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Si les récits interactifs conservent une place au sein de la sphère vidéoludique, les FMV (Full motion video) connaissent, encore aujourd’hui, une critique acide. Il faut dire que le genre s’est surtout fait connaître, par le passé, par des productions jouant (ou s’embourbant) dans un habillage digne d’un film de seconde zone. La plupart d’entre vous a sûrement retenu les titres présentés par Joueur du Grenier dans sa vidéo dédiée au sujet : un jeu d’acteurs exagéré, un récit nanardesque… Autant d’éléments qui auraient pu reléguer le genre au placard.


Plusieurs studios tentent de lui redonner un second souffle. On peut citer notamment Erica qui nous amenait à enquêter sur les secrets d’un hôpital psychiatrique, Telling Lies et son investigation digne d’un thriller ou encore I Saw Black Clouds se penchant sur le mystère entourant la mort d’un protagoniste.


L’investigation, la recherche de la vérité et les explications aussi bien réalistes que ésotériques semblent former un terreau idéal pour la nouvelle génération de FMV. Si aujourd’hui on se penche sur la dernière production de D’Avekki, le studio s’est déjà essayé au genre par deux fois.


The Infectious Madness of Doctor Dekker vous permet d’incarner un psychologue recueillant les confessions et déboires de ses patients. En plus de choix proposés par le jeu, vous êtes libre de mener vos propres interrogations que ce soit par des phrases complètes ou des mots-clés. Meurtre, manipulation temporelle et ambiance lovecraftienne s’ajoutent à cette mécanique. Second opus, The Shapeshifting Detective penche encore plus vers le fantastique avec un enquêteur métamorphe capable de copier l’apparence des autres : un outil parfait pour élucider les affaires qui lui sont confiées ! A chaque partie lancée, le coupable est différent ce qui évite de connaître la solution par avance.


A l’heure actuelle, je n’ai essayé aucun de ces titres mais c’est un écueil que j’espère combler car leur concept même est intriguant.



August, une ville pleine de secrets



Dark Nights with Poe and Munro est donc la dernière production en date de D’Avekki. Le surnaturel n’est guère loin et prend place ici dans la ville d’August. On suit le quotidien de deux présentateurs radio, Munro et Poe. Loin d’être banale, leur émission recense les disparitions et évènements étranges en ville, proposant aussi bien des récits dans la même veine (comme des lectures des nouvelles d’Edgar Poe) que inciter leurs auditeurs à confier leurs secrets honteux et se pencher sur leurs rêves et cauchemars.


Se découpant en six épisodes, chacun d’eux est l’occasion de confronter le duo à un événement imprévu qui, selon les choix du joueur, pourra pencher vers une explication rationnelle… ou non.


Le découpage fait songer à ces séries télévisées où ce sont les personnages principaux qui constituent le fil rouge. Si quelques éléments viennent tisser un semblant de chronologie, ils demeurent très ténus et peuvent même être ignorés selon la direction prise par le joueur. Chaque épisode dispose de plusieurs fins, certaines en révélant plus que d’autres sur les dessous de l’affaire et, surtout, se révélant plus logiques pour la chronologie de l’intrigue globale. Toutefois, chaque épisode peut être presque vu indépendamment tant les liens demeurent faibles.


Les affaires contre lesquelles sont confrontées Poe et Munro puisent dans de nombreux folklores et le jeu ne lésine guère sur les références. Le surnom de Poe est plus qu’évident, souligné par la tasse portant son nom dont la face inverse s’orne d’un “Not Edgar”. Un individu se présente comme membre de l’organisation D&D, un sigle qui évoque à Munro le fameux jeu de rôle Donjons & Dragons. Une scène de danse entre Poe et Munro s’accompagne d’un remix de la chanson Au beau milieu d’un rêve de La Belle au Bois dormant de Disney.


On a aussi bien droit à du folklore traditionnel tels que les dryades et les loups-garous, mais aussi à des êtres plus immatériels comme un esprit pouvant réaliser un souhait contre un prix à payer. Les précédentes productions du studio sont même de la partie. L’épisode 4 intitulé Tout le monde change se place directement au sein de The Infectious Madness of Doctor Dekker. Remplaçant le fameux docteur, nous voilà face à une jeune femme qui a assisté à un meurtre et capable de lire dans les esprits… Violet, une des protagonistes de The Shapeshifting Detective, est présente durant l’épisode 3 Vert de jalousie. Loin de se contenter de proposer divers jeux, D’Avekki rassemble ses créations dans un seul et même univers. De quoi adresser des jolis clins d’œil à leurs joueurs fidèles et intriguer les autres.


