Parfois, le destin peut être cruel : de très bonnes consoles comme la Dreamcast peuvent s'éteindre malgré d'excellents jeux dans leurs ludothèques, de très bons développeurs comme Psygnosis peuvent disparaitre malgré des classiques dans leurs répertoires, et parfois, de très bons jeux comme "Evil Twin: Cyprien's Chronicles" peuvent être oubliés malgré de riches univers graphiques.
C'est hélas le triste destin de ce trésor caché, perdu dans le vaste catalogue qu'est celui d'Ubisoft, qui signera la fin de son studio : In Utero. Quel dommage, quand on sait que ses anciennes productions ("Jekyll & Hyde" en tête de liste) étaient loin d'être mauvaises en terme de graphisme, de bande-son ou de moteur de jeu.
"Evil Twin: Cyprien's Chronicles", qui par ailleurs était surtout prévu pour une production audiovisuelle avant de changer de cap, descend lui aussi de cette belle lignée : une direction artistique maitrisée à la perfection, bradée d'inspirations diverses et variées, et qui, dans ce cas, nous semble empruntées à la dark fantasy ("Dark Crystal" en première place), au cinéma de Tim Burton et Jean-Pierre Jeunet (et surtout "La cité des enfants perdus") ou encore à "American McGee Alice". Ce qui s'en ressent jusqu'aux graphismes, particulièrement soignées aux côtés d'autres jeux sortis en 2001 (comme "Conker's Bad Fur Day" ou "Harry Potter à l'école des sorciers", sortis plus ou moins à la même époque), et jusqu'à la bande-son, en adéquation totale avec l'univers d'"Evil Twin: Cyprien's Chronicles". Sans parler du doublage des personnages, magistralement exécuté ici, et ce avec une crédibilité totale.
Mais malgré tout ces excellents points déjà abordés, l'un surplombe sans effort le reste de la masse : le scénario. Particulièrement audacieux pour un jeu à destination des jeunes, il ne tombe jamais dans la facilité, et ce malgré une trame des plus classiques du héros devant vaincre un ennemi, symbole du mal incarné. En réalité, le jeu se permet bien des écarts de ce fil directeur relativement convenu en y incorporant énormément d'éléments relevant du psychologique, le jeu ne tarissant pas d'éléments métaphoriques simplistes aux premiers abords, pour nous délivrer ensuite une seconde lecture bien plus pertinente. Car le but ici est de mener Cyprien, transporté contre lui dans un univers fantastique déchu afin d'y sauver ces amis, ainsi que son ours en peluche, enlevés par le Maitre. Et à moults reprises, Cyprien sera amené à confronter ses peurs, ses angoisses, ainsi que ceux de ses amis, et croiser des personnages lourds de sens qui prennent de plus en plus d'épaisseur au fur et à mesure de l'histoire. Cette complexité d'écriture, habituellement dûre à maitriser, le jeu arrive à le tenir jusqu'au climax final sans la moindre difficulté, et de pouvoir voir une telle qualité aussi bien menée dans un jeu vidéo, c'est tout de même fichtrement plaisant.
Mais telle la Dreamcast, ou le studio Psygnosis cité au début de cette critique, il est rare que ces pépites s'éclipsent gratuitement.
Car si In Utero a souvent été loué pour la direction artistique de ses jeux, elle a été en contrepartie pointée pour la maniabilité laborieuse de ses précédents titres, et malheureusement, "Evil Twin: Cyprien's Chronicles" n'échappe pas à la règle. Et ce, sur deux points spécifiques :
1) le positionnement de la caméra, qui semble parfois ne pas savoir ou se placer durant certaines phases de jeux, rendant certains passages particulièrement crispants à aborder, surtout les phases de plateformes (que l'on garde pour le deuxième point).
2) le gameplay, qui n'a rien à voir avec l'emplacement de ses contrôles (sauf sur PC à la rigueur, personne n'est parfait...) mais plutôt avec leurs sensibilités parfois mal dosées, comme pour les sauts difficiles à jauger dans certaines phases de plateformes. Ces soucis de dosages, certaines mécaniques de jeu en souffrent, comme les phases d'escalades exécutés maladroitement, le mode de visée en FPS (très largement sous exploité) ou encore le système d'inventaire, pas très intuitif et dont les items ne sont pas toujours explicites sur leurs mode d'utilisation (et c'est d'autant plus frustrant que d'autres mécaniques de gameplay, comme la transformation en SuperCyp, sont franchement bienvenues).
Et même si le jeu est loin d'être injouable, il faudra un certain temps d'adaptation pour dompter ces quelques défauts qui viennent ternir certains passages du jeu. Quel dommage, car l'on frôlait pratiquemment l'excellence jusque là, de perdre ces bons points en contrepartie.
Pour conclure, il est indéniable que l'on se trouve ici face à un jeu avec un potentiel gigantesque excellement exploité qui peut se réveler extrêmement agréable à parcourir si l'on parvient à faire abstraction de ses quelques maladresses de jouabilité, et qui surtout gagnerait à être davantage connu et reconnu au panthéon des productions vidéoludiques francophones, parce que oui : "Evil Twin: Cyprien's Chronicles" pourrait sans conteste faire partie de ceux-là.