Death Stranding est le dernier jeu estampillé Kojima, un créateur controversé qui a su marquer l'histoire du jeu vidéo par la série Metal Gear et son amour pour les mises en scène soignées. Annoncé comme un jeu d'un genre nouveau, où notre personnage est amené à livrer des paquets en traversant un environnement hostile, il est en susbtance un amalgame d'un simulateur de randonnée, d'un Elite Dangerous (pour le côté livraison de paquet), d'un Minecraft (lite) et d'un Dark Souls pour le côté en ligne asynchrone, le tout saupoudré par un scénario fortement mis en scène avec des acteurs connus qui ont bien servi à faire la promotion du jeu. Le joueur, doit ici, reconnecter une société éclatée, suite à un évènement apocalyptique, en livrant des colis à des abris isolés.
La grande force de DS (Death Stranding), est qu'il parvient à mélanger différents types de jeux dans les bonnes proportions et en gardant le meilleur de chacun pour procurer au joueur une expérience grisante et addictive. Malheureusement, un ensemble de défauts plus ou moins rébarbatifs viennent ternir l'ensemble et auront sûrement raison de la patience de certains. Le jeu peine en effet à se trouver une identité et oscille entre le jeu système pur (simulateur de livraison) et un jeu d'action/aventure à narration forte comme pourrait l'être un Uncharted, ce qui ne satisfera pleinement aucun des deux publiques concernés.
Je commencerais cette critique en abordant les points qui semblent être la force du jeu, à savoir un savant mélange de mécaniques à la progression bien dosée qui s'exprime pleinement dans un environnement open-world, qui n'est pas ici qu'un décor mais un véritable élément de gameplay. Je m'attaquerais ensuite, aux points qui me semblent plus controversés, comme le rythme de l'aventure, des incohérences de design qui viennent ternir l'aventure et le scénario en lui-même. Enfin, j'évoquerai la place que DS prend aujourd'hui dans le media.
Un savant mélange de mécaniques
DS est avant tout un simulateur de livraison, qui va vous demander de livrer des paquets d'un point A à un point B, comme pourrait vous le demander un Elite Dangerous. Si sur le papier, la proposition peut paraître peu intéressante, c'est probablement parce que nous avons tous trop pris l'habitude d'open-world qui ne font office que de décor et où voyager ne requiert aucune attention de notre part. Ici ce n'est pas le cas, le terrain est souvent accidenté, entre-coupé de cours d'eau et de créatures hostiles qui pourraient bien rendre votre livraison compliquée, et se solder par la perte ou la destruction de vos paquets, et donc l'échec. Car oui, comme tout bon livreur (sauf colissimo), l'état des marchandises, que vous portez, compte et vous serez amené à transporter des colis fragiles qui ne doivent pas tomber. Le joueur doit donc étudier la carte, et planifier son itinéraire pour arriver à bon port, se munir des bons outils, tout en conservant suffisamment de place pour les colis qu'il doit transporter, il y a en effet un aspect gestion de la marchandise à transporter. Selon la répartition et la masse de colis sur votre dos, vous aurez également d'avantage de mal à conserver votre équilibre, que vous devrez gérer avec les touche R2 et L2. Le joueur qui prend la route doit donc faire des compromis sur ce qu'il emporte afin d'assurer le succès de son voyage. Qu'on se rassure, si l'ensemble peut paraître compliqué à première vue, le tout est assez simple et il est très rare de rater une livraison.
Death Stranding arrive à procurer au joueur cette sensation que l'on en randonnée, lorsque l'on fait un peu de hors piste et qu'on cherche par où passer pour arriver à destination. Le level design est particulièrement bluffant pour un open-world de cette envergure et est un véritable plaisir à parcourir.
Une expérience survival/building lite qui fonctionne
Le joueur ne sera pas démuni face aux obstacles qui l'attendent, et il pourra pour commencer, avoir accès à des échelles et des cordes pour dompter le terrain et établir des itinéraires de livraisons sécurisés. A la manière d'un jeu de survie/construction, DS permet donc à notre héros de construire des structures qui vont l'aider dans sa tâche et permettre de faciliter les allers-retours à venir. Fort heureusement, le coup en ressources est très abordable pour construire ces structures et ce sera rarement un facteur limitant à part pour un type de structure et pour l'amélioration des installations existantes. La seule limite, est le nombre de structures total que l'on peut augmenter en gagnant la confiance des habitants.
Là où DS frappe également très fort, c'est dans la progression vis à vis des objets et structures que vous allez débloquer. On ne joue pas au même jeu après 10h ou 20h, car la façon dont on aborde le terrain peut complètement changer en fonction des outils que l'on a débloqué. On se surprend à constater qu'un itinéraire que l'on prenait jusqu'à présent devient caduque grâce à notre dernier joujou et qu'une myriade de nouvelles possibilités s'offrent alors à nous. Rarement un jeu, ne m'aura autant procurer la sensation d'avoir maîtrisé mon environnement et donner l'envie de m'écarter du chemin pour établir de nouveaux itinéraires, par simple curiosité de ce qu'il était possible de faire ou établir une nouvelle route qui me permettrait de gagner du temps pour des livraisons à venir.
