Ah, ce bon vieux Duke. Ces « saloperies d’aliens » viennent de torpiller sa navette et le voilà obligé d’atterrir en catastrophe à L.A.. Une Cité des anges aux rues étrangement dépeuplées, hantées par les silhouettes immondes de reptiliens flippants, de cerveaux flottants, de géants hurlants et de… porcoflics. Pas de doute, l’apocalypse sur terre est en train d’arriver, l’humanité se fait défoncer (où est-elle passée d’ailleurs ?), les jolies ladies sont contraintes de forniquer avec l’envahisseur, et l’Amérique aura au moins la chance de ne jamais voir débarquer Trump au pouvoir.
Le seul espoir du monde : vous.
C’est à dire, Duke "fucking" Nukem. Un grand blond à la coupe à la brosse, biberonné aux stéroïdes et dont la libido ferait rougir un bonobo. Une paire de lunettes noires sur le pif, vous déambulez pétoires à la main dans des avenues infestées d’aliens belliqueux. Votre mission : défourailler le plus de triquards possibles, vous frayer un chemin à travers la ville, puis dans le vaisseau mère des vilains squatteurs afin de gagner le match en déféquant dans le cou de votre ennemi vaincu.
Tout un programme, non ?
Alors oui, présenté comme ça, il est fort possible que Duke Nukem 3D paraisse être un jeu horriblement bourrin, vulgos et sexiste. Et c’est ce qu’il est à peu près, le prétexte de l’auto-dérision suffisant à faire passer la pilule. Car Duke n’était à son époque qu’une caricature de l’action hero typique que tous les jeunes garçons rêvaient d’incarner au beau milieu des années 90, dans des jeux vidéos type Wolfenstein, Doom… A ceci près que les créateurs de 3D Realms avaient doté Duke d’un petit plus que les autres taiseux, eux, n’avaient pas : la gouaille.
Fort en gueule, jamais avare en punchlines sarcastiques, notre personnage dédramatisait constamment la tuerie à laquelle il se livrait en balançant des « Come get some ! » et des « Hail to the king, baby ! » qui empruntait aux punchlines de Ash dans les Evil Dead. Et c’était bien cet humour, porté par la voix mythique de Jon St John ainsi que le formidable moteur 3D du jeu qui permit à Duke Nukem 3D de défoncer la concurrence FPS pour s’imposer à sa sortie en 1996 comme LE jeu PC à avoir.
Finis les Wolfenstein en demi-molle, dépassée la planète rouge sanguine de Doom, oubliés les premiers Duke en 2D, Duke Nukem 3D, c’était le must-have pour tous les gosses aujourd’hui assez vieux pour avoir presque honte de l’avouer.
Car nul doute que plus personne ne se hasarderait à ressusciter le graveleux Duke et sa verve iconique sans prendre le risque de se prendre une volée de bois vert post-MeToo.
Et cela se comprend à peine, vu que Duke n’était qu’un pastiche des stars musculeuses du cinéma d’action des 80’s. Depuis, les multiples GTA et les clips de Miley Cyrus n’ont pas non plus fait beaucoup de bien à la cause féministe mais leur succès n’est jamais allé en décroissant.
Alors quoi ? Qu’est-ce qui me plaisait dans Duke Nukem 3D ?
Les vannes du perso ? Assez drôles pour vous décrocher un sourire alors que vous torturiez le clavier.
Les allusions grivoises ? Idéal pour tous les petits obsédés pubères… mais un peu lourd comme running gag.
Le design du jeu alors ? Oh putain, ces graphismes ! Ces graphismes !
Les bruitages ? On croyait presque que ces saletés de bestiaux surgissaient de l’écran quand leurs cris retentissaient !
La direction artistique ? À en tomber de son siège tellement elle donnait la gaule.
Et cette musique !
Bon sang cette musique !
Il y avait bien sûr le mythique Grabbag, thème d’intro réinterprété à toutes les sauces, toutes les grattes, depuis trente ans (voir les centaines de reprises sur la toile).
Mais pour moi il y avait surtout Stalker. Cette musique qui accompagnait nos déambulations tout au long du premier niveau. Et qui nous mettait dans l’urgence de la mission, l’imminence de l’extinction humaine, l’angoisse de cette métropole urbaine étrangement dépeuplée, l’ambiance de fin du monde…
Combien de fois me la suis-je réécoutée cette musique, juste par nostalgie…
Et ce bon vieux Duke. Baraqué comme un célèbre culturiste autrichien, macho comme un Belmondo mais…
Pour moi ce gars, c’était un tout autre personnage de cinéma. Son parachutage in media res au début du jeu me faisait surtout penser à deux films de John Carpenter. L’étrangeté du morceau Stalker m’évoquait les lignes de synthé angoissantes du score de New York 1997, les rues désertées du jeu répondant aux artères abandonnées du Manhattan nocturne dans le chef-d’œuvre de Big John.
Mais mieux encore : la carrure d’une armoire à glace, la tignasse blonde, les lunettes noires, le dézingage systématique des aliens dans une cité des anges où l’ennemi passait à l’offensive et avait corrompu même les flics…
Plus aucun doute, le John Nada de They Live n’était pas mort, il s’était simplement coupé les tifs et était reparti en croisade contre l’envahisseur. Dans mon esprit de jeune cinéphile, Duke Nukem 3D était moins la récréation délirante et grossière voulue par mon pote Benji que la suite officieuse et terriblement jouissive d’Invasion Los Angeles. D’autant plus que les concepteurs avouaient ouvertement leur inspiration : « It’s time to kick ass and chew bubble gum, and I’m all outta gum ! ». Sans émetteur pour se dissimuler aux humains, les aliens avaient simplement rangé leurs costards pour passer à l’attaque, et Nada, surnommé ici Duke, se voyait mal les laisser faire.
Et comme il n’avait plus de bubble-gum… Et que moi non plus…