Comment aborder une critique de l’un des jeux les plus attendus de sa génération ? Un jeu qui changera certainement à jamais le visage des jeux en monde ouvert, ou en tout cas la perception que les joueurs en ont. Un jeu vu comme l’apogée de son studio, et vendu comme l’ouverture à tous les profils. Il y aurait beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses à dire. Voyez-donc cette critique plutôt comme un journal de bord, un extrait des points clés de tout ce que j’ai vécu pendant près de 150h sur cette mémorable aventure, perfectible, mais en tout point prodigieuse.
Un peu de contexte
Pour rappel à ceux qui ne me suivent pas particulièrement dans mes aventures vidéoludiques, je suis tombé dans le monde des "souls" avec Dark Souls Remastered, un jeu qui résonne encore aujourd’hui très fort et très régulièrement dans ma vie de joueur. Depuis, je n’ai de cesse de rechercher des jeux m’offrant les mêmes sensations, que ce soit avec les autres jeux du studio, ou avec ceux des autres, tous ces fameux "souls-like" (terme qui est je trouve un peu trop utilisé aujourd’hui).
Mais quelles sont ces sensations ? Connaître la réponse à cette question pourrait bien guider votre aventure sur Elden Ring (ER) dans son entièreté, consciemment ou non.
Il y a plusieurs axes "majeurs" typiques dans les souls, et je considère les principaux comme étant : le gameplay, la découverte, et l’univers (ou le lore). Le lore est souvent très cryptique, et demande au joueur une grande implication, c’est-à-dire d’aller chercher les PNJ, de faire leurs quêtes parfois complexes, de se rappeler d’une grande quantité d’information et d’en créer les liens. La découverte repose sur le plaisir de découvrir les zones, leur visuel, leur level design, leurs connexions entre elles. Le gameplay enfin regroupe toutes les possibilités de build, les mécaniques RPG, et j’y mets aussi les combats contre les boss et leur apprentissage.
En ce qui me concerne, j’ai fini par cibler plus précisément ce que j’apprécie dans tout ça. Et je m’excuse dès à présent auprès des "puristes", mais je ne suis pas particulièrement friand des combats de boss :p. Les raisons sont assez simples, j’aime bien jouer des tanks, c’est-à-dire des persos bien résistants et qui font bien mal, mais très peu mobiles. Mes roulades sont donc toujours assez lentes. Et puis je n’ai jamais été très doué avec les parades au bouclier et leur timing. Donc oui, je n’ai aucun scrupule à battre des boss sans avoir parfaitement "saisi leurs patterns". D’autant plus que le plaisir de découvrir de nouvelles zones et éléments de lore supplante pour moi celui du gameplay. Certainement une résultante de la grande influence des Zelda durant mon enfance, ainsi que le grand nombre de jeux en monde ouvert type Assassin’s Creed que j’ai poncé ces dernières années.
Le jeu dont vous êtes le héros
Si l’on revient maintenant sur ER, absolument tout est possible. Les possibilités de gameplay sont telles, qu’à priori, tous les profils de joueurs y trouveront leur compte. Les habitués retrouveront très vite leurs marques et auront un immense terrain de jeu à expérimenter, tandis que les néophytes disposeront d’une multitude d’outils pour s’en sortir. A priori.
Contrairement à la plupart des tests et à pas mal d’influenceurs habitués de la série, je ne suis pas certain de pouvoir conseiller le jeu à tous les profils de joueurs. Car si il y a beaucoup d’outils rendant le jeu plus accessible qu’auparavant, les mécaniques de base restent les mêmes. Être un habitué des souls ne veut pas uniquement dire qu’on est plus doué en exécution, c’est aussi d’avoir des réflexes acquis depuis plusieurs jeux : parler plusieurs fois aux PNJ, fouiller les moindres recoins, utiliser la caméra pour voir les angles morts avant de rentrer dans une pièce, baisser son bouclier pour récupérer son endurance plus vite, jongler avec le ciblage automatique des ennemis, etc… Vous allez me dire qu’on a tous eu une première fois, mais dans le cas de ER, le principe du monde ouvert fait que vous pouvez aller vous perdre dès le départ absolument partout, et donc vous casser les dents en un temps record. Le jeu est d’ailleurs un peu mesquin en vous guidant très rapidement vers le premier gros boss, qui va bien vous exploser la tronche. Je trouve qu’il est également très facile de faire n’importe quoi avec ses points d’expérience et de rater un peu son build, la possibilité de réinitialiser son perso n’arrivant qu’après au moins 40h de jeu et un boss majeur.
