Parfaitement méconnu de la scène vidéoludique, le StudioMDHR fondé par Chad & Jared Moldenhauer y débarque en 2014 avec la présentation de Cuphead, d’abord mis en avant comme un petit boss rush pour le compte de Microsoft. Se crée alors une hype énorme pour le jeu de par les promesses artistiques de ses trailers et ce n’est qu’en 2017 que Cuphead verra enfin le jour comme un Run & Gun plus complet et ambitieux qu’à ses origines en réponse aux attentes générées. Mais est-ce que le jeu a su répondre à mes attentes le concernant in fine, c’est bien à cette question que je vais répondre dans cette critique pendant laquelle je vous recommande l’écoute de Die House.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : 8 / 10
Bien évidemment, il faut d’abord parler de cette direction artistique très particulière, annoncée avec le filtre graphique façon pellicule dès le menu principal, très rétro, plus particulièrement inspirée des dessins animés des années 1930. Ce n’est pas une promesse qui m’a autant hypé que certains qui ont trouvé cette idée géniale, comme s’ils l’avaient attendu des années durant sans même oser en parler, mais il faut bien admettre que même si on y adhère pas pleinement comme moi, c’est un choix esthétique original et la maîtrise du sujet est des plus grandes.
Le chara-design des personnages jouables fait également preuve de cette belle originalité avec ces espèces de tasses sur pattes tout en s’inscrivant totalement dans la direction générale avec cette réinterprétation du design de Mickey Mouse quant à leur tenue. Il contribue à lui seul à conférer une certaine identité visuelle au titre tant c’est singulier et plutôt loufoque. Bien évidemment, cet aspect loufoque des cartoons de l’époque est complètement retranscrit dans le chara-design des ennemis et plus particulièrement des boss qui sont très soignés à ce niveau-là, et pas seulement.
La grande force technique du titre se trouve dans les très nombreuses animations faites à la main des ennemis et boss rencontrés qui sont absolument folles. Que ce soit pour leurs attaques, leurs changements de forme, leur défaite… c’est un vrai plaisir de les découvrir et le jeu arrive constamment à surprendre sur la question. Le premier-plan dans son ensemble est ultra dynamique et c’est très impressionnant à un tel degré, même vu le support de Microsoft, les capacités de la Xbox One et les années de développement prises, c’est une vraie réussite.
Les thématiques environnementales sont ultra-diversifiées, très bien choisies selon l’univers et illustrés par de très jolis arrières-plan en aquarelle qui arborent des couleurs qui se détachent pleinement du premier plan pour ne pas nuire à la lisibilité au combien essentielle. Et même si ça fait preuve d’un peu moins de dynamisme, encore heureux presque sinon ça serait surchargé, il y aussi des petits mouvements qui peuvent s’y observer et ils ont même réussi à caser un peu de lumière dynamique discrète à l’occasion, démontrant un soin du détail absolu.
L’OST, composée par le musicien Kristofer Maddigan, sans expérience dans l’industrie vidéoludique, fait profiter au titre d’une ambiance décomplexée et feel-good avec une forte influence jazz qui entre assez bien en contraste avec la mise à l’épreuve que constituera souvent le gameplay, ce sur quoi on reviendra plus tard. Certaines parties de mélodies peuvent aussi faire de belles références à l’histoire du jeu vidéo, comme une partie du thème Funfair Fever qui reprend le Athletic Theme de Super Mario World, ce qui est toujours plaisant à l’oreille d’un gamer.
Si ma sous-note n’est pas plus élevée que ça pour cette catégorie qui a séduit tant de joueurs, c’est vraiment que c’est le concept même qui ne m’impacte pas tant que ça de façon subjective, ce à quoi je m’attendais. Néanmoins, je reconnais sans problème que réalisation comme esthétisme sont grandement maîtrisés à tout égard. Voyons maintenant si ça se vérifie également pour les autres catégories de cette critique ou si c’est vraiment ça la plus grande réussite de Cuphead, ce qui serait déjà très bien en soi mais peut-être pas assez pour en faire un grand jeu.