Si Dark Nights with Poe and Munro se penche sur des thèmes sombres mentionnant aussi bien des assassinats que des rencontres du troisième type, l’opus ne verse jamais dans l’excès. Le cadrage permet de comprendre ce qui se trame sans jamais s’étaler dans la violence à outrance ou l’hémoglobine à foison. Les scènes les plus cruelles sont soit décrites (comme dans l’épisode 4, peu avare en détails selon votre avancée) ou mises en scène de telle façon que l’indicible soit compris en sobriété, ou coupé avant le moment opportun. Le meurtre commis pour le premier épisode n’est pas filmé directement et la cruauté du geste est souligné par l’obscurité mâtinée d’un éclairage rouge. Pour autant, je déconseille l’opus aux âmes les plus sensibles : l’aspect lovecraftien du Doctor Dekker se ressent pleinement dans l’épisode 4.


La mise en scène demeure aussi un des points forts du jeu. Loin de se contenter d’un simple écran fixe, Dark Nights with Poe and Munro va proposer des découpages qui ne sont pas sans rappeler la bande-dessinée pour mettre en avant les choix proposés aux joueurs. L’éclairage a aussi une place importante : l’épisode 3 alterne ainsi le jour et la nuit, et les scènes d’obscurité ne font qu’ajouter une chape de plomb sur une course contre la montre menée par Poe et Munro. Quant à l’épisode 4, la froideur du cabinet du psychologue souligné par le vert bouteille comme couleur dominante tranche avec la réalité de Poe et Munro, plus chaleureuse.


Véritable fil rouge de tous ces périples, le duo Munro et Poe est au cœur de l’opus. Si Leah Cunard (Munro) a surtout œuvré chez D’Avekki Studios, Klemens Koehring (Poe) a un palmarès derrière lui ayant travaillé sur de nombreux documentaires, du doublage dans le domaine du jeu vidéo ou encore des films.



Un duo complémentaire et soudé



Loin d’être simplement amicale, la relation entre Munro et Poe se révèle ambivalente selon les choix du joueur et, surtout, démontre un lien profond. On apprend rapidement que les deux individus sont amants et que certains obstacles empêchent pleinement vivre ce lien : un thème qui reviendra sur plusieurs épisodes et trouvera son élucidation (ou non) dans l’ultime épisode. Poe se présente comme un présentateur radio fantasque qui ne cache nullement son attrait pour le surnaturel. L’homme n’hésite jamais à sortir une théorie alambiquée pour expliquer un phénomène. Munro se montre plus pragmatique, va chercher à enquêter plus avant. Ce qui ne l’empêchera pas de se lancer parfois à corps perdu face au danger ou de se montrer trop curieuse.


Le duo joue sur l’exagération des propos lors de leurs animations à la radio, se permettant des traits d’humour. Le cabotinage des acteurs fait rire plus d’une fois mais ne va jamais dans cet excès qui pourrait rendre le récit complètement nanardesque. Poe est un individu fantasque par nature. Quant à Munro, si elle agit en ce sens, c’est pour se parer d’une image d’animatrice séduisante pour s’amuser des réactions de Poe. (Le jeu du chat et de la souris, vous connaissez ?)


Le casting secondaire n’est pas aussi développé puisque la plupart des protagonistes n’apparaissent que le temps d’un épisode. Ils sont souvent cantonnés aux rôles soit de témoins, soit de potentiels coupables.


Si on ne la voit que peu, malgré que chaque épisode soit l’occasion d’un changement de décor, c’est la ville d’August qui intrigue le plus. Elle semble être l’épicentre d’un grand nombre d’évènements inexpliqués. Depuis quand ces récits ont pris place dans la ville ? Une malédiction pèse-t-elle sur les habitants ? Ces interrogations demeurent volontairement irrésolues. La ville est un personnage à part entière, apportant plus de questionnements à chaque épisode.


