J'ai évidemment beaucoup d'amour pour Final Fantasy. Si ce ne sont pas mes premiers souvenirs de vidéo-ludisme - ces privilèges étant donnés à Kingdom Hearts et Mario Galaxy sur Playstation 2 et Wii -, j'estime que c'est avec Final Fantasy XIII sur Playstation 3 que mes goûts se sont véritablement formés. Pour la première fois. Fasciné par ce jeu, ses personnages et l'aventure unique que cet univers proposait, je me suis mis à la recherche de l'origine de cette créature et, armé de la PSP de mon père préalablement modifiée, m'intéressai aux précédents jeux de cette série, terminant sur ce petit écran les volets 1, 4, 7, 8, 9, 3 et 5 de la franchise. Les épisodes de 10, 10-2 et 12 furent les premiers jeux que j'achetai moi-même, me privant de repas pendant mon stage de seconde pour me les offrir grâce aux boutiques de Boulevard Voltaire.
Ce furent même mes premières expériences de Retro-gaming, ressortant ma PS2 dans le salon à l'âge de la PS3 et m'entichant de Final Fantasy 9, un jeu de PS1, allant jusqu'à le déclarer, encore jusqu'à aujourd'hui, mon jeu préféré. C'est une franchise qui reste avec moi depuis et dès mon retour au jeu vidéo il y a deux ans, j'ai acheté une PS4 dans le seul but de découvrir Final Fantasy 15.
Dans tout ça, Final Fantasy 7 a un rôle particulier, si c'est un jeu évidemment important dans mon éducation à l'image, que ce soit la présence de Cloud et Sephiroth dans Kingdom Hearts, ou mon visionnage du séquel audiovisuel Advent Children à l'âge de dix ans sans rien savoir du jeu, l'orignal a dépassé la frontière de ses trois disques de Playstation pour s'inscrire dans l'inconscient commun. Et lorsque je l'ai terminé pour la première fois il y a maintenant presque 10 ans, je n'étais ni déçu, ni emballé. Final Fantasy 7 n'était pas mon préféré de la série, je préférais déjà le 4, mais il était à la hauteur de sa légende. Il y a quelque chose de magique dans ces gigas de données. Que ce soit la bande son, les personnages, les mini jeux plus ou moins réussis, la cinématographie assumée ou l'ambition globale du produit, il y a quelque chose de profondément spécial. Si je ne peut sûrement pas comprendre l'impact que le jeu a eu sur la génération PS1, étant âgé de six mois lors de la sortie du jeu, j'ai quand même une forte nostalgie pour la franchise, et un respect énorme pour ce volet, faisant de moi, bon an mal an, une cible facile pour Final Fantasy 7 remake.
Et c'est dommage, car je déteste le concept même de remake, aussi bien en cinéma qu'en jeu vidéo. Une œuvre d'art n'a pas d'âge et remise dans son contexte, avec quelques efforts, J'estime qu'il est possible d'apprécier des jeux de plus de trente ans tout comme des films des années 50. L'industrie du remake, c'est redonner de la nostalgie au public en le caressant dans le sens du poil et en l'empêchant de regarder ses passions d'enfance dans les yeux, remplaçant l'existence d'un produit aimé, par un autre, calibré pour aujourd'hui, annulant l'original et forçant son renvoi dans l'oubli.
Le fan est borné, le fan veut sa nostalgie et se rappeler exactement des sensations qu'il avait quand il avait 8 ans et qu'il expérimentait pour la première son jeu, livre ou film préféré. Chaque changement est vécu une insulte, un crachat à sa figure, les nouveaux produits qu'il consomme ne doivent pas le challenger ou lui faire remettre en question ce qu'il sait, c'est l'hégémonie du film doudou, du jeu bonbon et de la passivité du spectateur, condamné à revivre encore et encore les mêmes sensations, à chaque fois un peu plus émoussées par la répétition, condamnant ses personnages préférés à errer dans une boucle temporelle se répétant encore, et encore, et encore, jusqu'à que l'âme du produit d'origine se brise et disparaisse, suite au reboot de trop.
