Darkest Dungeon
7.6
Darkest Dungeon

Jeu de Red Hook Studios (2016PC)

La torche frémit une dernière fois, puis s'éteint dans un sifflement. En quelques secondes, la nuit est sur nous. Une nuit d'encre, une obscurité absolue engloutissant de ses crocs avides les espoirs des sots que nous étions. Dieu me vienne en aide, je suis maintenant certain qu'aucun d'entre nous ne sortira vivant de cette folle entreprise. Et qu'il garde ceux qui viendront ensuite, qu'il les garde de rejoindre ce projet insensé, car au bout du chemin sur lequel nous marchons, il ne peut y avoir que la ruine.


Lorsque nous avons choisi de participer à cette expédition, nous ne nous doutions encore de rien. Elle prit d'abord la forme d'une curieuse missive, appelant tout volontaire cherchant l'aventure à se rendre sur les terres d'une famille au nom oublié. Le domaine était abandonné depuis bien longtemps, mais le jeune héritier souhaitait en reprendre possession. Il nous informa que ces terres étaient désormais gouvernées par les brigands et les loups. Les rumeurs chuchotaient que bien pire se cachait dans les sombres forêts du domaine, mais nous n'y prîmes pas garde. La paye était bonne, et cela nous suffisait. Comme je l'ai dit, nous étions sots.


La vieille route menant au hameau nous a semblé interminable. Lorsqu'au détour d'un virage, nous aperçûmes enfin le hameau et la sinistre ruine qui le surplombait, c'était l'appréhension, mais aussi l'excitation qui régnaient dans nos cœurs. L'intendant, un pauvre bougre au sourire dément, nous accueillit à bras ouvert.


Nos premiers travaux furent simples, mais nous donnèrent l'occasion d'observer qu'il y avait bien plus à l’œuvre sur ces terres que de simples bandits. Cet endroit suintait la corruption et la magie noire, et certains de mes camarades, peu habitués à traquer bêtes, cannibales et sorciers en arpentant d'obscures ruines et des sentiers perdus, ont préféré partir avant de succomber à l'obscure force qui semblait régner ici. Ils furent les plus chanceux d'entre nous.


A l'heure où je laisse ce témoignage, j'ai vu des hommes mourir sous les coups de cadavres réanimés par la plus obscure des sorcelleries. J'ai vu des frères d'armes rongés par la peur et la méfiance fondre les uns sur les autres et s'entretuer. J'ai vu d'immondes hybrides bestiaux, croisement de l'animal et de l'homme, et les salles souterraines dans lesquelles ils torturaient leurs pauvres victimes. J'ai vu un homme bouillir vivant dans la marmite d'une horrible mégère, dans le macabre concert de ses hurlements et des rires de cette hideuse sorcière.


Ils se rapprochent. Je prie pour que l'absence de lumière nous cache des créatures infectes qui hantent ces salles maudites. Si je dois abandonner mes camarades, je le ferais. La moitié d'entre eux ont déjà perdu l'esprit. Dieu me pardonne, je ne songe plus qu'à fuir. Et vous devriez faire de même tant que vous le pouvez.



Un peu de contexte



Update de sortie Janvier 2016 : L'année dernière, j'avais dit que ce jeu n'était pas encore fini, mais qu'il pourrait bien être mon jeu préféré de 2015. Entre temps, il s'est passé des trucs. Et n'eut été la sortie PC d'un certain 80 Days, ce serait toujours le cas. Quoi qu'il en soit, maintenant Darkest Dungeon est fini, et c'est toujours un sacré pied.


Darkest Dungeon est un dungeon-crawler médiéval gothique, influencé autant par l'univers de Warhammer que par les atmosphères lovecraftiennes. Autant vous dire que c'est sacrément dépressif.


Vous y incarnez l'héritier d'une famille noble, dont un parent éloigné s'est livré à des fouilles archéologiques un brin trop enthousiastes dans les cavernes perdues sous son vaste domaine. Ce qu'il a trouvé dans ces ruines, vous ne le savez pas. Enfin, vous vous doutez que ça doit être composé majoritairement de crocs, de buboncs et de tentacules.


