La supercherie commence à se voir... Se bataillant avec un budget de plus en plus serré au fur et à mesure de ses flops en termes de vente, Taro Yoko s'adjoint cette fois les services d'Access Games, l'un des pires studios de développement japonais (Deadly Premonition, c'est eux ! Voir ma critique... Ils sont aussi responsables du remaster catastrophique de Final Fantasy VIII sur PC). Si je suis le premier à passer outre les carences graphiques et techniques d'un titre, force est de constater que cela devient difficilement supportable lorsque cela nuit directement au gameplay, avec des séquences où l'écran freeze à chaque instant, rendant certaines joutes particulièrement rebutantes.
Le reste du temps, Drakengard 3 propose un gameplay correct et même assez défoulant (l'idée de pouvoir jongler avec les armes en cours de combos apporte pas mal de richesse au système de combat) même si de nombreux passages augmentent soudain la difficulté de manière absurde, tout en étant extrêmement répétitifs, rendant le dernier quart du jeu aussi agréable qu'une succession de piqûres d'épines dans vos doigts engourdis. Bref, s'il n'est pas le naufrage complet annoncé, on ne joue certainement pas au titre de Taro Yoko pour s'amuser... Reste le scénario, l'ambiance, les dialogues et la musique, mais on peut se dire que tout cela serait bien mieux passé dans un anime ou un manga... Le character design est d'ailleurs le seul point visuel réussi du titre, les décors étant d'une pauvreté et d'une désolation presque risibles tant le manque d'investissement y est visible. Après tout, les développeurs n'avaient aucune raison de vouloir rendre joli les interminables couloirs dans lesquels on massacre en boucle des milliers d'ennemis aussi charismatiques et variés que les mauvaises herbes de votre jardin...
Enfin, mention spéciale au dernier boss du jeu, troll éhonté du réalisateur qui souhaitait manifestement que certains de ses fans (ceux-là-même qui achètent ses jeux et lui ont finalement permis d'accéder au succès avec Nier Automata) ne puissent pas battre cet ultime adversaire. Cela a été mon cas, échouant à de multiples reprises aux toutes dernières secondes de ce jeu de rythme à la difficulté absurde, décidant après quelques heures de torture que j'avais assez donné de mon temps à cette farce de Taro Yoko.
Dans ce marasme de frustration et de répétitivité, resteront toutefois des personnages mémorables, des thématiques (y compris sexuelles) rarement abordées dans le jeu vidéo et une ambiance aussi dérangée que drôle qui semblent confirmer l'adage prétendant que la liberté de ton d'une œuvre est inversement proportionnelle au budget alloué. Une expérience à vivre, surtout s'il l'on s'intéresse de près au "Taroverse", soit la corolle des œuvres extra-vidéoludiques (mangas, CD Dramas, nouvelles...) qui viennent compléter l'histoire d'une tétralogie autrement incohérente et bourrée d'ellipses. Je confirme ici ce que j'avais déjà soupçonné dans ma critique de Nier: les scénarios des jeux de Taro Yoko ne sont que les pâles reflets du Multivers qu'il a créé en collaboration avec la talentueuse Jun Eishima.
Pas mal de ficelles et de maladresses dans ses Drakengard et Nier, mais les dialogues sont si savoureux et les personnages attachants, que l'on se laisse souvent prendre au piège avec plaisir, sans compter cet aspect perpétuellement décalé qui offre un véritable parfum de fraicheur dans une industrie de plus en plus engoncée dans ses formules à succès. Il y a de magnifiques prises de risque chez ce réalisateur, une sincérité qui marque de son emprunte profonde chaque titre sur lequel il travaille afin de nous proposer des jeux d'auteur (presque) sans concessions... avec tout ce que cela comporte d'originalité et de tendance mégalomaniaque (cette dernière s'exprimant déjà chez Taro-San par la désinvolture de plus en plus outrancière avec laquelle il répond aux interviews).
Bref, ce Drakengard 3 est bien un jeu de niche qui risque de se graver dans votre esprit à l'aide des outils que sont la sidération et la souffrance. Une œuvre fauchée et fanée qui cultive quelques fleurs de pure beauté pour ceux qui acceptent l'idée, certes étrange a priori, qu'un jeu vidéo puisse apporter du malaise plutôt que du fun. Cela relance sans aucun doute le statut d’œuvre d'art du jeu vidéo, capable de s'éloigner ponctuellement du divertissement pour s'ouvrir à un nouveau bouquet d'expériences. Reste que Drakengard 3 est certainement une approche imparfaite d'un tel projet puisque motivée avant toute chose par un budget famélique.
J'espère toutefois que les graines semées par cette œuvre étrange permettront, dans les années à venir, l'éclosion de projets plus mûrement réfléchis et plus globalement aboutis où le manque de fun ne sera plus une contrainte mais un élément capital s'enracinant dans le terreau d'une vision artistique revendiquée.