J'ai pourtant précommande l'édition Deluxe de FF7 remake, manipulé habilement par la loi du marché et j'ai eu les larmes aux yeux à plusieurs reprises, aveuglé par ma propre nostalgie. J'étais heureux de réentendre mes thèmes préférés, de revoir mes personnages favoris, j'étais touché par chaque clin d’œil. Et pourtant, en théorie, rien ne sépare FF7 Remake d'une autre de ces œuvres cyniques que je viens de dénoncer. Pire encore, il ne recouvre pas tout le jeu original mais seulement ses premières six heures, allongeant cette introduction en un jeu complet d'une trentaine d'heures.
On aurait pu s'attendre à une simple actualisation du jeu, et à ce niveau là, FF7 Remake propose quelque chose d'imparfait mais d’intéressant, allant du combat en tour par tour au jeu d'action proposant un mélange de nervosité et de classicisme, les magies et capacités spéciales s'activant par un menu mettant le combat en pause, comme dans les aventures d'antan.
L'histoire aussi est augmentée par cette nouvelle version, là où l'original était desservi par une localisation approximative, la traduction est cette fois impeccable et compréhensible, donnant au joueur toutes les clés pour comprendre le scénario complexe et toutes ses ramifications. Le jeu profite même de son étendue réduite pour étendre certains bouts de l'original et rajouter des passages originaux censés développer l'histoire et les personnages.
Ici, Le résultat est mitigé, si les scènes sortant du jeu original sont magnifiées par le temps et l'effort supplémentaire qui leur sont accordées, ce n'est pas le cas de l'histoire en général qui souffre beaucoup des ralentissements imposées par la structure du jeu.
D'un côté, on a des scènes comme celle de Wall Market, enclave référence à la citadelle de Kowloon, citée chinoise emmurée qui se résumait à deux écrans dans le jeu original, devient un véritable quartier rouge, avec ses places touristiques, ses ruelles sombres et ses coupe-gorges en dehors des sentiers battus, la ville prend vie et donne lieu à un des meilleurs moments de l'histoire de la franchise.
De l'autre côté, les égouts que l'on traverse dans l'original en moins de dix secondes deviennent des donjons à part entière, ralentissant le rythme jusqu'au désintérêt total, le seul souffle restant au jeu étant celui de son système de combat.
FF7R ajoute donc des choses comme le ferait une adaptation de manga en anime, ajoutant des détails, des histoires, donnant parfois de la vie à des personnages secondaires dans des chapitres originaux, mais ralentissant le rythme, parfois enrichissant le travail original, parfois le réduisant à une ombre qui n'a d’intérêt que l'attente du prochain événement. Si la modernisation a ses qualités, elle a aussi ses points faibles. Certes le jeu est très beau, certes la bande son est orchestrée à la perfection et Masashi Hamauzu rend un hommage quasi parfait à Nobuo Uematsu, mais ce qu'il gagne en pureté plastique, il le perd en charme.
Certes les modèles de Final Fantasy 7 n'étaient pas beaux, même pour leur époque, mais il y avait une beauté dans ses décors pré-rendus, un calme, un ton et surtout un style. Pareil pour la bande son, si les morceaux récents sont plus propres, mieux orchestrés et moins "jeu vidéo" que ceux de 1997, il y a un son et une qualité unique au son des originaux qui les départage de tout autre œuvre musicale et les rend, plus que bons, uniques et inimitables. Ils ont un cœur, et le JENOVA de PS1 reste ma musique de jeu vidéo préférée, de part sa qualité presque alienne, ces sons générés par un ordinateur imparfait, cherchant à imiter un instrument quelconque qu'il ne parvient pas à approcher, créant ainsi une nouvelle sonorité à part entière.
