Et si le premier, c'était le douzième ?
Il est de ces œuvres mal aimées, que l'on se prend à détester, faisant fi de toute logique. Final Fantasy XII est de cette caste maudite. Dénigré par les puristes de la saga, raillé par les néophytes, le jeu avait pourtant été noté 19/20 par Jeux Vidéos Magazine lors de sa sortie. Un honneur loin d'être galvaudé pour un titre qui mérite d'être réhabilité. Car oui, la place de Final Fantasy XII n'est pas dans un grenier poussiéreux, mais bel et bien au panthéon vidéoludique.
Lost In La Mancha / Ivalice
Dernier titre majeur de feu la PS2, Lady Ashe et son escorte ont souffert de l'attente suscitée par la parution de ce douzième Final Fantasy. Une effervescence en grande partie due à un développement chaotique étayée sur cinq années. Cinq interminables années durant lesquelles la sortie du titre aura été repoussée un nombre incalculable de fois. Initialement réalisé par Yasumi Matsuno, ce dernier abandonnera le projet en 2005 à la suite d'un énième report. Hiroyuki Ito et Hiroshi Minagawa le remplacent alors que la production était sur le point d'être purement et simplement annulée. La logique l'imposait. Oui mais voilà, il ne s'agissait pas d'un simple jeu, mais d'un Final Fantasy. Finalement le jeu sortira en Europe en février 2007, soit un mois avant le lancement de la... PS3. En Tennis, c'est ce qui s'appelle jouer long de ligne.
Ce retard a l'allumage est l'un des facteurs de désamour les plus, sinon le plus prépondérant. En cinq ans, les joueurs ont évolué, tant par leurs aspirations que par leurs habitudes de jeu. Quand Final Fantasy X sortait, la saga était encore LA référence vidéoludique ultime. Or, entre Tidus et Vaan, il s'est écoulé un mandat présidentiel. Entre deux grèves générales et une émeute des banlieues, le monde a eu le temps de découvrir World of Warcraft, Guild Wars et autres MMORPG. Lara Croft a souffert de la concurrence de Youporn auprès des Geek et Facebook réunissait déjà une cinquantaine de millions d'utilisateurs. Un joueur français né en 1990 avait 12 ans en 2002. Lorsque le douzième opus sort sur le marché européen, il en a désormais dix-sept et forcément un regard plus critique. Il fallait alors moderniser la franchise sans préavis, pour conserver la conséquente base de fans et rallier les nouvelles générations. Un équilibre que n'a malheureusement pas su trouver Square Enix.
"Remettre les rennes de l'histoire entre les mains du joueur"
Après un Final Fantasy X linéaire à souhait et son scénario omnipotent, place donc à Final Fantasy XII le libertaire, pour ne pas dire l'anarchiste. Et c'est là que l'on commence à avoir des envies de meurtre quand on lit les plaintes de certains joueurs. "On a pas l'impression d'avancer, le scénario est trop discret, bla bla bla". Mais qu'est-ce que vous voulez les gars ? Le dixième opus était infernal pour la raison inverse : impossible de faire deux pas sans SUBIR une cinématique, parfois complètement inutile (J'ai personnellement eu envie d'avaler la jaquette de FFX une demi-centaine de fois sur la route de Mi'ihen). Là on a justement un jeu qui permet au choix d'avoir une cinématique tous les trois battements de cils durant les vingt premières heures du jeu, si tant est que l'on ne s'attarde pas, ou au contraire vous offre la possibilité d'explorer un monde incroyablement vaste et cohérent. Cependant, il est vrai que quelques passages du jeu auraient mérité d'être davantage travaillé, de même que certains personnages, notamment Al-Cid, Reddas et Gabranth.
Le scénario n'en demeure pas moins extrêmement bien travaillé et étonnamment mature pour un jeu japonais. Entre manigances politiques, enjeux géostratégiques (la position de Dalmasca, la montée au pouvoir de Vayne, le déchirement de la Maison Solidor, les intrigues diplomatiques du Marquis Ondore...) et drames humains, Final Fantasy XII offre au joueur une expérience unique : vivre un récit réaliste et relativement proche de nos contrées (le développement coïncide avec la Guerre en Irak) dans une univers onirique. Et sans jamais verser dans le manichéisme, fait unique pour un RPG. Vayne Solidor, le méchant de l'histoire, n'étant qu'un antagoniste politique, dont les intérêts divergent avec ceux de nos héros et de la princesse Ashe en particulier.
