En trois déclinaisons (Demon’s Souls, Dark Souls, Dark Souls II), la série créée par le studio From Software s’est constituée une communauté d’irréductibles galvanisés par des valeurs qu’on pensait oubliées : la mort à répétition pour credo, la persévérance dans l’effort pour finalité. Dark Souls III vient clore une aventure doloriste entamée en 2009 et dont la philosophie de jeu qui a irrigué une partie considérable de la production qui a suivi. Éprouvant, Dark Souls III l'est toujours, tout en étant désormais empreint de la vélocité des affrontements de Bloodborne et de vestiges de son esthétique qui fait se succéder à l'exubérance baroque de Dark Souls et l'étrangeté fantastique de sa suite directe un romantisme noir qui lorgne vers le grotesque, sans se départir de ses racines japonaises avec une irruption plus flagrante encore des lieux communs de l'univers graphique de Kentarō Miura.
De cette célérité nouvelle résulte un changement de perspective ludique et cognitive pour le joueur, qui doit se réapproprier les mécaniques d'une série dont la formule commençait à se montrer prévisible. Un chemin de croix virtuel qui n'abandonne pour autant pas le caractère extrêmement punitif de joutes toujours stratégiques, où vient désormais se deviner une fébrilité qui vient souligner l'urgence eschatologique d'un univers dont le cycle des cosmogonies itératives semble être arrivé à terme de son horizon apocalyptique. De cette esthétique de l'épuisement, From Software joue allègrement : Dark Souls III est aussi une aventure nostalgique et mélancolique. Si le premier opus invitait le joueur à appréhender les mystères et les paradoxes d'un univers enfoui dans ses pandémoniums infernaux et ses cathédrales mystiques, mais dont on peinait à deviner la grandeur passée, Dark Souls III le fait méditer sur le devenir cyclique, et tragique, du royaume parcouru en 2011. Là où le second opus opérait un déplacement thématique et esthétique pour ne pas souffrir de la comparaison avec son géniteur, Dark Souls III est le jeu de la multiplication des références qui viennent établir une connexion idiosyncrasique entre le joueur et le royaume déchu, autant qu'une communauté esthétique toujours fascinée par les secrets contenus dans cet univers catacombal à la temporalité désaxée.
Pour autant, Dark Souls III ne repose pas sur la seule multiplication des clins d’œil et un tel dispositif ne sert qu'à constituer la relation bien particulière qui unit le joueur à ses souvenirs, car Dark Souls est plus que toute autre la série de l'indice, du ressouvenir, de l'amnésie de ce purgatoire virtuel.
Pour les nouveautés, il faut compter sur des affrontements contre des boss majestueux, les meilleurs de la série à ce jour, empreints d'une frénésie, d'une majesté et parfois d'une tristesse qui font honneur aux armoiries de la série. Et sur une architecture des environnements, dont Lothric est comme le point de convergence de tous les carrefours charogneux, qui vient concilier la subtilité interconnectée du premier opus et l'horizontalité de Demon's Soul. Des données dans la composition de ce chef d’œuvre final qui lui garantiront de transcender les époques et de nourrir une rejouabilité qui vient embrasser avec cohérence et précision ce tragique de la répétition cyclique. La flamme prométhéenne s'éteint, mais les feux de Dark Souls sont inextinguibles.