Tel un vieux dragon endormi dans les entrailles d'une montagne, il en fallait beaucoup pour me sortir de mon sommeil et me pousser à écrire une nouvelle critique... Mais là, c'en est trop ! La fumée me monte au nez, il faut que ça sorte ! Vous n'êtes (euro)pas prêts !
Comme beaucoup je crois, j'ai été hypé par la direction artistique d'Europa dès son annonce. Cette vision buccolique, bon enfant et verdoyante d'Europe (une lune de Jupiter), dans un délicieux cel-shading pastel façon Ghibli, quel régal ! Et même si la technique est quelque peu à la peine (sur Switch dans mon cas), avec des soucis de framerate, de son, de FOV, et de niveau de détails, on a droit à une balade qui ravit nos petits yeux, caresse notre petit coeur et enchante nos oreilles par une ambiance sonore et musicale bien sentie. Et dès les premières minutes, j'avais envie d'y croire et j'étais prêt à me laisser porter dans ce monde merveilleux. Malheureusement, avec l'histoire et la narration (assez classiques mais agréables à suivre malgré tout), on a déjà fini le tour des bons points du titre. Europ-AH !
Commençons par les défauts "excusables". J'ai donc évoqué la technique graphique, mais la technique au sens large est souffreteuse, avec des chargements qui interrompent des moments paisibles ou épiques, une caméra aux fraises et un mapping des touches (non modifiable sur Switch) contre-intuitif et pas pratique du tout. En un mot, l'équipe n'est pas composée des meilleurs développeurs du moment, loin de là...
Ignorons encore une minute l'éléphant dans la pièce, on y arrive, et parlons du game design en général. La progression dans le jeu et ses niveaux n'est pas très logique, cohérente ni intéressante, et à l'image des éléments de décors de chaque niveau, tout semble placé là au petit bonheur la chance, sans trop savoir pourquoi. Et sans réel évolution dans le jeu d'ailleurs, ce qui donne un sentiment de répétitivité lassant. De grands décors avec des détails visuels... mais vides voire inatteignables à cause d'un "mur invisible" (un vent et une brume) qui nous repousse. Une mécanique de vol plané, mais un très mauvais placement des recharges de celui-ci, et des phases à pieds lentes (pas de sprint) et laborieuses (on bute sur tout et n'importe quoi, ce n'est pas précis, etc). Résultat : une absence complète de "flow", un chemin critique absent ou mal conçu, et l'ennui dans l'exploration, pourtant nécessaire si on veut améliorer notre pouvoir de vol et collecter (pour quoi faire ?) les émeraudes....
Nous y voilà, parlons donc de l'Europachiderme dans la pièce !
J'adore Journey. Ce jeu a été une claque et une révélation quand je l'ai découvert pendant mes études en Science de l'art, spécialité Arts numériques et Jeu vidéo. A l'époque, j'écrivais un mémoire sur le Jeu vidéo artistique (plus précisément comment les artistes peuvent utiliser et s'approprier le média vidéoludique pour créer des œuvres). Et Journey a été la pierre angulaire de ce mémoire et de ma réflexion. C'est un "jeu" d'une élégance rare. Sobre, discret, il ne paye pas de mine et beaucoup s'y ennuieront devant et crieront au scandale, à l'over-hype. Mais Journey, c'est à mon sens l'exemple parfait du game design érigé au rang d'Art, ou comment on peut utiliser le média vidéoludique et ses spécificités pour créer une œuvre d'art, cohérente et mémorable. L'Esthétique, l'Immersion, la Narration et le Ludique : les 4 piliers du média Jeu vidéo y ont été pensés et équilibrés à la perfection pour aboutir à cette expérience unique, artistique, où tout fait sens.
Ici, nous sommes face à une Europale copie !
Et en utilisant le mot "copie", ou "pastiche", je pèse mes mots : pratiquement TOUS les ingrédients de Journey ont été imités. Et je ne parle pas d'inspirations, mais bel et bien de "reproduction" quasiment à l'identique d'un nombre incalculable d'éléments. Alors, parfois, vue la qualité du modèle, ça marche plutôt bien, comme le fait de glisser automatiquement sur une pente, ou d'etre guidé dans le level design par une source de lumière. Mais le reste... Voyez plutôt (spoiler de Journey, forcément) : le niveau "ascension de la tour", la reconstruction d'un pont, le niveau "sous-marin" avec les méduses géantes, la silouhette d'une créature menaçante dans l'embrasure d'un couloir en ruine, le niveau au-dessus des nuages et les portes à franchir avec une baleine à nos côtés, la mécanique d'aura d'énergie, de vol plané et les orbes pour l'améliorer, l'histoire de la civilisation cupide qui s'anéantit dans une guerre contre les machines, le retour au point de départ à la fin du jeu, la phase de cache-cache derrière des colonnes pour résister au blizzard, les créatures hostiles qui nous pompent notre pouvoir de vol, etc, etc, etc, etc, etc, etc, etc.... Sérieusement ???!!! Sérieusement ???!!! Désolé, mais je trouve ça inexcusable !
Ma réaction est peut-être un peu épidermique compte tenu de l'amour et de l'admiration que j'ai pour Journey, mais au-delà de ça, j'y vois surtout une démarche honteuse de la part des développeurs qui reproduisent une autre oeuvre parfois à l'identique, et très maladroitement en plus. Un peu comme ces pastiches cheap opportunistes qui reproduisent des jeux à succès pour en tirer quelques euros faciles. Et Europa, derrière ses beaux atours, est de ces jeux-là. Quelle déception ! Les développeurs n'ont absolument pas compris les qualités de Journey et se contentent d'en repomper les ingrédients, de les mettre dans une boite qu'ils secouent puis jettent par terre et Europaf ! Ca fait des Choca.. ah non, ça fait un machin informe, insipide et indigeste. Bizarre hein ? Non.
À aucun moment Europa ne vient ne serait-ce que froler l'élégance, la cohérence, le flow, l'équilibre, la Beauté et le génie artistique et vidéoludique de Journey. Trop long, répétitif, bancal, lent, maladroit, mal construit, rien ne va... Oui, c'est mignon, et si vous ne connaissez pas Journey, vous pourriez apprécier Europa comme un jeu "sympa" (d'où ma note). Mais ce dernier n'apporte quasiment rien de personnel à part sa direction artistique. Jeu sympa pour certains, pour moi c'est surtout une insulte artistique, aux joueurs, à Journey et au Jeu vidéo en général.
En résumé : Europassez votre chemin !
(cette critique est sponsorisée par la Ligue Internationale des Jeux de mots pourris. Je vous demande Europardon ! Et, Siva brévis et spiritus maxima... Ca veut rien dire mais je suis très en colère !)
Merci de votre lecture