The Good, The Bad and The Ugly,
Parlons-en du méchant. Point de bon récit sans bon méchant. Vayne Solidor constitue certainement la deuxième incompréhension la plus légitime pour les fans. Contrairement à Sephiroth, Ultimecia, Kuja et Seymour, Vayne Solidor n'a nullement l'intention de détruire le monde. Il est même particulièrement humanisé, comme Kuja en son temps. Il est un excellent politicien, sévère mais juste. En tant que consul de Rabanastre, il permet à Dalmasca de redevenir une place forte économique seulement deux ans après la fin de la guerre. Mieux, il oblige les soldats archadiens à cesser leurs exactions auprès des populations locales, leur interdisant notamment... de boire de l'alcool durant leur service. Il dispose cependant de traits suffisamment détestables pour le rendre antipathique : mégalomane, despotique, colérique et lunatique, il est la symbiose parfaite entre Jules Cesar, Napoléon et Nicolas Sarkozy. C'est bien entendu trop pour un seul homme et un motif valable pour avoir envie de l'achever à coup d'impulsions. Vayne Solidor s'avère donc être un antagoniste de première main, en dépit des apparences et d'un combat final plus spectaculaire que difficile. Notons qu'à ce petit jeu, la critique est déplacée : les boss finaux des FF étant pour la plupart très simples à liquider. Qu'en est-il donc des protagonistes ?
A l'instar de Final Fantasy VIII, le douzième du nom propose de jouer avec six personnages. Les "équipes" sont la faiblesse historique de la saga. Parfois trop nombreux (FF VI) , trop hétérogènes (FF VII) et souvent pas assez travaillés (FF VIII), le joueur ne s'attarde réellement qu'aux personnages qui composeront sa "team". Square Enix semblait avoir trouvé la formule gagnante. Les huit protagonistes de FF IX étaient ainsi particulièrement attachants et variés, bien aidés il est vrai par l'Active Time Event, qui permettait de suivre les péripéties parallèles des "remplaçants" de la team. Pour le dixième opus, si aucun personnage ne sortait vraiment du lot en matière de charisme et de background, la surmultiplication de cinématiques avait l'avantage de son inconvénient : le luxe d'approfondir à souhait nos héros et leurs évolutions empiriques. Final Fantasy XII signe là son seul revers réel, à savoir une équipe de héros qui cumulent les défauts des FF VII et VIII. Les personnages secondaires cités plus haut sont ainsi trop peu développés. Penelo n'a absolument rien à foutre là. Ashe n'évolue pas assez, Basch disparaît progressivement du fil de l'intrigue en dépit de magnifiques promesses et Fran, bien que disposant d'un chapitre entier consacré à son histoire, n'apporte rien de plus au scénario que son sculptural postérieur. Une équipe de bras cassés pour sauver un royaume, ça a le don de ruiner la crédibilité du récit. A ceci près qu'à l'instar d'une série comme Game Of Thrones, Final Fantasy XII narre des faits historiques fictifs, pas l'épopée incongrue d'une bande de saltimbanques. Ce n'est toutefois pas l'hécatombe, car trois personnages permettent d'apporter au jeu la dimension qu'il mérite.
Les Chevaliers de Balfonheim
Certainement le personnage le plus intéressant de la saga Final Fantasy, avec Vivi (FF IX) et Terra (FF VI), Balthier est en soi un argument suffisant pour découvrir le jeu. Le "Sky Pirate" est évidemment LE héros du jeu, comme il se plaît à le répéter tout au long de l'aventure, et ce dés sa première apparition ("Le premier rôle, qui d'autre ?"). Arrogant, cupide, vicieux, courageux mais pas téméraire, il remplit parfaitement son rôle d'anti-héros, attachant mais sans jamais verser dans le pastiche ni de Han Solo, ni de Jack Sparrow. Qu'il ne soit pas le personnage jouable est d'ailleurs l'une des options les plus osées choisies par les développeurs. Rendez-vous compte, un jeu où le héros n'est pas le main character, c'est franchement culotté... Et classe. Ce qui lui permet d'ailleurs d'avoir son lot de secrets dans l'aventure, que nous n'énumérerons pas ici afin de ne rien spoiler.
