A Fifa on a l’impression, en passant d'un joueur à l'autre, de contrôler un groupe humain en exercice de style: une équipe de foot. Ça m'a pris du temps de me rendre compte que dans mon équipe 10 joueurs sur 11 sont contrôlés en permanence par l'IA. On pourrait dire "j'incarne un joueur après l'autre" mais de quelle chaire parlerions nous? Disons que j'emprunte la possession de l'âme du joueur à l'ordinateur pour un temps limité. J'appuie sur triangle et je fais une passe longue à l'ordinateur qui va devenir moi, je récupère ma propre passe. Toujours l'IA s’efface pour me donner le sentiment que c'est moi qui gère. Je suis le boss, je suis l'équipe, presque le jeu entier. Je peux opérer des changements de joueurs comme l'entraineur donc je me sens aussi entraineur. Si j’appuie sur pause et que je vais dans les paramètres à n'importe quel moment je peux changer l'équipe que je contrôle. Quand je joue à FIFA est-ce que mon véritable personnage n'est pas une sorte d'entité supérieure qui peut posséder les corps et les esprits des footballeurs? Dans le mode carrière la caméra se resserre autour d'un unique joueur que je peux façonner à mon image. Avec lui je suis plus près du sol, plus près de la terre virtuellement foulée. La sensation est différente. Sous cette angle je suis seul parmi une équipe d'androïdes et ces autres sont comme au service de ma réussite. Je suis noté en permanence et il n'y a quasiment que ma note qui compte pour gagner dans ce mode de jeu. Dans les jeux vidéos tout semble un théâtre pré-écrit selon des conditions "d'incarnation". Comme dans les conjugaisons on parle de première, seconde, troisième quatrième personne qui sont les modalités du rituel de possession. Je ne suis déjà plus seul, plus vraiment moi avec tous ces autres. Dans Les maitres fous, les colonisés se transforment en colons, imitent avec force et grotesque les gestes du défilé militaire dont on leur impose le spectacle. Alors moi j’imite Mbappé. Quand je marque un but avec "son corps" c'est la joie. Dans ces autres mondes de jeux vidéo je m'amuse aux petites voitures ou aux petits soldats pendant que se tordent les règles générales. C'est notre magie et notre magie fait bien du pognon. On peut acheter/louer dans le mode "ultimate team" notre droit de seigneurie sur des joueurs d'autres époques et même des joueurs décédés. Avec ces légions de footballeurs fantômes-androïdes qui valent chère j'affronte d'autres maitres fous dans des parties en ligne. Nous régnons ensemble sur un monde de football aux spectateurs et aux joueurs éternels. Nos limites sont technologiques, je suis moi aussi dans le jeu et cette forme partagée ne s'arrêtera qu'à l'année prochaine pour la sortie du nouvel opus et ainsi de suite jusqu'à ce que toute électricité soit partie. J'ai vu récemment que l'âme d'Ezio Auditore a été mise en vente par Ubisoft. Ils l'ont faite descendre du paradis pour nous la vendre?