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Le remake de Demon’s Souls par Bluepoint n’est peut-être pas la proposition la plus neuve de l’Histoire, mais elle permet au moins de (re)découvrir de belle manière le premier grand jeu de l’équipe d’Hidetaka Miyazaki. Comment lui réussit ce ravalement de façade ? Très franchement, à merveille. Les qualités ludiques de l’original s’y retrouvent intactes, rehaussées par un art du décor hallucinant de détails, qui réaffirme la méthode Bluepoint : restituer l’ossature d’un classique, s’approprier son esthétique sans la trahir, la densifier le plus possible.


Le procédé évoque la restauration de tableaux appliquée au jeu-vidéo : tous les efforts de Bluepoint sont ici employés pour préciser l’esthétique de l’original avec un luxe affolant de détails, sur une charpente laissée intacte – par « charpente », on entend la structure des niveaux et le placement des ennemis, à l’I.A. inchangée -. On comprend en sous-texte l’enjeu de cette démarche : ne surtout pas risquer d’altérer ce qui a fait la grandeur du modèle. Le résultat donne raison au studio, comme on le découvre dès le château de Boletaria (monde 1) qui reste une merveille de level-design, dosant avec justesse logique du lieu et logique de jeu. Crédible en tant que château médiéval, avec ses boucles d’escaliers reliant les remparts à des ponts et des cours intérieurs, il fonctionne tout autant comme parcours limpide, minutieusement rythmé par le placement des pièges et des ennemis : la « seule » mais énorme différence, c’est que ce même parcours est tapissé de nouvelles textures d’une finesse étourdissante, décoré de toute part d’objets artistiquement ouvragés, semé d’une grande densité de débris en tout genre. Ici comme dans les autres niveaux, tous mémorables, retrouver les parcours du premier Demon’s Souls sous une peau neuve produit un sentiment de déjà-vu, qui n’est pas le sentiment d’une stricte ressemblance mais d’un léger décalage : tout y rappelle l’expérience passée, mais en nettement plus précis et détaillé, comme si notre souvenir avait chaussé des lunettes pour corriger sa myopie « au présent », et que l’expérience s’en trouvait transfigurée.


L’un des changements les plus frappants vient de l’impression que le jeu a gagné en volume et que son espace lui-même a gonflé grâce au progrès technique de son moteur. L’impact sur le gameplay en est considérable : dans cet espace plus ample et précis, c’est l’action toute entière qui a gagné en netteté et en lisibilité, ravivant des sensations de jeu proches d’un Dark Souls 3 : nos déplacements peuvent être ajustés très précisément et l’esquive déclenchée presque immédiatement… ce qu’aucun challenge ne requiert de façon très pointue puisque le fond du game-design n’a lui-même pas changé, d’où, peut-être, l’impression d’un jeu plus simple et d’une pratique plus accessible, moins sujette aux erreurs de manip’ que dans l’original, aux espaces plus flous et à la physique plus engluée.


Si le gameplay se dompte plus facilement aujourd’hui – il s’en trouvera peut-être pour le regretter -, les meilleurs boss n’en offrent pas moins des expériences grisantes, sous le double effet d’une action vivifiée et de leur remodelage par Bluepoint, qui sublime les modèles pas toujours convaincants du jeu de 2010 (FromSoft débutait en la matière). Pour n’en citer que trois, on aime beaucoup la nouvelle Araignée Cuirassée aux attaques magnifiquement restituées, dont cette phase où l’on doit fuir une flaque huileuse qui s’embrase rapidement dans notre dos, éclairant le tunnel d’une intense lumière – spectacle hallucinant.


Dans sa nouvelle version, le Vieux Héros marque aussi la mémoire, lui et ses lourdes frappes aveugles brisant le silence d’un combat où le temps semble se suspendre. Mais c’est peut-être le Tower Knight qui reste le point culminant du remake, où Bluepoint active tous ses leviers : arène somptueusement retranscrite, boss monumental au modèle ciselé, pyrotechnie des sorts que le colosse de fer nous décoche pour nous rendre mobile, et qui viennent percuter les murs en cascade de poussière bleutée. Voir ainsi le Chevalier s’agiter, pesant de toute sa lourdeur de métal, est un moment mémorable où la matérialité si prégnante dans les jeux de FromSoft fait retour par le biais de la manette : la percussion de son bouclier sur le sol s’accompagne d’un violent « clac » sonore des gâchettes, qui fait littéralement sortir le choc du jeu pour le faire ressentir dans les mains.


Au delà du gimmick qui nous a mis dans une certaine euphorie, ce moment-clé rend une chose évidente : Bluepoint sait l’importance de l’effet de matière dans l’impact ressenti de l’action. C’est ce qui le rapproche de Fromsoft et scelle la réussite de leur rencontre : l’obsession des Soulsborne pour les textures qui composent leurs structures, pour la pierre de leurs murs, le bois lustré de leurs planchers ou celui vermoulu de leurs cabanes, est idéalement relayée par le perfectionnisme de Bluepoint en matière de surfaces, restituées si finement dans le remake qu’elles en perdent leur aspect factice. De fait, ce sont parfois des décors anodins qui nous arrêtent tout net : les coursives de l’Eglise de Latria, au mur tapissé d’un somptueux bois ouvragé ; ou les mines de Rochecroc dont la roche poreuse, translucide, laisse filtrer le rougeoiement de la lave voisine – on a rarement vu éclairage si subtilement sculpté et nuancé dans un jeu.


A l’art suggestif du premier Demon’s Souls, Bluepoint répond par une surabondance de détails qui conquièrent chaque mètre carré de l’espace, et contribuent à un vertige : celui de se sentir comme dans de vrais lieux, au voisinage d’objets et de matières que l’on jurerait pouvoir toucher, nourrissant l’illusion de consistance qui fondent notre envie d’explorer. Cette envie d’ouvrir cette porte, de descendre cet escalier, de franchir ce pont pour découvrir ce que recèle la suite du parcours, Bluepoint l’a parfaitement saisi et l’épingle en une poignée de panoramas parmi les plus impressionnants vus dans un jeu, qui s’éprouvent comme autant d’appels à l’aventure : comment ne pas rêver prolonger le périple entre les formations rocheuses de Rochecroc, le long des voix ferrées qui se devinent dans le creux des canyons ? De la vallée de Bolétaria au village suspendu du Val Fangeux, ces folles visions piquées de détails fascinants rappellent combien le jeu-vidéo est un art du décor qui s’offre au regard et à l’imaginaire, autant qu’à l’exploration.


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Benetoile
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le 28 nov. 2020

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