Critique publiée à l'origine sur Etoile-et-champignon.fr
Après un premier run en solo terminé il y a deux ans, nous revisitions Dark Souls 3 en coopératif cet été avec l’idée de boucler une boucle « From Soft » quand arrivera le remake de Demon’s Souls par Bluepoint. Il ne s’agit pas ici d’écrire une critique exhaustive du jeu, mais plutôt de donner notre impression après avoir parcouru les autres titres du studio depuis Demon’s Souls, et reconstitué un semblant de chronologie de leurs progrès et concessions.
La première chose qui frappe, c’est à quel point Dark Souls 3 semble cousu avec les chutes de Bloodborne, dans sa foulée créative. Cela pourrait sembler une pique, mais ce n’en est pas une : le « jeu d’avant », en creusant le filon de Dark Souls dans le sens d’une action plus nerveuse, et en affirmant son penchant pour les belles architectures occidentales d’avant le 20ème siècle, avait trouvé une inspiration visuelle et ludique qu’un seul jeu n’a pas suffi à tarir ; on peut comprend que From Soft ait voulu profiter de cette lancée, et la réussite de beaucoup de moments de Dark Souls 3 donne raison au studio : il y avait bien la place pour un bon jeu-duplique, l’équivalent d’un album de « faces B » de Bloodborne. En atteste certaines de nos zones préférées, comme le poussiéreux Camp des Morts Vivants, village de guingois fortement inspiré d’Hemwick Charnel Lane ; ou encore la ville d’Irithyll et son entrelacs de ruelles au calme trompeur, pendant hivernal de Yharnam par son architecture néo-gothique et son level-design intriqué.
C’est aussi, de façon évidente, le système de jeu qui ravive la mémoire de Bloodborne et son accélération de l’action, bien qu’une approche « défensive » du combat reste possible à minima (le « bouclier levé » à chaque tournant reste un bon réflexe). Dans DS3, les ennemis sont presque tous nerveux et agressifs, incitant à rentrer dans une danse plus rapide sur le rythme de leurs coups : certains boss rendent ce constat immanquable, comme les Veilleurs de l’Abysse qui ressemblent à des Chasseurs jusque dans leur schéma d’attaque, ou les quadrupèdes Vordt et Oceiros aux airs de grandes bêtes, les poils en moins. Pour certains joueurs, l’effet de redite sera de trop ; nous ne partagerons pas leur avis, tant le fait de retrouver une pratique de l’esquive-limite, en « plongée » à travers les coups de l’ennemi, parvient à relancer les grandes satisfactions de Bloodborne liées, encore, à la précision et la lisibilité d’une action matériellement pesante et conséquente, comme rarement ailleurs.
Ceci étant dit, le fait d’avoir terminé Demon’s Souls dans l’année nous a aussi fait sentir le poids d’ un succès qui semble avoir formaté le développement de Dark Souls 3, en l’alignant sur les attentes supposées de « son » public- des combats toujours plus spectaculaires, comme dans un shônen -. On est ainsi rarement surpris par ses lieux, qui ne sont que le raffinement d’autres endroits déjà-joués pour la plupart, quand Demon’s Souls et Bloodborne frappaient la mémoire par leurs écarts les plus fous et insécurisant. Ici, rien n’égale le sentiment d’isolement et de perte de repères ressentis dans la Tour de Latria (DS) ou Yahar’Gul (BB), et l’on ne fait qu’y frôler le vertige d’une aventure « dans la profondeur d’un décor », dans l’enchaînement qui va des Catacombes (reprise de la Forteresse de Sen) à la capitale Profanée. Entre les grands moments – il y en a -, l’impression de redite est fréquente, avec le château de Lothric par exemple, reprenant joliment mais sans folie le thème du bastion médiéval original de Demon’s Souls, ou bien l’énième marais empoisonné qui, sans jeu de mot, est ici le moment d’un embourbement maximal (de l’inspiration visuelle, de l’intérêt ludique).
Aucune séquence n’égale l’étrange beauté du combat contre une raie géante et sa myriade de rejetons voilant le ciel de leur vol faussement paisible (dans DS) ; aucune zone ne fait se sentir perdu au bout d’un chemin improbable, comme l’était cet enchevêtrement de tunnels et de cavernes creusés au cœur d’une montagne jusqu’à un étonnant palais souterrain (dans DS encore) – l’équivalent du cru, le Lac Iridescent, est sa zone la moins réussie -. En se concentrant si fortement sur son action, DS3 évente incontestablement l’intention initiale du premier des Soulsborne, qui nous confrontait à des situations toutes différentes et souvent étonnantes, au premier rang desquelles des combats de boss conçus comme des énigmes.
Mais DS3 n’est pas pour autant dénué de grands moments, qui vont souvent de pair avec des zones réussies : on apprécie tout particulièrement la gigantesque Cathédrale des Profondeurs, qui prend un malin plaisir à délayer la découverte de son intérieur par un long cheminement enroulé autour de sa façade. Autre sommet, la Capitale Profanée se découvre comme un joyau architectural perdu au fond d’une caverne, reliée au reste du monde par de minces passerelles ne tenant qu’à un fil. Encore plus cachée, le Pic du Dragon Ancien est peut-être le lieu le plus réussi du jeu d’origine, avec sa belle forteresse en pierres blanches bâtie dans le direct prolongement d’une crête abrupte. Quant au dernier DLC, il conclut l’aventure sur une très haute note avec la stupéfiante Cité Enclavée, dont les panoramas quadrillés de dômes « Renaissance » et de façades baroques témoignent du talent des artistes du studio à digérer les vieux centres urbains des grandes villes d’Europe en visions cyclopéennes et délirantes.
Sans surprise, DS3 tire aussi ses meilleurs moments de ses boss, comme les mémorables Veilleurs, Sulhyvan ou le Roi sans Nom, qui taillent une action toujours plus fine et précise à mesure que l’on s’approche de la fin. Certains ennemis tiennent même du chef d’œuvre : l’inoubliable Danseuse de la Vallée Boréale, dont les amples coups au timing étranges coupent littéralement le souffle par leur beauté fatale ; ou encore Sœur Friede, le dernier boss du premier DLC, qui manipule une faux imprégnée de magie noire avec une grâce folle. A ce même niveau d’excellence et de beauté, le dernier DLC offre la conclusion la plus impressionnante des Soulsborne avec deux boss phénoménaux, Midir et Gael, qui parachèvent ce qu’il semble possible de proposer avec le système des Souls. Si le combat contre Gaël est un bouquet final mêlant coups enflammés et tempête d’éclairs, celui contre le dragon Midir est le pinacle du monumental : entre la taille du saurien, ses traversées furieuses de l’arène et le spectacle « son et lumière » de sa fulmination-laser, tout concourt à faire du combat un moment sidérant, aussi beau qu’hystérique, dont on ne sort victorieux qu’en domptant sa panique et en trouvant le courage de faire face (littéralement) à ses attaques. Si l’on ne devait retenir qu’un moment de toute la série des Souls, ce serait celui-ci, ce qui pourrait presque suffire à conseiller la longue et éprouvante traversée du jeu par ailleurs généreux en gratifications.
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