Comment peut-on ériger au rang de demi-dieu un personnage OPTIONNEL comme Vincent Valentine, qui malgré un design extrêmement bien travaillé, ne doit pas avoir plus de quatre répliques, et dans le même temps affirmer que les protagonistes de Final Fantasy XII n'ont aucun charisme ? Comment peut-on OSER vouer un culte à Auron, caricature grotesque du maître d'armes que l'on retrouve dans n'importe quel Shonen, comment peut-on s'identifier à Squall, abominable cliché de l'orphelin à mèche solitaire, et passer à côté de Balthier ? L'autre "sauveur" n'est autre que le jeune Larsa Solidor. Par deux fois membre invité de l'équipe, le frère cadet de est l'antithèse parfaite du cliché adolescent japonais, malgré ses traits androgynes. Mature, s'exprimant dans un langage soutenu, posé, il est un allié de poids (merci les Maxi Potions) et surtout un personnage indispensable à l'intrigue, puisqu'il est le héros, non pas du jeu, mais de son histoire. Ses desseins, difficilement identifiables au premier abord, constituent ainsi l'un des aspects les plus importants du scénario.
Voir Ivalice et mourir
Le troisième sauveur quant à lui, Vaan en l'occurrence, a certainement la prestance d'une jeune écolière perdue en plein Soweto. Une bonne fois pour toutes, il n'est en aucun cas le "héros" de cet opus. La seule raison de sa présence est de permettre au joueur de mieux s'identifier à l'aventure, là où Square Enix prend habituellement le parti de mettre en avant ses personnages. Il n'a pas le moindre charisme, est aussi insupportable que Tidus sans bénéficier de son design avantageux et souffre, en tant que voleur, de la comparaison avec Djidane. Il est toutefois les yeux du joueur dans son épopée en Ivalice. Jeune inculte n'ayant jamais dépassé les premiers grains de sables du Désert Dalmascan, il est un parfait touriste... Comme le joueur qui peut ainsi découvrir les splendeurs de ce monde fantastique à travers la naïveté et l'insouciance de Vaan, qui rendent hommage au magnifique travail des développeurs. Sans Vaan, La Forêt de Salika et le Plateau de Cerobi n'auraient certainement pas été aussi agréables à visiter.
Chaque Final Fantasy possède son moment marquant, son lieu mythique, son chapitre enivrant. Final Fantasy VII et Midgar, Final Fantasy VIII et tout le passage à Esthar qui rompt avec le reste de l'aventure, Final Fantasy IX et l'arrivée à Lindblum, précédée par la course-poursuite en Aérostat avec le Valseur 3, Final Fantasy X et le tournoi de Blitzball à Luca... Final Fantasy XII réussit le tour de force d'en proposer un par chapitre. Déjà, chaque ville a un véritable charme atypique, comme ce fut notamment le cas dans le IX, de Port Balfonheim, la ville des pirates à la cité céleste de Bhujerba, sans oublier la tentaculaire Archadès. Ensuite la carte du monde propose des lieux aussi variés que sublimes. Bien qu'il soit injuste d'en mettre un en avant plutôt qu'un autre, les Plaines de Giza, La Mer de Sable, le Désert Est de Dalmasca et les Terres Mortes de Nabreus sont particulièrement enchanteurs.
"Omega, bêta..."
Plus que toute autre franchise vidéo-ludique, Final Fantasy divise. Contrairement à un GTA, jamais un Final Fantasy ne parviendra à mettre tout le monde d'accord. Au banc des présumés coupables, son système de jeu, son univers parfois mièvre, ses clichés nombreux et assumés. En réalité, excepté le strict plan des graphismes (chaque FF étant en soi une révolution visuelle), la saga s'entiche davantage à l'expérience émotionnelle procurée qu'au simple gameplay. Inutile de le nier : le plaisir ressenti manette en main lorsque l'on traverse l'état de San Andreas plein gaz sur du Lynyrd Skynrd est autrement plus intense qu'en découpant du Lycaon sur les plaines de Giza. Final Fantasy XII a eu le mérite de justement renier ces principes archaïques pour enfin coupler son univers immersif à un gameplay ludique et passionnant, où le combat devient un plaisir et non plus un simple levelling. Première nouveauté et non des moindres, la fin des combats aléatoires. Pour la première fois de l'histoire de la saga, les ennemis sont directement visibles sur la carte. Découper du loup devient rapidement un plaisir sadique. Le bestiaire est évidemment un régal, bien qu'il manque parfois ce gigantisme propre à la plupart des monstres de Final Fantasy. C'était pour mieux mettre en avant les boss, dont certains sont d'ores et déjà devenus mythiques pour les fans de RPG (Omega Marx XIII et le Dragon Ancestral en l’occurrence). Et quels combats ! La difficulté a été ré-haussée et un bon niveau ne suffit pas sans bonne stratégie. Les affrontements n'ont jamais été aussi épiques, au point que certaines victoires vous feront lever de vos canapés de joie (Saloperie de Zodiarche !)... Et certaines défaites jeter la manette par la fenêtre (Foutu Maître des Ténèbres !). Les fous furieux tenteront les challenges devenus légendaires sur la toile, notamment finir le jeu en low-level... Re-jouabilité conséquente donc, ce qui est déjà un critère d'excellence.