GAMEPLAY / CONTENU : 8 / 10
D’abord et avant tout un Run & Gun, dans la lignée de saga comme Contra ou encore Metal Slug, le maniement est simple et intuitif, notamment grâce à la possibilité de mapper les touches en toute liberté, ce qui est d’autant plus appréciable dans un jeu aussi exigeant. Quelques éléments apportent un peu de richesse à cette formule, avec différents tirs possibles pour s’adapter à toutes les situations (de courte à longue portée, de trajectoire rectiligne à en cloche…), une capacité à usage limité et un bonus permanent à choisir parmi une sélection de bonus possibles… Quant à la mécanique dite de Parry, elle est intelligente mais assez sous-exploitée à mon goût.
J’adore cette possibilité offerte de rebondir en plein saut sur des ennemis et projectiles bien particuliers, identifiés par un code couleur très clair, mais les occasions d’enchaîner ces sauts sont assez peu fréquentes et la norme c’est quand même les ennemis et les projectiles qui y sont immunisés. Et si la lisibilité est excellente concernant cette mécanique, j’aurais aimé qu’elle le soit autant avec un feed-back visuel ou sonore indiquant plus précisément l’intensité des dégâts de nos tirs, qui peuvent aller de nuls à dévastateurs sans que rien ne nous l’indique en dehors de la durée nécessaire pour vaincre la cible, un indicateur pas très précis.
C’est aussi un Shoot Them Up par moment qui met un peu de côté cette richesse avec seulement deux maniements, deux tirs possibles et deux capacités à usage limité sur toute l’aventure. C’est un peu dommage car si ces phases sont assez réussies, elles sont implémentées de façon un peu abrupte et elles sont un peu pauvres en possibilités comparées aux phases en Run & Gun. J’aurais aimé plus d’options de personnalisation de l’armement de l’appareil et pourquoi pas de son maniement répartis sur l’ensemble de l’aventure, mais ça n’enlève rien à la qualité de ces phases encore une fois.
Par contre, le jeu a vite gagné une réputation de difficulté infernale et il faut bien reconnaître que c’est le cas. Cette difficulté est quasi-immédiate une fois passés le tutoriel, le premier niveau et le premier boss, qui représentent donc même pas 5 % du jeu. C’est vraiment une formule easy to play mais hard to master tant les solutions sont assez évidentes en théorie et que les commandes restent très simples. La mort est inévitable tant certaines attaques sont parfaitement imprévisibles tant qu’on ne se les est pas pris au moins une fois, mais comme les combats de boss ne durent jamais plus que 2 ou 3 minutes, ça ne fait jamais perdre de longues sessions de jeu.
La difficulté n’est jamais un réel soucis, c’est simplement un parti pris ludique radical qui ne s’adresse pas à tout le monde. Par exemple, si les patterns peuvent contenir certaines variations d’un run à un autre, ils gardent une même structure pour ne pas gêner l’apprentissage, si on joue en coop, les dangers sont les mêmes en plus nombreux… toujours difficile mais toujours juste. Il y a seulement quelques légers problèmes d’équilibrage, comme le fait qu’un seul bonus permanent soit possible et que l’un, disponible très vite, est objectivement bien plus intéressant que tous les autres, mais ce n’est pas bien grave non plus.
Il y a aussi le fait que certains bonus comme des filtres graphiques ne peuvent être obtenus qu’en toute fin de jeu et en difficulté maximale, j’aurais aimé pouvoir les débloquer plus facilement et plus tôt, mais c’est anecdotique aussi. D’ailleurs, la difficulté maximale peut être très astucieusement générée par des petites idées originales comme des variations dans le défilement du scroling durant le boss. On est vraiment face à un gameplay aux bases très solides et globalement très bien équilibré, limité par des ajouts qu’on sent bien imprévus dans la formule d’origine et pas très bien implémentés en plus d’une difficulté qu’il faut accepter vite très élevée plutôt que progressive.