Un aspect social qui sublime le tout
Si avec les éléments précédents, DS dispose déjà un coeur de gameplay solide, il ajoute de plus brillamment un aspect en ligne asynchrone à tout cela. En effet, toute structure que vous construisez, peur devenir disponible dans la partie d'un autre joueur, et ainsi l'aider dans sa partie, et bien entendu l'inverse est également vrai. Mais le jeu a l'intelligence de vous demander de faire les trajets une première fois avant de débloquer cette possibilité dans la zone, afin de ne pas vous gâcher la découverte de votre environnement. Si le tout peut paraître anecdotique, il est premièrement une mise en abîme du propos du jeu. Plus vous reconnecterez la société, plus vous aurez de structures d'autres joueurs. C'est également un beau parallèle avec les réseaux sociaux, où vous pouvez envoyer des likes aux structures des autres, alors que vous ne les rencontrerez jamais. Enfin, je trouve très audacieux d'avoir ce système où les joueurs sont littéralement les designers de l'environnement pour les autres. Vous serez en effet peut-être d'avantage tenté de construire telle ou telle structure à un endroit précis à cause de ce que les autres joueurs y auront posé, le tout amenant une certaine rejouabilité, les structures disparaissant de plus avec le temps si elles ne sont pas entretenues par les joueurs.
Par sa très bonne alchimie entre ses mécaniques et son open-world, ainsi que par sa progression bien maîtrisée, vous donnant toujours le bon gadget ou la bonne structure au bon moment pour remettre une pièce dans la machine, Death Stranding parvient à procurer un coeur de gameplay solide pour quiconque, la recherche d'un chemin et son optimisation, constitue une fin en soi. Cependant, ceci n'est qu'un aspect systèmique de Death Stranding, qui se veut également un jeu à scénario..
Une narration cinématographique qui s'insère mal dans un jeu système
Dès les premières minutes de jeu, on retrouve la mise en scène cinématographique soignée si chère à Kojima. Les acteurs sont bien modélisés, le rendu est plutôt bluffant. Un premier point qui divisera est l'écriture contestable des différents dialogues auxquels on assiste. Les personnages ont malheureusement tendance à être très bavards pour ne pas dire grand chose, et à beaucoup se répéter et ce dès le début de l'aventure. Si bien qu'on ne sait pas trop si le jeu nous prend pour des idiots ou essaie de se donner un style. C'est d'autant plus dommage, que le lore est intéressant et promet de belles choses, mais peine à exprimer son plein potentiel dans le scénario. Si on comprend les enjeux de notre quête, on ne comprend pas bien non plus pourquoi Sam (le héros) accepte la tâche qui lui incombe, un personnage défaitiste qui ne semble plus avoir foi en rien. Finalement, deux choses viendront probablement frustrer le joueur qui était venu pour vivre une aventure narrée et haletante:
- Un récit éclaté qui mettra du temps à se mettre en place et qui peut vous laisser pendant 10-15h sans se manifester à exécuter des livraisons, et qui attendra la toute fin du jeu pour s'exprimer pleinement en vous emportant dans un tunnel de cinématiques.
- La sensation que vous ne suivez pas une aventure, mais un collage plus ou moins grossier des scènes que Kojima avaient envie de tourner avec ses acteurs fétiches (on retrouve des morceaux entiers de trailer par moment). Chaque chapitre gravite en effet autour d'un personnage, dont on exposera les caractéristiques et le passé mais malheureusement, bien souvent, au détriment de l'avancement possible de l'intrigue principale. Certaines parties de l'aventure existent même tout simplement uniquement pour insérer un certain personnage, et ont la terrible conséquence d'introduire des séquences de jeu dont on se serait bien passé...les gunfights...
Du TPS brouillon qui ne semble pas à sa place
C'est un des gros points noirs du jeu, alors qu'il semblait faire une proposition radicale, à savoir un jeu où l'on incarnait un livreur, DS finit par nous introduire des armes afin de se défendre face aux menaces qui pèsent sur nos épaules déjà bien chargées. Ces menaces, sont les MULEs, des porteurs devenus fous qui veulent voler nos paquets et les BT (des fantômes qui cherchent à vous attraper). Si ces adversaires sont placés dans des zones bien spécifiques qu'on apprend rapidement à contourner une fois qu'on les a localisés, la confrontation est parfois inévitables et peut se régler à coup de grenade ou de fusil à balles en caoutchouc. Seulement voilà, ces mécaniques n'ont pas eu le même soin que le reste du jeu, ce qui peut se comprendre (difficile d'avoir autant de gameplays différents au sein du même jeu), et les combats sont tout juste passables pour ne pas dire ennuyeux. Il existe toujours la possibilité de se cacher dans des hautes herbes pour éviter ses ennemis et les surprendre mais malheureusement, les mécaniques d'infiltration ne sont pas rodées non plus et vous aurez rapidement plus vite fait de rentrer dans le tas en camion plutôt que de prendre le risque de vous faire repérer par un ennemi qui a des yeux derrière la tête. En l'état, ces passages ne sont pas gênants car plutôt anecdotiques et ne représentant pas le coeur de l'expérience, sauf que...dans la volonté presque schyzophrénique de DS d'être également un jeu d'action/aventure, on vous forcera à faire des combats de boss et à évoluer sur un champ de bataille à plusieurs reprises.. Ces passages semblent surréalistes, tellement ils sont déconnectés du reste de l'aventure, et n'apportent rien. De plus, ils sont ici une occasion manquée de proposer autre chose pour les combats de boss, plutôt que des combats TPS classiques et ratés.