En tant que film interactif, le gameplay demeure très basique ce qui permet aussi au titre d’être accessible aux plus néophytes. Un seul bouton permet de valider les choix. Dark Nights with Poe and Munro ne s’embarrasse pas de texte explicatif. Les choix sont symbolisés par des sphères qu’il vous faut sélectionner puis accepter en appuyant sur le bouton. A certains moments, vous devez appuyer plusieurs fois sur la touche pour vous défaire d’une emprise, éviter une attaque… Si l’obligation de répondre dans un temps donné vous angoisse, l’opus propose une option qui fige l’écran une fois le temps écoulé afin de valider votre choix en toute quiétude.


L’absence de texte permet d’éviter toute incrustation externe dans l’opus mais, du coup, rend certains choix peu clairs avant de les avoir effectués. Pour autant cela ne freine rien l’avancée et on se surprend à prendre certains choix par réflexe, comme envoyer un personnage précis enquêter sur un bruit inconnu, ou refuser d’approcher une porte s’ouvrant sur un lieu inconnu. Et il y a un petit côté surprise de sélectionner un choix sans avoir de texte résumant/indiquant ce que le personnage va dire/exécuter.


Si le doublage demeure entièrement en anglais, l’opus propose une traduction en français et la possibilité d’agrandir les sous-titres. Notez que si vous mettez la police de caractère à son maximum, le texte sort de l’écran et se retrouve tronqué. Cela n’arrive que rarement, mais suffit pour briser la lecture, le temps de deviner les mots manquants. Dommage.


Certains épisodes viennent briser la routine du gameplay. L’enquête de l’épisode 3 nous renvoie régulièrement à une carte de la ville, avec mise en avant des témoins à consulter. Quant à l’épisode 4, il faut choisir des symboles pour discuter avec Elizabeth : on communique avec la jeune femme par la pensée et par le biais d’images mentales.


Loin de se contenter de quelques variations de scènes, la conclusion et même le déroulement d’un épisode peut changer du tout au tout selon vos choix. Le dernier épisode propose ainsi deux voies complètement différentes selon le souhait formulé par Poe. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres : je vous conseille donc de refaire chaque épisode avec des choix opposés à votre premier essai pour découvrir d’autres pans de l’histoire. Chaque épisode se conclut avec un résumé des choix importants et les statistiques de l’ensemble des joueurs. Un moyen ludique de visualiser d’autres possibilités de résolution de l’affaire.


Comptez environ 4 heures pour réaliser l’ensemble des épisodes une première fois. Selon vos choix, certains peuvent voir leur durée doublée passant de 20 minutes à 40. Si vous souhaitez découvrir toutes les variations possibles, il vous faudra totaliser au moins 2-3 heures de plus.



Une chasse aux trophées en accord avec le titre



Les trophées viendront récompenser les joueurs qui tentent de découvrir les différents pans de l’histoire. Sans pour autant pousser les joueurs à voir toutes les scènes possibles, la liste amène à exécuter des actions précises et à découvrir certaines variations. Seuls quelques épisodes vont requérir d’être accomplis entièrement plusieurs fois. On retrouve là une composante typique des trophées des jeux narratifs qui plairont à tous ces joueurs curieux de découvrir tous les embranchements. L’opus permettant en plus de relancer les épisodes indépendamment, la chasse se fait avec plaisir et peut même être couplée à de courtes sessions.


Dark Nights with Poe and Munro a la saveur de ces séries télévisées où un duo improbable se confronte à des évènements atypiques. Si chaque épisode peut s’expliquer rationnellement, il subsiste trop de zones d’ombres pour ne pas nier l’aspect surnaturel. Et puis l’explication d’une présence non humaine n’est-elle pas plus attirante ? Le duo d’acteurs derrière Munro et Poe apporte un dynamisme certain à toutes ces histoires. L’opus m’a donné envie de m’essayer aux autres productions de D’Avekki. J’espère revoir le duo sur d’autres affaires et en découvrir plus sur August à l’avenir. Loin d’être cantonné aux années 80-90, le FMV continue à mener son petit bonhomme de chemin et D’Avekki apporte sa pierre à l’édifice.

So-chan
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le 19 mai 2021

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