On regrettera toutefois les invocations, très mal travaillées. Une rumeur veut qu'à l'origine Yasumi Matsuno comptait offrir aux éons un gameplay unique dans l'histoire de la saga, en passant à un système de combat type A-RPG plus proche des Kingdom Heart, où l'on aurait enchaîné du Dracosaure avec Bélias sans jauge Active Time Battle. Une idée géniale, à côté de ce que nous a pondu Square Enix. Quand un éon est vaincu, il est alors possible de l'acquérir avec l'un des personnages. Lors des combats, son utilisation requiert au minimum un tiers de vos Mp (selon les impulsions débloquées) et vous prive de deux de vos combattants. L'éon agit de manière autonome et sa fureur ne peut être déclenchée que sous certains critères contraignants jamais expliqués dans le jeu. Du coup, là où l'on prenait plaisir à rôtir de la Chimère purgatrice avec un Mega-Atomnium de Bahamut dans FFX, on se prive sans mal de ces créatures, dont l'acquisition sied davantage au collectionneur compulsive qu'au joueur occasionnel. En réalité, seul Bélias joue un rôle quant à l'avancée de l'intrigue. Notons toutefois cette volonté de changement bien inspirée, en renommant les invocations. Exit les Shiva, Ifrit, Bahamut, Odin et autres Leviathan, place à Ultima, Zaléra et Chaos... Shemhazai, Adrammelech, Cúchulainn, Mateus, Famfrit... En fait non, c'était pas si bien inspiré que ça.
One Winged Angel
Loin d'être un RPG comme les autres, Final Fantasy douzième du nom se démarque assez clairement de ses prédécesseurs en ce qu'il est plus convaincant que persuasif. Il ne fait pas appel aux émotions et aux sentiments, mais à l'imagination la moins puérile. En ce sens, il a perdu son public vieillissant qui paradoxalement, attend toujours d'un Final Fantasy qu'il le ramène sur les rivages d'une enfance révolue, en refusant coûte que coûte de verser dans le jeunisme. Cela s'en ressent jusque dans la bande originale. Nobuo Uematsu n'est plus seul maître à bord. Le piano enchanteur laisse place à l'orchestre épiquen quasi-cinématographique. Là encore, l'OST de FF XII marque une vraie rupture, privilégiant l'envoûtant au pénétrant. Certains thèmes sont d'ailleurs particulièrement marquants. Il est une nouvelle fois injuste de mettre en avant un titre au profit d'un autre, mais les thèmes du Grand Cristal et du Palais Enfoui de Sohen sont de purs psychotropes sonores. Sans oublier Destiny, le thème de Balthier qui se paye un pur morceau, histoire de convaincre les sceptiques qu'il est bel est bien "Le premier rôle".
En résumé, là où Final Fantasy XII aurait pu être le Phoenix d'une saga qui ne demandait qu'à renaître de ses cendres (prends ça FF X-2), il en a été le fossoyeur bien involontaire. La faute évidemment à un timing de sortie complètement raté et un développement apocalyptique mais aussi à un avant-gardisme rafraîchissant mais plus impromptu qu'inattendu. Il a divisé les fans au point que Square Enix, qui aurait pu se servir des innovations du soft pour l'avenir de la saga, a préféré perpétré l'héritage poussiéreux du dixième opus. Final Fantasy treizième du nom a ainsi été un échec complet, n'étant pas un bon Final Fantasy, tout au plus un jeu moyen. Espérons que Square Enix comprenne enfin les raisons de l'échec de Final Fantasy XII et se serve de Final Fantasy XV pour rendre grâce à sa mémoire. il le mérite.