Final Fantasy 7 Remake n'aurait pu être qu'un remake parmi d'autres, jouant sur la nostalgie à défaut de proposer quelque chose de différent, répétant des choses dites il y a plus de vingt ans sans rien ajouter et sans rien provoquer. C'était sans compter sur Tetsuya Nomura. et Yoshinori Kitase. Le premier est directeur de la série des Kingdom Hearts, connus pour leur scénario alambiqué mélangeant les mondes de Disney et de Final Fantasy avec plus ou moins de réussite, et le deuxième est le légendaire réalisateur des Final Fantasy 6, 7 et 8. Nomura s'occupera de mener le projet à bien et Kitase réécrira son scénario original pour l'adapter à l'ère moderne. Ce qu'ils ont fait ici, c'est peut-être la seule façon d’élever le remake du produit cynique à l’œuvre d'art.
L'ajout le plus proéminent du remake de Final Fantasy 7 c'est celle des Whispers, des sortes de fantômes noirs encapuchonnés qui se retrouvent intégrés à l’histoire de manière assez lourde à chaque moment important, guidant Cloud et l’entièreté des personnages vers les éléments scénaristiques du jeu original. Parfois, il peut sembler que par la force du joueur, l'on apprête à changer le cours de l'histoire, mais comme par la force de la fatalité, ils nous redirigent dans le droit chemin. Un des exemples les plus lourds étant celui de l'attaque du secteur 7, où la Shinra décide d'écraser tout le quartier des protagonistes, dans le but de les éliminer d'un coup. Si on parvient dans le Remake à éliminer les instigateurs, les Whispers arrivent et nous poussent de côté, laissant nos antagonistes détruire tout ce que nous avons essayé -et réussi - de protéger.
Encore et encore, les Whispers nous forcent de manière grotesque à non seulement respecter le scénario du jeu original, mais aussi provoquent chez Cloud et Aerith des flash mémoriels. A leur première rencontre, Cloud s'arrête, plié en deux par un mal de crâne, il aperçoit une image, une matéria blanche, sorte de sphère magique, tombant dans l'eau. Cette image, c'est celle succédant, dans le jeu original, la mort d'Aerith, assassinée par Sephiroth loin, loin après la sortie de Midgar et donc la temporalité du remake. Comment Cloud pourrait-il savoir ce qu'il se passe dans le futur?
Et si ce n'était pas Cloud, mais le joueur? Si c'était nous qui nous rappelions de ce qu'il se passait dans le jeu original et donc forcément de la mort d'Aerith au moment ou on la rencontre?
On apprendra par la suite que ce qu'il se passe dans le Remake se passe dans une dimension parallèle au jeu original, lui déjà terminé. Les Whispers ont ainsi comme mission de faire en sorte que les événements du jeu original se répètent dans chaque univers, qu'à chaque fois Cloud sorte de Midgar, qu'Aerith meure et que Sephiroth soit vaincu. Sephiroth, conscient de cette réalité projette d'éliminer ces protecteurs du destin afin d'avoir enfin l'opportunité de changer la fin, de vivre et de gagner. Chose qu'il parvient à faire en manipulant Cloud et ses alliées et leur faisant penser que ces Whispers sont des ennemis.
Quand à la fin du jeu, on les élimine, c'est Final Fantasy 7 qu'on élimine, ou du moins son scénario de base. On redistribue les cartes. Les personnages sont maintenant libres d'évoluer comme ils le veulent, sans avoir à prendre en compte leur première aventure il y a 23 ans de cela. Mais c'est aussi la menace qu'on remet en place, Sephiroth maintenant libre et capable de gagner le dernier combat. Pour la première fois, à la fin du jeu on se demande véritablement où va aller l'histoire, on s'attend à être surpris.
Ces modifications sont non seulement théoriquement importantes, remettant en perspective le concept de remake, jeu que l'on va le plus souvent acheter par nostalgie de ce même jeu, et de storytelling sur le long terme. En effet, l'un des autres points importants de Final Fantasy VII Remake c'est comment il intègre dans son histoire la compilation de Final Fantasy VII.
La compilation, ce sont les jeux, livres, films autour du jeu original sortis depuis 1997. Que ce soit le préquel sur PSP Crisis Core, la suite Advent Children ou la suite de suite Dirge of Cerberus sur ps2. Avec le temps, Final Fantasy 7, comme je le disais, est devenu plus qu'il n'était déjà, des personnages se sont rajoutés à l'intrigue, d'autres déjà présents ont gagné en personnalité ou en détails. C'est notamment le cas de Zack, ami et mentor de Cloud, héros de Crisis Core dont la mort met en place toute la personnalité et la ligne narrative de notre personnage principal.
