG à mélanger des éléments de fantasy et de science-fiction. Explicitement inspiré du film du maître Miyazaki Nausicäa de la vallée du vent (le second boss est purement et simplement un Ômu), le jeu se déroule dans un monde du futur où un conflit nucléaire mondial ayant eu lieu en 1997 a balayé la plupart des êtres humains et transformé beaucoup d'autres en monstres ; les survivants ont renoncé à la science et à la technologie avancées et sont revenus à un mode de vie médieval où règne à nouveau la magie. Le seul reste de l'ancienne civilisation est une tour flottante (autre clin d'oeil à Miyazaki) qui a été construite par les hommes pour empêcher à quiconque de détruire une fois de plus la planète. L'empereur Draygon a cependant réussi à réveiller la technologie ancienne, et après l'avoir combinée avec la magie envisage désormais d'atteindre la tour flottante pour dominer entièrement la Terre. Vous ne serez guère étonné d'apprendre que c'est à vous de vous en occuper ; c'est d'ailleurs en vue de ce moment que vous avez été cryogénisé pendant 1000 ans...
Il est intéressant de retrouver ici la substance du scénar de Final Fantasy VI, mais avec les termes inversés (ce qui au demeurant montre le génie de Sakaguchi) ; et la quête du héros solitaire devant sauver la planète du désastre provoqué par la technologie semble bien avoir inspiré les titres de la saga Soul Blazer et tout particulièrement Terranigma. A la différence cependant de ces jeux, Crystalis ne laisse pas vraiment l'intrigue se développer, et il va falloir attendre la fin du jeu pour avoir de véritables explications approfondies de ce qui se passe, explications qui se traduisent finalement en un coup de théâtre majeur... L'art de mêler action-aventure et JRPG n'était visiblement pas encore mis au point à l'époque. L'intuition était bonne, mais les moyens n'ont pas pu suivre.
Mais si les temps n'étaient pas mûrs pour les grands récits, ils l'étaient largement pour produire un jeu techniquement parfait. En 1990 les développeurs de SNK connaissaient suffisamment bien la NES pour produire une oeuvre maîtrisée aussi bien sur le plan de la programmation (si on laisse de côté la détection de collision parfois peu précise ainsi qu'un petit bug exploitable) que sur celui des graphismes, lesquels sont à coup sûr parmi les plus beaux de cette console. Certes, on reste quand même sur la NES, et le joueur d'aujourd'hui pourrait être dérouté par toutes ces couleurs vives et homogènes en arrière-fond, mais la différence dans le détail des sprites entre ça et Zelda est évidente. Les musiques, en revanche, font un grand bond en arrière par rapport à la première épopée de Link : trop gaies et insipides la plupart du temps, elles sont complètement inadéquates à communiquer l'atmosphère épique et mémorable de tous les grands RPG.
Pour ceux qui aiment les action-RPG, Crystalis leur donne une version 2.0 de Legend of Zelda ou une version alpha de Secret of Mana à ajouter à leur collection.
GAMEPLAY : 8/10
SCENARIO : 7/10
PERSONNAGES : 6/10
GRAPHISMES : 8/10
MUSIQUES : 5/10