Critique sans divulgâchage!
Il est là, le futur du jeu de rôle.
Pas de système de niveau pour passer certains dialogues, pas de système de niveau pour se confronter à de nouvelles zones, pas de compétences compliquées et inhérentes, pas d'inventaire tortueux (mais un petit inventaire quand même, j'ai trop ri face aux possibilités vestimentaires).
Non. Bien mieux! Quoi de plus évident que le cerveau du personnage qui vous parle? Comment mieux vivre un personnage que d'être dans sa tête? Ce n'est pas vous qui êtes le héros. Vous faites corps avec le héros et c'est bien mieux ainsi.
Pas de création de personnage étrange, pas de combinaison invincible pour écraser tout le monde et emballer l'histoire en 2 minutes. Juste, le héros. Je ne peux même pas donner son nom au risque de divulgâcher.
Le génie de ce jeu tient en 3 grandes choses: une histoire solide et bien ficelée, un humour noir et sordide et ce système de compétences définissant le héros. Parlons-en, de ce système: Sentez votre corps. Ressentez-le. Quelles caractéristiques a-t-il? Un intellect, un psyché, un physique et des sens. Les compétences du héros sont découpées en ces quatre catégories. On peut choisir, dès le début du jeu, quelles caractéristiques préférer et quelles caractéristiques négliger, sur une échelle de 1 à 4 et même 5 si on prend une fiche déjà prête (au nombre de trois).
Ces 4 catégories sont ensuite elles-même divisées en six, qui joueront sur votre aptitude à résoudre l'enquête sur laquelle vous êtes lancée. Ou pas. Le choix est immense, surtout en comparaison du nombre de points d'expérience gagnés dans le jeu et on ne peut pas former un personnage parfait. Par contre, on peut vraiment façonner le héros comme on veut: j'ai personnellement adoré faire l'intello dépressif sans aucune substance émotionnelle. J'ai eu droit à plusieurs écrans de fin parce que mon personnage avait sombré dans la dépression. Et ceux-là, une dizaine en même pas une heure de jeu, c'est formidable!
Par contre, en tant qu'intello, je savais plein de choses. Mais j'étais incapable d'enfoncer une porte ou de partager la moindre empathie avec n'importe qui. Et c'est là que le jeu est beau: du vrai jeu de rôle. Je me sentais être cette loque d'enquêteur raté, avec ses hauts et ses bas, ses chutes incontrôlées vers la déprime et ses petits moments de joie quand il réussit quelque chose.
C'est ce qui est vraiment réussi avec Disco Elysium: on ne guide pas le personnage, on l'endosse totalement. Même le dernier Divinity: Original Sin 2, avec son histoire passionnante et ses personnages hauts en couleurs ne m'ont pas fait autant incarner mon héros que ce pauvre type de Rivachol (la cité où se déroule l'action). Même les meilleurs Fallout ne m'ont pas fait ressentir ça.
Pour ce qui est du jeu en lui-même, c'est tout simple, presque du pointe et clique avec une caméra personnage. Un vrai jeu de rôle à 3D isométrique. Plein de petites idées viennent agrémenter le jeu, comme ces petites bulles signalant quelque chose d'intéressant, une sensation que votre écran ne peut véhiculer ou une pensée. Ces pensées, d'ailleurs, forment le socle du jeu et ce sont elles qui forment et forgent le personnage.
Ces pensées permettent de débloquer le ô combien novateur "cabinet des pensées" (traduction personnelle), qui donne accès, pour un point de compétence chèrement gagné, à une réflexion qui suivra votre personnage pendant un temps donné. Ce problème, une fois mûrement réfléchi, offrira une solution, vous donnant un bonus prédéterminé, fixé mais inconnu par avance. Grâce à cela, je suis devenu le porte-étendard de l'anarchisme à Rivachol, me nourrissant des pensées capitalistes grâce auxquelles je gagnais un Réal (la monnaie du jeu) à chaque fois que je disais quelque chose de libertaire. Je n'imagine même pas le nombre de joyeuseté que j'ai loupées, sachant que je n'ai pas vu un tiers de ces pensées en une partie.
Par ailleurs, le temps en jeu passe à chaque paragraphe discuté ou pensé, ou plus vite à chaque page lue. Ce qui permet de réfléchir ou juste passer le temps en jeu.
Finalement, les décors peints à la main sont réussis, mais les personnages sont, à mon goût, taillés à la serpe. Les musiques sont sympathiques mais oubliables. L'univers est très travaillé en revanche.
Si, comme moi, vous recherchez à vous impliquer dans l'affaire tout en ne sachant résister à l'appel du pillage (loot? oui.), vous en aurez pour une grosse trentaine d'heures pour une partie. Ce n'est pas très long, mais vu la rejouabilité du titre, ça me semble honorable.
Venez résoudre cette enquête, mais avant, armez-vous de votre meilleur anglais parce que le niveau est très élevé. Une traduction est confirmée pour 2020 pour les moins anglophiles d'entre-vous.
Edit: fin 2020 est là, vous n'avez plus d'excuse. Jouez-y.
Choisissez Disco Elysium, choisissez le seul jeu qui parle pour le cerveau reptilien de son héros.
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Cuno est insupportable.