Tout ça pour dire que je pense que le jeu peut autant être une très bonne porte d’entrée dans le genre des souls qu’un immense mur infranchissable. Mais une chose est certaine, si vous attaquez l’aventure : faites le jeu de la manière que vous voulez ! Sans guide, avec guide, offline, online, en armure lourde, à poil avec un gourdin… c’est VOTRE putain d’aventure. Et vraiment, j’insiste, en matière de build, tout est possible (ou presque). Vous pouvez comme moi faire un chevalier lourdement armé mais nul en magie, un sorcier dévastateur mais tué en deux coups, un soldat léger misant tout sur la parade et faisant des critiques de folie, ou encore un samurai létal adepte du saignement et autres altérations d’état. Il y a quand même quelques combinaisons qui ne marchent pas très bien, comme le couple force/foi, sauf si l’on trouve l’arme parfaite (mais qui peut arriver très très tard dans le jeu).
Dans les nouveautés pures par rapport aux Dark Souls, on n’a en réalité que les cendres d’esprit, des fantômes des différents ennemis du jeu, généralement obtenus en récompense des donjons, que l’on peut invoquer moyennant des points de magie, et qui pourront vous sauver la vie maintes et maintes fois. Pour le reste, tout est pareil, ce sont seulement les désignations qui changent : les feux de camp deviennent des points de grâce, les anneaux des talismans, les âmes des runes, etc… Il y a aussi l’apparition d’un système de craft, qui vous permet de créer un bon milliard d’objets, mais personnellement je ne m’en suis jamais servi.
Le dernier point que je pense important de mettre en valeur, et relatif à ces fameuses sensations dont je parlais, est que suivant votre manière de jouer et de progresser, vous ne verrez pas apparaître les mêmes défauts du jeu qu’un autre joueur. Je parlerai de mon expérience personnelle plus loin, mais j’imagine que si vous ne passez pas nécessairement beaucoup de temps à fouiller et donc à récupérer des objets, vous risquez de vous heurter à plus de paliers de difficulté.
Le meilleur monde ouvert de tous les temps ?
Le monde ouvert de ER a quasi-unanimement été comparé à celui de The Legend of Zelda Breath of the Wild (BOTW). Et effectivement, son approche est très similaire, dans le sens où la quasi-totalité de la progression (en tout cas au début) va se faire en fonction de ce que l’on voit à l’écran. On voit tel château, telle bâtisse en ruine, tel arbre géant, hop, on ouvre la carte, on se repère à peu près avec grâce à la topographie, on met un marqueur et on y va. En chemin, on découvre un autre point d’intérêt, du coup on fait un détour, puis un autre, puis un autre… et sans crier gare 10h de jeu se sont écoulées.