C'est le genre de choses qui vient vous gâcher votre plaisir, et vous rappeler que Death Stranding est loin d'être le jeu parfait, il accumule les défauts et peut vite devenir très irritant pour ceux qui peineraient déjà à y trouver du plaisir.
L'effet boule de neige de toutes ces petites choses qui fâchent
Si le coeur de gameplay de Death Stranding est solide, il manque malheureusement de maturité et d'épuration, et sous bien des angles il a encore l'aspect d'un matériau brut qui ne demande qu'à être taillé. Nous sommes ici, dans un jeu à la répétitivité indéniable, mais rien n'est fait pour soulager le joueur de sa lourdeur. Dans certains abris, où vous livrez, vous avez la possibilité de vous reposer: une action nécessaire pour recharger votre barre d'endurance et faire avancer certaines séquences du jeu. Cependant, cette simple action, que vous allez répéter probablement plusieurs dizaines de fois au cours de votre aventure, va donner lieu a une cinématique que vous pouvez passer. Vous pouvez ensuite, doucher votre personnage (4 cinématiques à passer) ou le faire aller au toilettes (1 cinématique) pour récupérer des armes en début de jeu (ne me demandez pas pourquoi ;) ). Vous sortez ensuite de la chambre (2 cinématiques à passer). Vous choisissez quel colis prendre (1 cinématique). Vous choisissez un véhicule (1 cinématique). Vous recycler des matériaux pour faire de la place (2 cinématiques). Vous voyez ou je veux en venir...? Dans un jeu d'une telle répétitivité, toutes ces cinématiques qui reviennent systématiquement à chacune de vos actions de base, peuvent rapidement vous faire perdre patience. Dans la même veine, à chaque que je vous approcherais d'une zone abritant des fantômes, vous aurez le droit à deux cinématiques qui vous couperont dans l'action que vous faites, systématiquement. Si lorsque vous êtes dans des ruines, cela a son petit effet, cela devient très rapidement rébarbatif lorsque que vous êtes en véhicule et que vous passez à proximité d'une telle zone.
On ajoutera à cela, des sous-titres et textes microscopiques (en cours de correction), des véhicules à la conduite et physique franchement discutables (même si cela ne ternit pas l'expérience de jeu), des chutes parfois incompréhensibles (même si c'est plutôt rares) et des interruptions intempestives via votre com link qui viendront rompre la solitude en pleine nature et l'introspection qu'on vous avez vendu,ça attendra, Die Hardman aimerait vous répéter la même chose pour la cinquième fois.
Un jeu qui essaie beaucoup
Finalement Death Stranding c'est quoi? C'est un beau produit expérimental qui a su se vendre avec brio grâce à sa brochette d'acteurs et une communication maîtrisée, mais peut-être au détriment de l'expérience qu'il voulait délivrer. Le fait qu'il ait réussi à trouver une recette qui marche en mélangeant autant de genres en si peu de temps est déjà un petit miracle en soi, et le tout en servant un propos intéressant sur la société: les humains ont besoin de se connecter les uns aux autres pour exister. Seulement, c'est également un jeu qui ne sait pas se taire, et qui veut trop s'exhiber comme si il avait peur qu'on ne l'écoute pas et qu'on ne le comprenne pas, pourtant c'est dans les moments où il ne dit rien, où il laisse le joueur faire et vivre son expérience qu'il est le plus pertinent. Si certaines scènes m'ont touché, je retiendrais d'avantage le moment où j'ai fait certains itinéraires pour la première fois ou lorsque j'ai reçu des likes pour une structure que j'ai posé ou encore je suis tombé sur une échelle providentielle au bon moment.
Pour conclure, Death Stranding est un jeu cabossé, plus proche du AA que du AAA blockbuster, mais qui restera probablement en mémoire car il essaie beaucoup de choses et les réussit. Il a également le mérite d'aborder des thèmes contemporains comme le refermement de la société sur elle-même et l'extinction de masse qui nous menace, même si il ne le fait pas toujours avec brio. Il restera malheureusement profondément clivant, à cause de ses troubles identitaires qui font qu'il ne semble pas très bien savoir à quel public il s'adresse. Selon que vous cherchiez une expérience narrative ou systémique, vous ne serez dans un cas ou dans l'autre jamais pleinement satisfait, car l'un vient toujours ternir l'expérience de l'autre.