Après un Human Revolution sympathique mais qui manquait de profondeur, Eidos Montréal revient avec Mankind Divided pour nous proposer la suite des aventures d’Adam « never asked for this » Jensen. Sans être un défenseur inconditionnel du précédent opus qui, après avoir hypé la foule grâce des trailers très bien ficelés, s’était révélé comme une promesse à moitié tenue, j’avoue que j’attendais tout de même ce retour de la licence avec curiosité, m’étant cette fois laissé avoir par des previews enthousiastes et quelques vidéos de gameplay plutôt convaincantes. 5 ans plus tard, il est temps de vérifier si chez Eidos on a su analyser la formule et l’améliorer…
Prague et l'Apartheid 2.0
2029, le monde est entrain de glisser vers une folie xénophobe dont les victimes immédiates sont les humains augmentés. Montré du doigt par une population qui l’accuse d’être à la source de tous les maux de la société, et ce depuis « l’incident » survenu dans HR, la situation des « Augs » devient chaque jour de plus en plus critique. C’est dans cette ambiance de fête, juste après un niveau d’intro/tuto peu inspiré, saupoudrés de cutscenes très bavarde, et n’hésitant pas à utiliser le grand classique du reboot des compétences ; que l’on retrouve notre héros à Prague.
Le jeu nous fait comprendre très vite que dans la capitale les politiques anti-augmentés sont encore plus marquées que dans le reste du monde, puisqu’au fil de ses balades le joueur est témoin et expérimente (à moindre mesure) cette ségrégation qui impose les pires traitements. Lignes naturels/augmentés pour l’accès au métro, contrôles de police fréquents ,expulsions, permis de résider délivrés au compte-goutte, parcage dans des ghettos… et c’est justement cette diversité de situations qui crée l’une des plus grandes forces du titre, son immersion dans un environnement crédible et cohérent grâce à un sens du détail aigu. Minutie qui se retrouve d’ailleurs dans l’architecture et le mobilier urbain, qui mêlent les styles et les époques avec brio.
On aurait cependant apprécié une aire de jeu un peu plus vaste pour renforcer le sentiment de découverte qui, malgré le nombre de lieux annexes à visiter (appartements, boutiques, bâtiments abandonnés, égouts…), s’estompe un peu vite. Excepté ce dernier point Prague est vivante et riche en interactions, la ville remplie parfaitement son rôle de hub central et grâce à nos visites entre chaque mission l’apprentissage des lieux est plutôt rapide. Les rues fournissent également un excellent prétexte à l’utilisation des différentes augmentations lors de l’exploration ou des missions secondaires.
Un level design augmenté ?
Globalement les mécaniques de gameplay sont les mêmes que dans Human Revolution, nous avons donc affaire à un hybride action-infiltration qui laisse au joueur le choix de la méthode et le plaisir de la découverte. Côté arbre de compétence on reprend le schéma du précédent opus, on y rajoute quelques nouvelles capacités ainsi qu’une mécanique de surchauffe du système, empêchant l’activation simultanée de tous les pouvoirs. Et on obtient une nouvelle mouture, qui ne révolutionne rien, mais qui a néanmoins le mérite d’élargir l’éventail des possibilités lors des différentes phases de gameplay. Et si cette liberté d’action permet de construire ses approches avec plus ou moins de subtilité, on notera tout de même qu’Adam tire bien mieux son épingle du jeu dans la posture de l’agent discret, qui planifie avec soin son intervention, que dans celle du troupier qui tire d’abord et pose les questions ensuite, la faute à une certaine rigidité héritée du précédent opus.
Le level design abonde également dans ce sens, tout en verticalité et en chemins annexes, il accentue l’envie d’explorer pour trouver les passages plus ou moins dissimulés. Balcons, conduites d’aération et murs fragilisés sont légions dans les différentes zones du jeu et combinées aux augmentations la quantité d’approches possible est considérable. Mais puisque la perfection n’est pas de ce monde, on ne peut s’empêcher de remarquer que la construction des niveaux finie par révéler un côté factice au fur et à mesure de la progression. Les ficelles sont de plus en plus visibles, et la formule fini par créer des schémas que l’on a malheureusement trop de facilité à appréhender et à analyser. Mention spéciale aux gaines d’aération cachées derrières une pile de carton et qui mènent droit à l’objectif ou à la surabondance de caisse et de parois basses pour faciliter l’utilisation du cover system. En revanche, cela n’empêche pas les différents environnements, visités lors des missions principales, de dégager chacun une identité propre. A travers les couloirs aseptisés d’une banque ou dans les dédales des ghettos Augmentés, le travail sur la direction artistique couplé à une narration environnementale bien maitrisée permettent à ces lieux d’être singuliers sans jamais entacher la démarche de cohérence évoquée auparavant.
Jensen rentre au garage
Dernière ombre au tableau en la personne du scénario : manquant de profondeur et vite expédié, l’intrigue se déroule lors de l’enquête menée par Jensen à la recherche des responsables d’une série d’attentat. Cette situation de base aurait pu être un excellent moyen d’approfondir les thématiques amenées par l’ambiance globale du titre. Au lieu de ça on se retape le coup des Illuminatis qui tirent les ficelles et font des visioconférences (chat blanc en option), sans jamais avoir réellement le droit de comprendre les choses. Les blancs laissés au sein de la construction du récit semblent être judicieusement placés en l’attente de futurs DLC, qui auront donc la lourde tâche d’étayer un peu tout ça. Et ce n'est pas le charisme inexistant de notre héros qui sauve la situation...
La bonne surprise est en revanche à trouver du côté des quêtes secondaires, qui en plus d’être calibrées pour tirer intelligemment partie du level design et des options de gameplay, apporte un vrai plus à l’ambiance globale du titre. En plus d’avoir le plus souvent des conséquences à plus ou moins long terme, elles offrent l’occasion de côtoyer différentes strates de la société et de s’imprégner un peu plus des tenants et aboutissants de cet univers dystopique.
En conclusion Mankind Divided rend une copie en demi-teinte, s’il ne manque pas d’intelligence de par ses mécaniques ou son ambiance, il manque toutefois au titre un éclair de génie pour transcender sa formule. A l’image du level design à la fois brillant mais prévisible ou de l’univers riche et complexe mais desservi par le scénario de la quête principale. C’est au final lors de l’exploration des rues de Prague que Deus Ex nous offre ses meilleurs moments, réussissant le pari de l’immersion grâce à une narration environnementale riche et crédible.
En février 2017, on apprend qu’à la suite d’un partenariat Square Enix/Marvel, couplé à de mauvaises ventes. La série, prévue à la base comme une trilogie, n’est plus considérée comme prioritaire par l’éditeur. On aura donc peut-être jamais le fin mot de l’histoire de l’homme qui « n’avait pas demandé ça », écartés au profit de licences plus juteuses. Une fin qui laisse un goût amer pour une série qui aurait méritée mieux.