Le système de la carte qui se découvre au fur et à mesure est d’ailleurs très bien foutu. Il faut ramasser les morceaux de carte généralement simplement posés sur le bord des chemins principaux, et pan par pan, toute l’étendue du jeu se dévoile, avec le gimmick très intelligent de progressivement dézoomer à chaque pan, ce qui créé un sentiment d’immensité grisant. Le jeu se permet même assez rapidement dans les zones de départ de vous téléporter dans un endroit très avancé du jeu, inexploitable en l’état, mais vous donnant un habile teasing de ce qui vous attend. Comme dans BOTW, vous êtes libres de placer tout plein de marqueurs pour vous rappeler d’endroits ou d’éléments importants, ou d’énigmes à résoudre plus tard. A noter que si vous êtes vraiment libre d’aller où vous voulez, il y a tout de même une progression "logique" induite par le jeu. Vous verrez de toute façon par vous-mêmes les zones dans lesquelles les ennemis sont trop forts pour vous. Je pense qu’il y aura quand même toujours un moment, suivant votre taux d’exploration, où vous allez être un peu trop fort. Mais ne vous inquiétez pas, le derniers tiers vous rappellera à l’ordre :p. Dans tous les cas, malgré des codes "classiques" du monde ouvert, on reste sur une volonté de FromSoftware de ne pas prendre le joueur par la main… même si je pense honnêtement qu’il y aurait pu y avoir quelques adaptations.
Première chose : les quêtes des PNJ. Dans ER, il y a un paquet de PNJ avec des quêtes plus ou moins complexes. Rien d’inhabituel vous me direz, mais ici le monde est gigantesque, et il faut parfois aller vérifier partout tout le temps si tel ou tel PNJ n’a pas changé de place pour être certain de faire avancer sa quête. Et il y a quelques triggers un peu obscurs qui peuvent très vite vous faire rater des quêtes. Je pense franchement que l’ajout d’un journal de quête in-game n’aurait pas été déconnant, c’est-à-dire sans altérer la façon de faire de FromSoftware. Autre élément lié à ça, je me demande si avec la formule du monde ouvert, le système de sauvegarde "permanente" (dans le sens impossible d’en faire une copie… sauf avec le PS Plus…) a encore un sens. D’autant que le jeu propose ici plusieurs fins liés aux quêtes secondaires les plus complexes, sauf qu’après avoir battu le boss de fin… impossible de faire une autre fin sans faire un new game +. Il est clair que FromSoftware nous incite à recommencer une partie en testant un autre build, mais l’aventure étant au minimum de 20 à 30h (sauf si vous êtes speedrunner évidemment), c’est un peu décourageant.
Deuxième chose : le recyclage. Si comme moi vous aimez poncer une zone avant de passer à la suivante, vous allez manquer peu de donjons et de boss optionnels. Et ces donjons, il y en a un PAQUET. Et rien qu’avec les trois premières zones de jeu, on retrouve déjà certains boss en plusieurs exemplaires. Tout au long du jeu, on retrouvera encore et encore les mêmes boss, optionnels ou non, avec les mêmes patterns. Et c’est une horreur. C’est cependant assez compréhensible, vu le gigantisme du jeu, et le prix à payer pour avoir un tel monde ouvert. Je pense par contre que certains donjons auraient pu tout simplement ne pas exister. Et c’est pour cette raison le monde ouvert de BOTW restera pour moi plus abouti que celui de ER (oubliez juste les korogus :p), car BOTW savait quand ne rien mettre à tel endroit alors que ER se sent parfois obligé de foutre un donjon dans un coin de la carte. Et ce n’est malheureusement pas aidé par le level design de ces donjons qui ne se renouvelle que très peu. C’est pourquoi j’ai eu un énorme sentiment de lassitude pendant un petit moment dans ma progression (entre 60 et 80h je dirai).
Dans les petits détails notables, il y a également plusieurs choix très étranges dans l’équilibrage entre exploration et récompense (surtout dans les dernières zones du jeu), avec certains cheminements logiques qui ne mènent à rien d’intéressant ni en terme d’objets, ni en terme de lore.
Il est aussi possible qu’à un moment, vous soyez complètement submergé par l’immensité du jeu, avec un véritable sentiment de vertige. Mais si ce sentiment peut s’avérer un peu déprimant, il est aussi très exaltant. D’autant que la découverte de certaines zones va vous mettre sur le cul, et pendant longtemps.
