Les qualités intrinsèques du jeu sont déjà connues (gameplay, direction artistique, charisme des personnages, dialogues), je vais donc m'attarder sur ce qui m'a marqué.

Ce Deus Ex 3 a de l'ambition, beaucoup d'ambition. Ça m'a marqué la première fois, lorsque je prenais un ascenseur au début du jeu. La paroi en verre laissait défiler le paysage nocturne de la ville en arrière-plan, l'air de rien. C'est quelque chose qu'on rate facilement si on ne prend pas la peine de regarder derrière soi. C'est pas forcément super détaillé ni quoi que ce soit, mais le simple fait de voir ça plonge immédiatement dans l'ambiance du jeu. En adéquation avec l'espèce d'ambiance musicale qui court constamment en arrière-plan, les balades dans les villes sont une expérience à part entière. J'ai réellement senti ce futur proche où le monde est encore plus chaotique que maintenant. Comme si la plupart des gens vivent dans la peur constante, à mesure que les villes se referment sur elles-mêmes. Le background, comme tant d'autres éléments, n'est jamais imposé mais mis à disposition du joueur. Il y a pas mal de lecture à faire, entre les livres électroniques qui décrivent chaque invention du jeu dans des détails étonnants et les dizaines d'ordinateurs à pirater pour lire de simples conversations entre employés.

Le jeu offre énormément de lieux cachés où rien d'important ne se passe. On peut facilement foncer tout droit et éviter toutes les quêtes secondaires, mais il suffit de grimper sur un toit ou de rentrer dans un bâtiment pour découvrir des détails invisibles. Cela réveille une espèce de sentiment de liberté. Je me souviens être entré dans un appartement en ayant piraté la porte d'entrée. Un homme dormait sur son lit. Il n'avait rien demandé à personne et n'était lié à aucune mission. Pourtant j'avais mon taser en main, prêt à l'électrocuter s'il se réveillait, simplement pour être tranquille. C'est là que j'ai réalisé qu'il n'y avait réellement rien à voler dans son appartement et que j'abusais de ma force tout en étant trop curieux. Comme si ces lieux avaient été placés là pour nous faire réfléchir ou nous tester.

Cette sensation de profondeur se ressent aussi dans l'abondance de mails à lire. La plupart sont dans des ordinateurs entourés d'ennemis qui patrouillent. Etant donné que je me la joue d'ordinaire infiltration, je n'ai pas toujours besoin d'éliminer tout le monde. Je ne peux donc pas accéder à ces ordinateurs sans éveiller les soupçons. Des dizaines de mails sont restés des inconnus à mes yeux. Non pas qu'ils soient forcément très intéressants, mais je m'efforce toujours de me plonger le plus possible dans l'histoire d'un jeu, et le fait qu'ils soient restés inaccessibles donnent la sensation d'être face à plus qu'un jeu vidéo, d'être simplement un agent de passage dans de vrais bureaux qui abritent des gens avec de réels soucis.

Cette volonté de faire plus qu'un jeu vidéo, de surpasser les interactions habituelles du joueur avec son environnement apparaît à deux autres endroits de façons flagrantes, si tant est qu'on réfléchisse un peu :


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[GROSSE BALISE POUR INDIQUER DU SPOIL]
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Vers la fin du jeu, un message indique que toutes les personnes "augmentées" doivent faire changer leur biopuce suite à des bugs. On subit ces bugs plusieurs fois auparavant, comme une sorte de prévision de ce qui va arriver. C'est l'occasion de voir les personnes augmentées dans la rue se tordre de douleur. Le degré de réalisme de ces scènes est très important, puisqu'il fait vraiment ressentir l'enjeu de cette nouvelle technologie et le nombre de personnes concernées, comme si on réalisait soudainement que ce n'était pas forcément une bonne idée finalement. Comme pour nous faire ressentir avec plus d'horreur ce qui se profile à la fin du jeu.
Ce remplacement de puce défectueuse n'apparaît en tout pas dans les missions, il est juste suggéré par un PNJ. Lorsqu'on se rend à la clinique pour en savoir plus, il y a une file d'attente de personnes venues faire remplacer leur puce. La femme à l'accueil nous propose même de le faire. On entend les gens discuter dans la rue à propos de ça : "C'est normal qu'il y ait des problèmes avec une technologie aussi récente. Ce n'est rien de grave."
C'est là que ma réflexion a pris place. Rien ne me poussait à ne pas le faire. Personne ne protestait. Comme un vraie masse populaire qui est guidée par l'inquiétude. Et rien ne me poussait aussi à le faire. Je me suis dis que des bugs avec une technologie d'un tel niveau sont sans doute probables. Mais de là à ce que toute la planète ait le même bug en même temps ? C'était louche. Alors j'ai décidé de garder ma vieille puce.

Et juste avant la fin du jeu, une grande méchante saisit sa télécommande et avec un sourire me dit que je n'aurais pas du faire changer ma puce. Son expression fond lorsqu'elle réalise que rien ne se passe. J'ai poussé un cri de victoire.
C'est ce genre de situation qui fait aller au-delà du jeu. Pas dans le sens d'une fin de MGS2, mais plutôt comme la réalisation qu'avec un peu de bon sens et de logique et une petite dose de méfiance bien placée, personne ne peut nous manipuler. Je ne sais pas si c'est réellement le message que Eidos voulait faire passer, mais ils ont en tout cas réussi à me faire sortir du cadre du jeu pour me faire réfléchir par moi-même.

Chose qu'on retrouve bien évidemment à la fin du jeu. Cette fin n'est ici pas influencée par les choix qu'on fait pendant la partie (quelques uns ont une influence légère sur des évènements antérieurs). C'est un choix définitif et très arbitraire qu'il faut prendre, au nom de toute l'humanité. L'ampleur de la chose me saisit alors, et les informations se bousculent dans ma tête. J'essaie de résonner avec ma morale du monde réel, en cherchant ce qui est le mieux pour le destin du monde. La vidéo finale n'est certes pas très fine mais elle permet de briser définitivement le carcan du jeu pour nous laisser dans notre siège avec le poids de nos choix et l'envie d'y réfléchir.

__________________________
[FIN DE LA GROSSE BALISE]
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Ce n'est qu'un jeu vidéo, certes, mais un jeu vidéo qui a réussi à m'attirer dans son univers, tant et si bien que j'en ai fini par ressentir l'impact des choix à faire et de mes actions. Peut-être que je m'investis trop et que ça obscurcit mon jugement. Mais dans ce cas-là je souhaite ne jamais y voir clair.
Tmnath
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le 21 nov. 2011

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Tmnath

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