Abandonnant son expédition à son sort, votre ancêtre a préféré mettre fin à ses jours dans la plus haute chambre de son manoir, non sans vous écrire une missive appelant à réparer ses erreurs et à réclamer votre héritage. Tout ce que vous savez, c'est que la région pullule désormais de toutes sortes de créatures infectes.


Qu'à cela ne tienne, vous avez décidé d'embaucher de vaillants mercenaires pour aller reconquérir votre fief. Et tant pis s'ils doivent périr à la tâche, ou s'ils deviennent fous. Ils auraient dû y réfléchir bien avant de choisir leur boulot.



A la lueur des bougies, dans l'ombre des cavernes...



Pour commencer, parlons du très gros point fort de ce jeu : la patte artistique. En 3 mots, c'est une tuerie. Les graphismes sont en 2D, dessinés à la main, et semblent tout droit sortis d'une BD. Entre le style des dessins qui s'inspire furieusement de Mike Mignola (Hellboy), et par endroits de Miller ou Frank Frazetta, et les inspirations générales que l'on a vu plus haut (Warhammer, mythe de Cthulhu), c'est un régal pour les yeux.


Plus spécifiquement, L'atmosphère repose sur un jeu constant entre ombre et lumière, une patte sombre, mais néanmoins très colorée, des effets de zoom et des animations vives qui assurent un dynamisme fort bienvenu à l'ensemble.


Et il n'y a pas de raisons que seuls les yeux profitent. Au niveau sonore, l'ambiance est assurée par des musiques discrètes, des bruitages bien sentis, et - le meilleur pour la fin - un narrateur biclassé conteur professionnel. Ce personnage, en l’occurrence votre ancêtre, va commenter l'action à coup de répliques de haute volée et vous en apprendre petit à petit plus sur la tragique histoire du donjon.


Grâce à ces deux premiers ingrédients, vous avez une ambiance qui se fera tour à tour mélancolique, oppressante, désespérée ou héroïque, mais qui ne pourra pas vous laisser indifférent.



Premières armes



Une partie de Darkest Dungeon inclut en gros deux grandes phases de gameplay :



  • Gestion / préparation de vos expéditions : le hameau en reconstruction vous sert de base d'opérations. C'est ici que vous embauchez des aventuriers en choisissant parmi 14 classes, dont vous pourrez à terme améliorer équipement et capacités. C'est aussi d'ici que vous choisissez dans quelle région vous allez lancer vos expéditions. Puis, avec le butin amassé lors de vos missions, vous aurez la possibilité d'améliorer les bâtisses du village, prodiguant ainsi divers bonus à vos mercenaires.

  • Exploration / Dungeon crawling : Une fois vos aventuriers chouchoutés, vous les envoyez par groupes de 4 dans un donjon avec des objectifs variés : exploration, nettoyage, récupération, tronchage de boss, etc. Un donjon se plie en 10 à 45 minutes, suivant sa difficulté et sa taille. Vous y progressez de salle en salle, à la lueur de votre torche, tout en pouvant interagir avec divers objets.
    Certaines salles ou couloirs contiennent des monstres, qui peuvent vous prendre en embuscade. Les combats se déroulent au tour par tour, chaque classe de personnage ayant ses propres capacités. Rien de bien nouveau jusque là.


Présenté comme ça, ça a l'air un peu classique. Mais à partir de mécaniques somme toutes pas vraiment nouvelles, Darkest Dungeon va développer son propre univers et de nouvelles règles du jeu. Là où il se démarque vraiment, c'est qu'il a pour objectif de vous amener à réfléchir sur les tréfonds de l'esprit humain et à repenser votre relation aux jeux de stratégies, par l'implémentation de plusieurs mécaniques.



Première règle : le monde n'est pas juste



La plupart des jeux sont conçus pour être gagnés. Darkest Dungeon, pas vraiment. Il va chercher à vous pousser dans vos retranchements, vous amener à réfléchir et à remettre constamment en question votre stratégie si vous ne voulez pas vous retrouver plié en deux après trois missions.