La définition même de direction artistique
Chaque région a sa couleur dominante et ses nuances qui en découlent, ses architectures, ses décors, ses ennemis particuliers, et tout est d’une cohérence absolue avec le reste, que ce soit l’univers, les armes, les objets, les ennemis, etc…
Certains plans sont surréalistes de dépaysement et de beauté, et on comprend très bien pourquoi le studio a dû faire l’impasse sur certains points, comme par exemple la diversité des boss optionnels. Forcément, une partie de la technique pure a dû être sacrifiée, que ce soit pour quelques textures et autres affichages tardifs à l’écran (typiquement l’herbe). Mais en contrepartie, la profondeur de champ est dingue. Sur PS5, le jeu ne rame jamais, et les temps de chargement sont très courts, ce qui est un vrai plaisir.
Je le répète, mais la direction artistique de ce jeu, c’est fou. C’est juste… fou.
La musique est je trouve malheureusement un peu en-deçà de celle des précédents jeux, mais il y a plus de prise de risque dans les types de mélodies (par exemple l’OST du boss "esprit ancestral").
Pour finir sur l’aspect du scénario et de l’implication de ce cher George R. R. Martin, et bien il n’y a franchement rien d’incroyable. Je ne dis pas que c’est pas bien, mais on reste globalement sur du Dark Souls. On pourrait juste reprocher d’avoir plusieurs noms dont les sonorités sont très proches, ce qui n’aide pas toujours dans la compréhension (genre Godrick, Godefroy et Godfrey :p).
Elle s’appelait Malenia, lame de Miquella
A ce stade-là, j’ai dit tout ce que je voulais dire.
Il me reste cependant une dernière chose. Un dernier petit exutoire à propos d’un boss qui a dévoré mon âme, et que je considère vraiment comme un gros défaut du jeu, et heureusement celui-ci est optionnel pour finir l’histoire (mais pas le platine…). Attention, ça spoil un peu, mais après tout, il s’agit du boss qui a eu le droit à la plus grosse part de la campagne de publicité du jeu.
Malenia, lame de Miquella.
Au secours.
Ce boss m’a tellement traumatisé que j’ai dû faire une pause d’une semaine en jouant à Tunic (bon, pour ça, un grand merci). Et en temps cumulé, j’ai dû y passer près de 8h. Cette chère Malenia est d’une difficulté aberrante. Je n’irai pas dans le détail, mais je pense que quel que soit votre profil, elle vous obligera à changer de build. Et quand on est un bourrin bien têtu comme moi, je peux vous dire que la souffrance de tout remettre en question est réelle. Après, il y a différents paliers. Personnellement, j’ai consenti à changer de type d’arme, à re-répartir mes statistiques, et à utiliser une cendre d’esprit très puissante. Clairement, les moins patients ou téméraires iront directement voir une vidéo "how to beat" pour trouver un moyen bien moins "académique" de passer cet ennemi infernal.
Je me demande vraiment quel était le but de FromSoftware avec ce boss. Il y a toujours eu des boss optionnels très forts dans les Dark Souls, mais celui-ci vient je trouve complètement casser la progression du jeu. Les "vrais" seront sans doute fans, mais les profils comme moi seront abasourdis par le challenge proposé.
Conclusion ?
Quelle aventure.
J’ai évoqué pas mal de défauts, notamment en lien avec le monde ouvert. Ces défauts m’ont vraiment fait rager à certains moments de mon aventure, que ce soit le recyclage de boss ou l’impossibilité de finir certaines quêtes parce que j’avais trop avancé. Mais ces défaut sont assez rapidement balayés par le reste : l’immensité, les possibilités de gameplay, la direction artistique, le boss design (sauf une), l’univers. Et puis ça fait autant de points à corriger pour un prochain épisode, comme le joueur, FromSoftware a aussi une marge de progression !
Après la fin de Elden Ring, comme souvent avec ces jeux, vient le vide. L’impossibilité de revenir en arrière, d’oublier le plaisir de la découverte, en tout cas pour un certain temps. Je ne sais même pas comment conclure sur cette aventure, qui aura été parfois un paradoxe. Trop long ? Trop grand ? Et pourtant on aimerait encore y être. Cette soif qui ne s’étanchera certainement jamais.