Un très agréable walking simulator, avec un beau travail sur l'ambiance au cœur d'un parc forestier américain dans lequel, suite à un drame familial, l'on se retrouve à jouer le rôle de guetteur anti-incendie. Les graphismes sont très jolis, et l'on se surprend souvent à s'arrêter pour contempler tel ou tel élément du paysage.
Pour son propre bien, le jeu n'est pas trop long (je dirais ~4-5h de jeu) et va relativement droit au but dans l'histoire qu'il cherche à nous narrer, en nous épargnant de trop longs aller-retour d'un coin à l'autre de la map. Concernant le récit, qui est véritablement au cœur de ce Firewatch (les interactions avec l'environnement se révélant très minimalistes: marcher/courir, ramasser des objets et les examiner, discuter avec notre collègue dans notre talkie-walkie), si celui-ci ne m'a ni totalement fasciné ni passionné, il a pour lui d'être cohérent d'un bout à l'autre et relativement bien mené, et soulève des problématiques intéressantes et mâtures (
la déchéance physique de l'être aimé, la fidélité, la tentation de tourner le dos à son passé, les effets de la solitude, etc.
). Le jeu se permet également quelques fausses pistes narratives bienvenues, dont la nature
(la piste d'un espèce de complot scientifique à base de manipulation de personnalités)
peut être lue comme un clin d’œil ironique à moult autres scénarios précédents de jeux narratifs (mais aussi plus largement d'autres médiums) qui n'hésitaient pas quant à eux à tomber dans ce genre de facilités (le fantastique/étrange comme deux ex machina artificiel - je ne me lance pas dans une liste à la Prévert, vous trouverez des exemples par vous-mêmes...); à cet égard, cette ébauche de discours "meta" sur les scénarios clichés et mécaniques reproduits jusqu'à la nausée par un certain pan de l'industrie du divertissement a pu m'évoquer un film récent comme Under the silver lake (cf. ma critique ici qui évoque ce point).
Malgré ces qualités, le tout n'est pas dénué de défauts embêtants: le déroulé est très lourdement scripté, et malgré un environnement qui se serait vraiment très bien accommodé d'un monde ouvert, on regrette au final d'être perpétuellement cantonnés à des "couloirs", le jeu limitant malheureusement drastiquement l'exploration de ses magnifiques décors. Même si le jeu le justifie un peu par son background narratif, on regrette également la quasi-absence d'interactions avec des êtres vivants tout au long de l'aventure: on ne croisera jamais aucun animal (!!!) au détour d'un chemin, et quasiment aucun humain, à part une ou deux fois au détour de scripts - on comprend assez vite que cela s'explique en grande partie par des limitations techniques (absence de véritables interactions in game), ce qui enlève immédiatement une grande partie de la tension qu'aurait pu générer le titre à certains moments, à partir du moment où il apparaît (à une ou deux exceptions près) qu'on n'apercevra jamais d'éléments vraiment imprévus au détour d'un sentier ou en explorant le décor avec la caméra en point de vue subjectif).
Le gameplay débouche ainsi sur une véritable sensation de solitude totale et radicale; à ce titre, le jeu m'a rappelé mes lointaines errances dans les univers vides et glaçants du mythique Myst. En tout cas, ce choix narratif/de mise en scène ne plaira certainement pas à tout le monde, même si l'on peut dire, en défense du jeu, que celui-ci assume au moins jusqu'au bout ses points de départ / choix esthétiques tranchés (
par exemple avec le choix, frustrant mais cohérent, de ne jamais nous montrer le visage de Delilah, cette voix amie qui nous accompagnera tout au long de l'aventure
). On regrettera néanmoins encore une fois le manque de générosité du titre au final: dans la même veine que mes remarques précédentes sur "une map en couloirs étroits", on peut ainsi regretter que le titre ne sache pas exploiter par exemple l'appareil photo qui nous est mis entre les mains à un moment de l'aventure (utilisation tellement pauvre au final que l'on se demande si cette "option" ne serait pas au final le vestige d'une piste de gameplay longuement envisagée, mais finalement abandonnée par manque de temps/ de budget); mais de toute façon, comme je l'ai indiqué, il n'y avait au final pas grand chose à débusquer dans ce monde relativement (et paradoxalement) pauvre en termes de contenu, au-delà de sa beauté superficielle.
On regrette enfin bien entendu également que, sous ses atours de récit dynamisé par des dialogues aux (apparents) multiples embranchements, le chemin narratif soit finalement unique et linéaire, qui nous mènera vers une conclusion qu'aucune action du joueur n'aurait pu réellement modifier (absence de conclusions alternatives: mais les réalisateurs du jeu, déjà aux commandes de la saison 1 de The Walking Dead nous avaient prouvé qu'ils étaient des maîtres pour générer l'illusion d'une influence du joueur sur un scénario finalement intangible...sauf que le joueur apprend lui aussi de ses expériences passées, et qu'il devient de fait beaucoup plus difficile de le tromper facilement sur ce point au fil de ses pérégrinations video-ludiques).
Pour conclure, ce walking simulator a ses qualités, avec une ambiance bien travaillée, de jolis décors et une narration bien menée. Mais par manque de profondeur et en restreignant au final trop les possibilités du joueur, ce jeu, certes intéressant, ne deviendra pas un classique ou une véritable pierre angulaire du genre. Je le conseille néanmoins, notamment étant donné sa durée de vie plus que raisonnable, au gros amateurs du genre narratif, qui y trouveront cependant, comme moi, leur compte.