SCENARIO / NARRATION : 7 / 10
L’introduction montre tout l’humour et le message simpliste mais plaisant du scénario de Cuphead. Sanctionnant l’appât du gain facile, nos deux héros ont un prétexte tout trouvé pour combattre une série de boss sans qu’il n’y ait besoin d’interrompre ça avec plein de phases de dialogue sans intérêt, il y a juste une intro, une quête qui suit son cours gentiment et une conclusion. C’est un cheminement minimaliste parfaitement en accord avec ce genre de jeu qui ne s’embarrasse rarement d’un scénario très ambitieux, et il trouve quand même moyen d’y puiser des qualités.
On trouvera notamment une multitude de références aux artistes, aux décors, aux personnages... des dessins animés de l’époque inspirant l’univers du jeu ainsi qu’à des jeux rétros, en parfaite adéquation avec le public visé donc. Il faut vraiment avoir une connaissance très élevée et une observation très fine pour en relever ne serait-ce que la moitié mais c’est quelque-chose que j’apprécie tout particulièrement tellement cette source d’inspiration était au cœur des promesses du titre et de sa proposition finale.
Si l’humour est souvent une qualité des scénarios réussis de ce genre de jeu, le scénariste a su s’inscrire dans cette logique grâce aux répliques humoristiques des boss quand ils nous tuent et selon à quelles formes. Il y a bien quelques répliques qui sont moins inspirés que d’autres, mais elles sont souvent sympas et jouent bien leur rôle de provocation pour le joueur qui veut en découdre derrière ça. Étant donné qu’il faut bien trouver des moyens de motiver le joueur à persister malgré parfois ses dizaines d’essais infructueux sur un boss, ce genre de démarche peut être assez pertinente même si bien sûr, ce n’est pas ce qui est le plus déterminant.
On retrouve aussi une narration originale avec des petites histoires dans les passages d’une forme à une autre pour certains boss, deux bêtes qui se relaient à la manière de Tom & Jerry, une comédienne qui vit différents actes d’une pièce de théâtre représentant les différentes phases d’une vie… C’est vraiment ultra sympa tant c’est subtil et parfaitement dans la thématique principale du jeu. Ça permet de donner un peu plus de caractérisation aux boss et ce n’est pas rien tant ils sont mis en avant comme stars du jeu ou presque.
Enfin, j’ai bien apprécié le petit twist final qui est le seul vrai rebondissement de l’intrigue :
Qu’on ait le choix après avoir vaincu Mr King Dice de combattre le diable ou de lui vendre notre âme amène deux endings clairement identifiés : un bon et un mauvais. Rien de révolutionnaire en soi dans un jeu de 2017, mais c’était parfaitement imprévisible et cohérent in fine. Cuphead et Mugman ont tellement peu de background pour en faire des parangons de vertu que le fait qu’ils puissent faire un tel choix ne pose pas spécialement de problème et comme le scénario simpliste s’est déroulé de façon linéaire jusqu’ici, un choix proposé prend forcément par surprise, ce qui est tout de même bien vu.
D’autant que le good ending prend du coup plus de sens parce qu’il ne suffit pas seulement de vaincre le boss final pour le déclencher mais d’avoir la motivation de vaincre ce seul boss facultatif malgré la frustration qu’il peut générer. Par conséquent, la bonne fin est vraiment ressentie comme telle après cette mauvaise fin forcément expérimentée par curiosité dans un premier temps. On est pas seulement récompensé pour notre skill mais aussi pour le fait que l’on soit aller jusqu’au bout sans jamais aller à la facilité, ce qui est une mise en abîme légère mais pertinente.
CONCLUSION : 8 / 10
Si c’est surtout la direction artistique originale et soignée qui a retenu l’attention des joueurs dans un premier temps, Cuphead c’est surtout un Run & Gun au challenge élevé mais juste grâce à un maniement simple mais efficace et surtout grâce à des boss très diversifiés et ambitieux. On voit bien les limites de certaines phases de jeu moins maîtrisées que d’autres mais qui jamais ne deviennent de véritables défauts et un scénario qui certes ne vole pas très haut mais est très agréable et pertinent dans ses choix pour son genre et son public.