Je vais te briser le cou de mes propres mains

Alors que le premier Driver a eu un succès détonnant (plus de 6 millions de vente s'il faut le rappeler), Driver 2 quant à lui souffre d'une réputation assez houleuse que, pourtant, je n'arrive pas à m'expliquer. J'en avais un souvenir très fort, et je pensais que refaire le jeu allait m'ouvrir les yeux... mais pas du tout. Je me sens donc obligé de rappeler les qualités évidentes de cette suite.

Le succès de Driver 1 lui vient de ses sensations de conduites inédites dans un environnement ouvert en 3D, entre un réalisme relatif pour l'époque et l'ambiance film d'action des années 70. Vraie révolution inattendu, Driver est le précurseur de ce qui s'appellera bientôt le GTA-like.
Mais Driver 2 contribue à faire progresser cette révolution. En effet, il ajoute la possibilité de sortir de son véhicule pour se déplacer librement dans la ville et de pouvoir librement en choisir un nouveau. Oui, le modèle 3D de Tanner est moche, ses contrôles et ses animations sont sommaires, mais l'important n'est pas là. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, ce simple élément était un défi technique en soi. Driver 2 est le premier pas vers la liberté totale dans un environnement ouvert en 3D. Nous sommes un an avant GTA III, et à l'époque c'était vraiment phénoménal. Je me rappelle des heures indénombrables que j'ai passé à simplement me balader dans la ville, faire des poursuites contre les flics, les semer, les détruire, changer de véhicule, recommencer à l'infini, partir à la recherche des voitures secrètes de chaque ville et m'éclater avec. Un plaisir de fou que seul Driver 2 pouvait offrir à l'époque.
EDIT : Le premier jeu à permettre de rentrer et de sortir de véhicule à n'importe quel moment est en fait Body Harvest, sorti en 1998, de DMA Design (Rockstar North). Mais la gestion des véhicules n'est pas du tout la même que dans Driver, donc le défi technique n'est pas le même.

Ce plaisir vient aussi du fait que les quatre nouvelles villes explorées par l'histoire sont bien plus grandes, bien plus détaillées, bien plus vivantes. Leurs ambiances sont retranscrites à la perfection. Chacune a ses modèles de voitures différents, ses bruitages différents, ses musiques différentes, et puisque l'on traverse trois pays différents ses langues différentes. Le sentiment de découverte lorsque l'on découvre chacun de ses villes est donc parfait pour l'époque. Mais le vrai point fort pour ces villes est qu'elles sont bien plus réalistes : alors que dans Driver 1 les routes étaient toutes tracées à la règle, les virages étaient tous à angle droit, sa suite propose des routes plus crédibles, parfois sinueuses, rajoutant des bretelles d'autoroute courbées. Ca paraît tout bête, mais c'est une vraie évolution à mon sens.

Les objectifs des missions restent sensiblement les mêmes que celles du premier volet : aller du point A au point B dans le temps imparti, poursuivre un opposant, détruire un opposant, effectuer des filatures discrètes. La différence se trouve finalement dans le fait qu'alors que dans le premier il y avait une omniprésence de missions pointA/pointB, ici c'est mieux réparti et on a un tout plus homogène. Cela dit ça ne veut pas dire que les missions y sont meilleures ! Je les trouve de même qualité. Comme dans le premier, certaines missions restent très frustrantes et mal équilibrées (il y en a trois comme ça je dirai), mais globalement un effort a été fait pour moins frustrer le joueur puisque lorsque l'on s'approche de notre objectif, nos poursuivants ralentissent étrangement et finissent par nous perdre de vue. C'est pas forcément très réaliste, mais ça évite de devoir perdre du temps à les semer alors que le temps est imparti, ce qui aurait contribué à beaucoup d'échecs. Un choix intelligent selon moi.

Mais le gros point fort de ces missions se trouve dans le scénario. Celui du premier opus était assez mal raconté pour qu'on s'y intéresse vraiment, mais ici il y a une vraie narration qui passe par des cinématiques de toute beautés (pour de la PS1) et une mise en scène du feu de dieu. Certaines scènes, en particulier celles mêlées à des chansons, sont vraiment réussies. C'est l'occasion de découvrir des personnages charismatiques, dont Jericho qui deviendra par la suite le méchant officiel de la série. Notre héros, Tanner, gagne en charisme : c'est un mec au physique lambda mais complètement badass, j'aime ce choix de charadesign.
Si l'histoire en elle-même reste toujours très basique, on se sentira vraiment impliqué dans les missions, d'autant que certaines se suivent, et c'est vraiment ce qui renforce le plaisir de jeu à mes yeux.

Oui mais voilà, alors que Driver 2 est l'épisode du "plus plus plus", il a malheureusement été rushé dans sa réalisation, la faute à un Infogrammes impatient et désireux de sortir le jeu avant la sortie de la Playstation 2. Le résultat, on le connait : moins d'un an de développement, beaucoup d'ambitions, mais l'incapacité d'optimiser le jeu pour la console. S'en suivent des ralentissement parfois très gênants et parfois très marqués qui cassent la fluidité nécessaire à un tel jeu. Heureusement, j'ai trouvé qu'ils n'étaient pas omniprésents et qu'ils savaient se faire oublier la plupart du temps. Mais je comprends parfaitement que l'on puisse ne pas aimer le jeu à cause d'eux car on perd beaucoup en sensation de conduite quand ça rame, et ça fait vraiment mal en comparaison du premier opus parfaitement fluide.
Mais en toute honnêteté, si vous accrochez à la saga et que le jeu vous plait, persévérez un peu, on finit par ne plus y penser (sauf quand ils sont vraiment marqués)... et comme dit plus haut, ils ne sont pas omniprésent et la plupart du temps sont très courts. Mais ça fait mal quand même.

Réécrivons l'histoire un peu... Si Infogrammes avait laissé aux développeurs plus de temps de développement, ou la possibilité d'en faire un jeu de lancement de la Playstation 2, le résultat aurait peut-être été tout autre... et alors, qu'en aurait-il été du succès de GTA III ? Difficile à dire. Evidemment il aurait eu un grand succès, mais il aurait pu avoir un sérieux concurrent. Driver 2 a beaucoup apporté au "GTA-like", mais sera bouffé par GTA III et Vice City, et jamais la série n'arrivera à rattraper son retard par la suite.

Pour ma part, j'adore ce jeu et dans mon humble bonté je lui pardonne la plupart de ses lags en comparaison de tout ce qu'il a ajouté au premier Driver. En terme de contenu, Driver 2 avait tout pour être meilleur, mais c'est sa technique qui le rendra finalement un brin moins bon. Je pense toutefois qu'il a été décrié plus que de mesure.
Reprenant parfaitement la recette du premier, conservant presque toutes ses qualités, gardant certains de ses défauts comme le manque d'équilibrage, ajoutant du contenu pour rendre l'expérience encore plus riche, mais ajoutant des défauts bien à lui : Driver 2 n'est pas à jeter.

PS : Tiens d'ailleurs pour l'anecdote débile, c'est sur ce jeu que j'ai pour la première fois utilisé "Gag" comme pseudo pour sauvegarder. Un surnom qui me restera depuis tout ce temps.
PS 2 : Hier soir, l'enfant de 10-11 ans frustré qui sommeille en moi a enfin pris sa revanche sur une mission hardcore sur laquelle il est resté bloqué pendant des années, malgré des essais jusqu'à l'âge de 13 ans. J'ai triomphé pour lui de cette mission, je me sens purifié, accompli.
"Thank you old Gag - You're welcome kiddo"