On l'aperçoit à la fin, dans le même combat que celui qui lui coûte la vie à la fin de Crisis Core, affrontant non seulement des soldats de la Shinra, mais aussi des Whispers, qui s'effacent au moment où Cloud les terrasse dans son univers. Zack, censé mourir à l'issue de ce combat, y survit, traînant Cloud avec lui, et changeant ainsi l'intégralité de l'histoire dans son monde à lui.
Il y a une série d'animation très connue appelée Neon Genesis Evangelion. véritable empire médiatique au Japon, cette série racontant les combats de Shinji Hikari et de son mecha, l'EVA 01 contre les anges, sortes d'abominations d'Eldrich venues de l'espace pour détruire les humains, a pour auteur l'un des plus grands savants fous de l'anime japonais. Hideaki Anno, le concepteur et réalisateur de la série, adore briser le quatrième mur, piéger ses fans, quitte à se moquer d'eux frontalement, en leur donnant ce qu'ils veulent pour mieux les blesser et détruire ce qu'ils savaient déjà. Quand en 2007, se mit en route le projet Rebuild of Evangelion, censé être un remake de la série en quatre films, il tordit l'idée à son propre plaisir, transformant sa propre histoire en quelque chose de totalement différent. Si le premier film reprenant plan par plan la série orignale, le deuxième se permettait quelques libertés, ajoutant à l'histoire des personnages, des situations et climaxant sur le troisième impact, une apocalypse censée ne jamais arriver dans la série. Comment continuer ensuite? En réécrivant tout. Le troisième film au titre évocateur (You can (NOT) Redo), change tout, casse tout, les personnages ont d'autres designs, les factions du bien et du mal sont inversées et même les amis de Shinji ont disparus, parfois remplacées par d'autres personnages, au physique similaire mais à la personnalité différente. C'est fascinant et c'est osé, détruire pour mieux reconstruire et mieux dire :
"Pourquoi voulez vous que je refasse la même chose? Pourquoi vous plaignez vous ? Neon Genesis Evangelion n'a pas disparu, retournez le regarder si c'est ça que vous voulez ?"
FInal Fantasy VII Remake n'a pas pour but de remplacer l'original mais de réécrire une version finale unissant 23 ans d'ajouts et de soustractions à l’œuvre classique pour créer quelque chose de de nouveau, respectant son héritage pour mieux le tordre, ne se contentant pas de moderniser, mais de changer et de faire évoluer l'histoire, comme elle a évoluée depuis le temps dans nos esprits. C'est parfois lourd, et ce ne se fait pas sans perdre une grande partie de l'âme de l'opus playstation, mais tant mieux, car Final fantasy 7 Remake n'est pas Final Fantasy 7, il ne cherche pas à l'être. Si parfois il s'en approche c'est pour mieux attraper le joueur et le rendre docile, prêt à être choqué par la totale réécriture qui s'annonce.
Dans la cinématique de fin, Sephiroth et Cloud s'affrontent. La caméra coupe, s'approchant de leur portraits, dans les mêmes cadrages que ceux qui terminaient leur combat en 1997. Le message est simple : On a terminé de refaire le jeu, regardez, on est déjà à la fin. Maintenant on part sur autre chose.
Le souci c'est que cette fin à déplu aux fans, aux relous, à tous ceux qui n'aiment pas qu'on touche à leur doudou, et du coup il est possible d'avoir peur que Square Enix, développeur quasi monopole sur le monde du jeu de rôle japonais, prenne peur et décide de coller à l’œuvre originale. ça serait dommage et triste que dans un monde où on cherche actuellement à faire remaker des jeux comme Resident Evil 4, pourtant disponible, jouable, et toujours excellent sur les consoles actuelles, l'un des seules œuvres à oser chercher une esthétique et un poids théorique à cette boucle temporelle sinistre qu'est le remake s'effondre et se vautre dans son propre cynisme.