Fate/stay night
7.9
Fate/stay night

Jeu de Type-Moon et Kadokawa Shoten (2004PC)

Le visual novel est un art unique, à la jonction du cinéma, du jeu vidéo, de la musique, du roman et de la peinture. Et Fate/stay night est le meilleur représentant de ce genre hybride et fascinant. Le jour lointain ou j'ai écrit la première mouture de cette critique, j'étais même naïvement persuadé que Fate/stay night était le seul visual novel, c'est vous dire...

Je pars du principe que le lecteur averti aura avant tout lu la critique de l'ami Skidda qui vous explique pourquoi le visual novel est un genre à part entière. Je ne veux donc pas entendre de critique "ouais, mais c'est pas assez interactif !". Zut quoi, on compare ce qui est comparable et on critique sur des critères adaptés, enfin ! Je passe donc en vitesse sur les critiques d'un genre qui n'ont pas lieu d'être : oui, le visual novel n'est pas interactif, ou presque pas, oui, ses graphismes sont souvent pauvres et il est bourré le texte. C'est le but.

Dans ces conditions, sur quoi juger Fate/stay night ?
Premier élément majeur, le scénario.
Vous pouvez avoir un bon jeu vidéo avec un mauvais scanario si le gameplay rattrape le coup. Ici, pas de gameplay et du texte en permanence, donc pas le droit à l'erreur de ce côté.

Voici donc le pitch : sept magiciens ayant invoqué sept guerriers légendaires se combattent dans une lutte à mort pour remporter un trophée magique, appellé Graal, qui leur permettra d'exaucer leur vœu le plus cher.

Cela vous semble bien basique ? Détrompez-vous. C'est l'occasion de construire des personnages avec une colonne vertébrale : des motivations. Leur présence, leur caractère, leur style illuminent le jeu, comme un bon acteur illumine à lui seul un film. Ce qui permet à FSN d'éviter le piège de la lenteur, de la contemplation et du bavardage qui peuvent rendre un visual novel si insupportable. Parce que je vous jure que 120 heures de texte (anglais) c'est déjà dur, mais si en plus il est mal écrit...

Rien de tout ça ici. L'histoire, partie d'un principe simple, entremêle les destinées, les motivations et les histoires dans une trame narrative extrêmement riche et complexe et le jeu, malgré la simplicité apparente du pitch, est rythmé de façon très simple; en phase jour tu rigoles et tu t'informes, en phase nuit tu frémis et combats pour tes idéaux, tes amis...ou ta vie.
Ce principe a un double intérêt : d'une part, le développement de l'histoire, ce que j'ai envie d'appeler la partie "informative" du roman, nécessaire pour comprendre, a lieu le jour et n'empiète pas sur l'action qui a généralement lieu de nuit. Et d'autre part, créer un code aussi simple signifie qu'il est simple à casser. Ne vous inquiétez pas, ce jeu saura vous surprendre. Douloureusement dans son histoire, amoureusement dans sa réalisation.

Autre critère majeur ? Le chara-design et de façon générale l'esthétique. Et là, on est gâté. Le trait est superbe, élégant et expressif, les couleurs sont éclatantes, la variété d'expressions de visage, de mouvements, de personnages, de décors, d'effets...est stupéfiante, un régal pour les yeux. Mention spéciale aux Servants qui ont tous un look d'enfer sans pour autant sombrer dans l'exagération. Surtout Saber. Mais c'est normal, c'est la meilleure. Quelle chance, vous allez tomber amoureux d'elle, de sa façon de manger le riz et de vous mettre la misère au Kendo...et comme Shirou, vous ne brûlerez que de protéger cette émouvante jeune femme en armure qui cache une lourde, très lourde destinée. Plus lourde encore que la vôtre ? Peut-être pas. Emiya Shirou, vous avez juré de suivre le rêve de votre défunt père. Vous voulez devenir un héros justicier qui sauvera tout le monde. Mais quand comprendrez-vous que ce genre de héros...ça n'existe pas ?

Dernier critère et non le moindre, le son. Un visual novel n'est pas un livre. Le son y occupe une place prépondérante. Le doublage des personnages aussi.
Autant le dire : c'est un bonheur. Le fantasme de tout amateur de doublage se réalise ici dans une performance inégalée. Entre le timbre narquois de Shinji, la voix ferme de Saber ou le grondement rauque d'Archer...chaque personnage a une identité sonore totalement en phase avec sa personnalité. Le doublage est stupéfiant de qualité et souligne très bien les moments critiques ou humoristiques. Quant à la musique, rien à redire non plus. Les thèmes d'ambiance sont très, très nombreux. Près d'une cinquantaine, pour la plupart géniaux sans pour autant écraser le reste du jeu, et soulignent les très beaux moments de l’œuvre de façon splendide. Pour certains, ils resteront gravés dans vos mémoires, et si vous en voulez encore, une option vous permet de les écouter et de les savourer séparément... Quelques thèmes sont assez laids, voire franchement ratés. Mais ce sont ceux que l'on entend qu'une seule fois en 120 heures.

Un détail qui a son importance, tout de même : Fate/stay night est un jeu adulte. 18+. C'est le seul défaut que j'ai véritablement trouvé à ce jeu : les scènes hentai (pornographie dessinée) gratuites. Elles n'apportent rien à l'histoire, vont parfois même à l'encontre de la personnalité des protagonistes, sont absurdes et cassent le rythme, se résumant à un pur produit commercial pour ados en lutte avec leur libido. L'avantage, c'est que l'ensemble ne dure pas une demi-heure. Sur 120 heures, faites le calcul de ce que cela représente. Et vous pouvez même mettre l'avance rapide.