Comme dans les XCOM et autres jeux mobilisant le hasard, Darkest Dungeon fait un usage accru des jets de dés, pour à peu près tout : dégâts, capacités, soins, stuns, coups critiques, etc. Ajoutez à cela le fait que la mort d'un aventurier est définitive, et vous avez déjà affaire à quelque chose de potentiellement très frustrant. Et contrairement à certains JDR qui favorisent vos personnages au détriment des monstres, ici, tout le monde est logé à la même enseigne. Il suffit parfois de deux coups pour amener un de vos personnages à deux doigts de la mort.


Chacune des quatres régions bordant les alentours du donjon, qui est votre objectif final, sollicitera différentes approches en proposant sans cesse des ennemis aux mécanismes différents.


Idem, un système de qualités et de défauts plutôt bien fourni rend chacun de vos personnages uniques. Ces traits influent largement sur les décisions que vous devez prendre et la constitution de votre équipe : face à des morts-vivants, tel héros peut stresser deux fois plus vite, quand un autre sera à peine affecté, ne vouant qu'une haine farouche à ces créatures.


Tout est fait pour vous rappeler que vous ne jouez plus selon vos règles, et que vous êtes seul. Quand, après avoir maîtrisé des règles assez fournies, vous croyez avoir trouvé une solution passe-partout, un nouveau boss ou ennemi viendra vous démontrer que vous n'avez encore rien vu.



Deuxième règle : le véritable mal du XVe siècle, c'est le stress.



Aventurier, c'est un boulot pourri.


A la lumière des torches, en général tout va bien. La tension monte un peu, mais reste gérable. Et puis, viennent les premiers combats, les pièges vicelards planqués sous des dalles branlantes, les blessures inattendues, les embuscades en plein milieu du sommeil...


Et sans que vous vous en rendiez compte, vous avez 4 névrosés sur les bras. Beaucoup plus difficiles à gérer : les masochistes veulent prendre des coups, les paranoïaques refusent les soins et l'aide de leurs alliés, les dépressifs refusent de se battre - à quoi bon ? - et les colériques insultent leurs camarades sous le coup de la pression, malmenant l'équilibre du groupe à long terme.


Plus clairement : chaque personnage dispose d'une barre de stress. Chaque événement peut le faire monter, comme redescendre. Arrivé à 100, l'aventurier est testé : si vous avez de la chance, il réagira héroïquement et surpassera sa terreur. Si vous n'en avez pas, il craquera et adoptera un comportement aussi néfaste pour lui que pour les autres, rendant toute action de votre part plus imprévisible. Et arrivé à 200... Non, je vous laisse la surprise.


A la différence de la santé qui revient à 0 d'une mission à l'autre, vos aventuriers restent marqués par le stress tant que vous ne prenez pas les choses en main. Prière, flagellation, boisson, jeu, bordel (chacun son vice), vous disposez de nombreux moyens de faire redescendre ce stress, mais ils sont coûteux, limités et surtout, rendent l'aventurier indisponible le temps d'une, voire deux expéditions.


Non content d'être un élément thématique parfaitement intégré à l'ensemble, le stress s'avère également une mécanique redoutable pour vous empêcher de vous enfermer dans une routine stratégique centrée autour du même groupe. Demandez-en trop à vos protégés, et ils finiront par craquer.



Troisième règle : la fuite fait partie du combat.



L'une des plus grosses erreurs que vous puissiez faire dans Darkest Dungeon, c'est de croire qu'il n'y a que deux solutions : la réussite ou la mort. En fait, tout dépend de votre objectif. Bien souvent, les choses ne se mettront à dégénérer que si vous le perdez de vue. Darkest Dungeon défie la logique habituelle des jeux vidéos, celle qui vous pousse à la confrontation. Ici, vous voulez l'éviter à tout prix : vous n'y gagnez qu'un maigre butin, plus de stress et de blessures.


Chaque expédition a un coût. Torches et nourritures sont des indispensables, et une foultitude d'autres objets peuvent vous être utiles dans certaines situations. Mais tout ça revient cher, et vous n'êtes pas Crésus. Il est parfois plus rentable d'envoyer un groupe de novices à poil dans la forêt, parce que vous devez absolument soigner un de vos poulains expérimentés qui souffre d'un accès de paranoïa. S'ils s'en sortent, tant mieux. Mais soyons francs, ils ne s'en sortiront pas.


