On a tous quelque chose en particulier qu'on n'arrive pas à aimer, quoi qu'on fasse. Tenez, moi par exemple, c'est la soupe de poisson. J'ai jamais aimé ça, ça me dégouttait. Quand j'étais gamin, rien que de sentir l'odeur de la soupe qui venait de la cuisine me mettait le cœur au bord des lèvres. Pourtant, je savais que ça ne pouvait que être bon. J'adorais la poiscaille, et je n'avais rien contre les potages, mais non, impossible de supporter ça. Puis un jour, après avoir titubé pendant plus d'une heure pour rallier le centre de Lyon à mon doux foyer, après une nuit maudite par mon foie, en plein moi de janvier, j'ai ouvert la porte de la cuisine, par ce que j'avais une dalle de tous les diables. Et là, je l'ai vue, seule, la popote de restes que ma mère avait laissée sur les plaques. Alors, sous l'impulsion de la faim, du froid, et de la flemme géante que j'ai eu de me faire à bouffer, j'en ai fait réchauffé un bol, que j'ai engloutit. Et j'ai kiffé.
Mais quel est le lien entre la soupe de poisson et Dropsy? Avant, j'aimais pas les Point n Click...
Dropsy nous raconte l'histoire d'un clown extrêmement laid, mais dont le seul but dans la vie est de rendre les gens heureux. Déjà par ce que c'est son métier, mais aussi par ce que, avec les moufles qu'il se trimbale, la maison lui souhaite bonne chance pour tenter une activité professionnelle qui nécessite une quelconque compétence en motricité fine.
Donc voilà, Dropsy vit heureux dans son cirque, avec son Papa Clown, sa Maman Clown, et son chien. Mais la veille de son anniversaire, un incendie (que l'on devine volontaire), tue Maman, détruit le cirque, et rend les gens tristes, car bon, le mec le plus moche du patelin, c'est lui, et, de fait, c'est un suspect. CQFD.
Pour prouver son inocence, trouver qui a tué sa maman, et surtout, rendre les gens heureux, Dropsy part à l'aventure.
Vous ai-je spoilé l'aventure? Non. A part l'incendie, qui correspond à la scène d'introduction, on ne voit rien dans le jeu, qui débute dans le lit de notre gentil clown. Tout se devine. Car Dropsy est tout sauf bavard. Il est même muet. Les gens ne parlent que par pictogrammes simples, et l'alphabet est inventé pour le jeu.
Les seuls interactions que vous aurez avec l'histoire seront environnementales. Des dessins sur les murs. Des photos. La télé. Le monde déroule à travers ses décors l'intrigue, la file discrètement, cette affiche que vous avez vue tout à l'heure vous servira peut être pour l'énigme de demain.
Parlons des énigmes d'ailleurs. Comme je vous l'ai dit, l'objectif de Dropsy est, et sera toujours, de rendre les gens heureux. C'est ici votre principale mécaniques de gameplay. Dans la petite ville et ses alentours qui correspondent au monde de Dropsy, notre clown préféré croisera des pauvres âmes en peine, qu'il conviendra de rendre heureuses. Par ce que, comme un célèbre barbu en toge, il pardonne à tout le monde. Il veut rendre tout le monde heureux, avec son sourire niais et son corps ingrat. C'est ici la principale mécanique de game design du jeu. Dropsy rencontre un PNJ, lui parle, le PNJ lui dit pourquoi il est triste, Dropsy corrige cela. Parfois, cette quête vous permettras de résoudre un puzzle où vous bloquiez, et d'avancer dans l'intrigue principale. Parfois, vous aurez juste rendu une personne heureuse.
Uniquement avec des pictogrammes. C'est ça qui est beau.
L'autre idée de game-design de Dropsy est de proposer un cycle jour/nuit. Vous me direz, un cycle jour/nuit en Point and Click, quelle idée saugrenue, ahaha, mon bon Baptiste, tu es stone. Et bien non, au final, l'idée est particulièrement bien intégrée, et on se demande pourquoi si peu de jeux ne l'ont proposés avant lui (en tout cas à ma connaissance).
Par ce que la nuit, il fait noir. Jusque là tout va bien. Mais quand il fait noir, qu'il est tard, et qu'on s'ennui (tout le monde semble presque s'ennuyer dans cette bourgade), on veut aller dormir. Ou en boite. Ou fumer une clope sur un jeu pour enfant, le regard perdu dans le vide, soupirant sur cette jeunesse à jamais perdue. Mais je m'éloigne. Ducoup, la nuit, les emplacements des PNJ changent. Ce qui veux dire que les quêtes disponibles changeront aussi. Et que, bien sur, la nuit vous débloquera dans une quête. Oui c'est tout con. Mais ça marche. On réfléchit. On cherche les endroits où l'on a pas pu passer le jour, bloqué par un gêneur parti se coucher depuis, à chercher d'autres personnes tristes, bref, on se prend au jeu.
La troisième bonne idée de game design du jeu, qui n'est certes pas une nouveauté, et qui aurait pu fonctionner pas mal, est l'utilisation des animaux. Par ce que Dropsy est gentil, du-coup c'est l'ami des animaux, et du-coup les animaux qu'il va croiser l'aideront. L'idée aurait pu être une réussite, mais, même si elle fonctionne pas mal au début, elle devient vite artificielle. Alors certes, on s'attache à ces bestiaux, mais d'un point de vue purement ludique, les énigmes en deviennent pas plus dures, mais plus fastidieuses. Bref, c'est parfois sacrément lourdingue.
Tout ce beau monde est conduit au sein d'un univers coloré aux couleurs d'un bon gros pixel art qui tache. Car ici, le choix de la technique semble autant venir d'un choix artistique que de limitations techniques.
Le jeu est splendide. Les tableaux, colorés, et surtout extrêmement vivants, donnes une impression de dessin d'enfant, accentués par la grossièreté des pixels, qui en jouent jusque dans les menus. Alors certes, il peut arriver de croiser un tableau peu fameux, mais dans l'ensemble, les images savent se trouver un charme unique.
Quand à l'OST, le jeu est un sans faute. Composée en grande partie par Chris Schlarb, et par le créateur du jeu Jay Tholen, elle donne au jeu un ton tantôt nostalgique, tantôt joyeux, en mélangeant avec brio des tonalités blues et jazz.
Raison de plus pour regretter amèrement les transitions parfois complètement foirées entre les tableaux, dignes d'un power point pour les 50 ans de tata, qui ne rendent absolument pas justice aux mélodies.
Dropsy est un grand petit jeu. Ce genre de pépites invraisemblables, pleines d'amour, d'humour, traitant avec délicatesse des sujets sensibles, touchant le joueur au plus profond de son petit cœur. Un chef d'oeuvre écologique, une ode à la bien bien-pensance, à l'amour, au comique de l'absurde, à la gentillesse, à l'altruisme.
Comme dirait l'animateur des réveillons de ma grand mère, Dropsy c'est que de l'amour. Ce qui nous fait encore plus regretter son rythme inégal, ses énigmes pas toutes calibrées comme il faut, et ses transitions musicales frustrantes.
Et finalement, c'est certainement dans son imperfection qu'il le devient le plus, touchant.