Mais tout cela n'est qu'une peccadille face à l'atout le plus conséquent de Fate.stay night : son ambiance. Comment dire...il y a un humour, un comique de situation, repris en boucle au moment des repas qui fait toujours rire le bienheureux joueur ahuri d'une telle inventivité. Il y a des blagues récurrentes et des codes fidèlement respectés, mais aussi des personnages hilarants, et d'autres, terrifiants... Et ces scènes poignantes...la vision de Saber, qui...oh mais non. Je ne peux pas. JE NE PEUX PAS ! J'en ai presque eu le cœur brisé.
Sans compter les millions de détails qui vous impressionnent autant qu'ils vous réjouissent : "NON ? Ils ont aussi pensé à ça ?"

Mention spéciale, bien sûr, au désormais légendaire "Tiger Dojo", animé par la charismatique Fujimura Taiga. Dans l'histoire en elle-même, le rôle de ce personnage gentiment étonnant est affirmé : vous faire rire. Mais dans le Tiger Dojo...alors là, on se lâche dans un humour potache et absurde jouissif qui ne fait qu'ajouter à l'amour que vous portez à ce jeu ! Pour vous remettre dans le contexte...le Tiger Dojo, c'est l'endroit où vous allez après chaque mort. Souvent dans des conditions dramatiques, parfois totalement surprenantes, ou bien terriblement cruelle...vous gémissez, vous pleurez, et, ne supportant plus cet écran noir frappé du sobre "Bad End" ou "Dead End", vous cliquez...et on se fout de vous pendant 5 bonnes minutes avant de vous renvoyer dans le jeu, muni de quelques précieux conseils pour ne plus recommencer...et un coup de pied au cul quand il le faut. Ah, la mort, on rit beaucoup, mais on rit du décalage créé car, souvent, votre défaite est épouvantablement tragique : vous ne perdez pas seulement quand vous mourez. Vous perdez également si vous perdez de vue votre idéal.

Peut-être est-il temps d'expliquer le titre de cette critique (si tant est que vous soyez arrivés jusqu'ici...). Fate/stay night dispose de trois scénarios complémentaires, trois scénarios profondément marqués par la thématique de "L'Idéal", l'accomplissement de soi en sorte.

Le premier, Fate, est "L'accomplissement de soi comme idéal". Il introduit l'histoire, les idéaux d'Emiya Shirou, le garçon aux rêves d'héroïsme.

Le second scénario révèle ce que deviendra Shirou s'il arrive effectivement à ses fins et devient un héros justicier, le montrant moralement ravagé, amer, brisé. C'est "Unlimited Blade Works", la voie de "La lutte avec soi-même comme idéal".

Enfin, l'ultime chemin et, à mon sens, le véritable, est "Heaven's Feel", où Shirou, ayant compris qu'il n'arrivera jamais à atteindre son rêve, abandonne pour protéger ceux qu'il aime. C'est la voie de la maturité, "la friction entre le réel et l'idéal".

Trois histoires aux tons différents, aux évènements complètement divergents, mais surtout trois histoires qui parviennent à peindre en 120 heures les portraits et destinées croisés de l'enfant rêveur qui devient adulte, du souverain indigne de son trône, de l'héritière aux responsabilités trop lourdes pour elle, de l'enfant abandonné, du roi fou, de l'homme qui erre sans but et sans foi, du messie raté, de la fille au destin brisé, et de tant d'autres... dépeints avec la grâce et la puissance d'un scénariste passé à l'âge adulte.

Fate/stay night est un investissement à plein temps. Il est si riche et complexe que vous ne vivrez sans doute que pour ce jeu pendant quelques temps, ce qui, en fait, participe à l'extraordinaire ressenti en finissant le jeu : après tant d'heures vécues en commun, c'est comme une part de sa vie qui s'achève avec la fin de l'histoire d'Emiya Shirou...

Il faut pourtant, un soir, arrêter tout parce que c'est fini, parce que vous avez achevé les trois routes, les quarante morts. Alors seulement vous pouvez ouvrir votre fenêtre et constater que les oiseaux chantent aussi au-dehors, ce que vous aviez oublié tant vous étiez happé.

Le soir où j'ai fini Fate/stay night, j'ai perçu, mêlé à la tristesse que l'on ressent à se séparer à tout jamais d'amis chers, le bonheur d'avoir vécu une telle histoire. Quinze jours virtuels durant, et, dans le monde réel, pendant plusieurs mois, j'ai vécu, souffert, pleuré, combattu, ri en endossant le rôle d'Emiya Shirou ! Chapitre après chapitre, seconde après seconde ! Alors comment pouvais-je ne pas aimer cette histoire ?
Ces personnages qui ont une vie ?
Ces destinées qui s'entrecroisent ?
Ces rêves qui se brisent, et ceux qui deviennent réalité ?

Je viens d'écrire une critique monstrueusement longue, mais, dans le fond, Fate/stay night est une histoire que l'on ne peut pas décrire parce qu'elle outrepasse tous les genres, tous les superlatifs et toutes les logiques. Ce n'est pas un film, ni même un livre ou un morceau de musique, c'est une véritable vie que l'on fond avec la sienne, une peau qu'on ne quittera jamais vraiment, même une fois le jeu reposé. Non, Fate/stay night n'est pas une simple histoire, c'est une expérience. Une expérience unique dans le monde du jeu vidéo.

Ah, suis-je bête.

Ce n'est pas non plus un jeu vidéo.

Créée

le 9 avr. 2013

Modifiée

le 22 mars 2014

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Tezuka

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