Les boss sont un autre excellent exemple de ce trait de game design. Lorsque vous allez les affronter pour la première fois, vous sautez à pied joint dans l'inconnu. Vous ne savez pas quelles sont leurs capacités, ni leur résistance. Et s'ils démolissent votre groupe, vous n'aurez fait que perdre vos meilleurs éléments. Dans ce cas, mieux vaut envoyer quelques nouveaux explorer leur antre et les faire battre en retraite, pour ensuite adapter au mieux votre stratégie.



Désapprendre tout ce que vous croyez savoir



Concrètement, Darkest Dungeon sublime l'art du game design pour proposer un challenge qui soit ardû, complexe et prenant, mais qui vienne aussi vous pousser dans vos retranchements et vous faire sortir d'une logique purement "gameuse".


A chaque étape du jeu va se mettre en place un fragile équilibre entre l'objectif que vous vous êtes fixé, vos moyens, et les merdes imprévues qui vous tombent sur le paletot. Vos décisions ont de lourdes conséquences et devant un système aussi injuste, vous n'avez qu'une solution : devenir plus efficace, plus affûté et plus


Il serait même possible d'aller plus loin et de dire que Darkest Dungeon, pris à son plus haut degré, cherche à vous faire devenir le monstre nécessaire pour détruire un mal plus grand encore.


En proposant une forme très noire et viciée du genre du rogue-like, les développeurs ne se sont pas contentés de proposer un challenge redoutable. Ils vous mettent dans la peau d'un homme qui n'hésitera pas à sacrifier des innocents pour parvenir à ses fins. Chaque personnage, même s'il a ses propres traits, ne deviendra bien vite qu'un outil de plus, dont la valeur ne se mesurera qu'à sa capacité à accomplir votre objectif.


Si cet aspect n'est pas aussi poussé qu'il pourrait l'être et reste avant tout un élément de gameplay, il renvoie immanquablement à l'aspect déshumanisant de n'importe quelle grande entreprise humaine, et à la rapidité avec laquelle un responsable peut remplacer les hommes sous ses ordres par des suites de chiffres et de statistiques. N'allez pas voir une critique sociale poussée dans ce Darkest Dungeon, mais sachez que les thèmes qu'il brasse peuvent être la base d'une réflexion intéressante.


Enfin, si vous arrivez à y survivre.



A retenir




  • Ambiance ++++ : Un univers en proie au chaos et à la folie, dans
    lequel chacun se verra confronté aux horreurs maléfiques qui hantent
    la région, mais aussi à celles qui se nichent au plus profond de son
    cœur.

  • Difficulté ++++ : Oh bordel, c'est violent. Il vous faudra maîtriser
    stratégie pour les combats, faire preuve de jugeote pour savoir quand
    vous arrêter tout en gérant en plus votre roster et l'évolution de votre hameau. Et vous n'êtes pas à l'abri d'un coup de malchance.

  • Gameplay ++++ : Des mécaniques testées et originales, qui permettent
    de très nombreuses synergies et expérimentations. Chaque zone encourage l'expérimentation et la redéfinition constante de sa stratégie.

  • Graphismes +++ : Ce jeu ne vise pas l'ultra réalisme. Et tant mieux,
    parce que ses graphismes dessinés à la main lui assurent de vieillir
    bien mieux que ne le feront beaucoup de blockbusters du milieu.

  • Scénario ++ : Scénario prédéfini, qui s'il ne semble être qu'un prétexte, a l'air d'être plus riche qu'il n'y paraît. Vaut surtout pour la manière dont ses personnages agissent face au pouvoir, à l'horreur et à la soif de connaissance.

  • Rejouabilité +++ : Darkest Dungeon est conçu pour être long, brutal et sans concession. S'il implique beaucoup de répétitivité, il met aussi un point d'honneur à varier les challenges et se montre du coup assez addictif.

Hamsolovski

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