Étant un fan de walking simulator, forcément, Firewatch me faisait de l'œil depuis un looong moment. Développé par Campo Santo, un studio indépendant qui, comme de nombreux autres studios indépendants fut formé par des vétérans, on y retrouve du joli monde, qui a principalement bossé chez Telltale (Jake Rodkin, Sean Vanaman…) ou chez Double Fine (Chris Remo, Ben Burbank…).
Bref, Firewatch étant un walking simulator, on ne se retrouve pas ici face à un titre aux mécaniques complexes, nécessitant du skill pour en voir le bout. Quoique, justement, pour un walking sim, Firewatch a quand même tendance à faire plus que les autres jeux du genre : bien que l'on soit guidé, on reste la majorité du temps libre de nos mouvements, de fouiller de droite à gauche, et le titre possède même une structure qui n'est pas sans rappeler celle des metroidvania, avec ses accessoires permettant de débloquer raccourcis et autres passages plus ou moins secrets. Forcément, ici, pas d'ennemis à abattre ou autre acte de barbarie à commettre : on nous donne une carte, on nous indique où aller, et c'est à nous de nous « débrouiller ». Si je mets bien « débrouiller » entre parenthèses, c'est que, pour un jeu prenant place dans les montagnes, Firewatch reste quand même très terre à terre, sans grandes difficultés, y compris pour se repérer, pour se débrouiller à travers ces mêmes montagnes… c'est d'ailleurs un élément que de nombreux joueurs ont eu tendance à critiquer j'ai bien l'impression, mais on y reviendra plus tard.
Mais quitte à devoir absolument parler du gameplay, pour le coup, j'aurais davantage tendance à critiquer certaines mécaniques grossières : des buissons étant par exemple placés un plein milieu d'un sentier afin de nous bloquer le chemin. Ça fait très « artificiel » et on a déjà vu plus subtil, y compris dans d'autres jeux indés plus modestes. Dans la même veine, si le fait d'avoir une carte recentrée autour d'un lieu bien précis, la tour de guet, est logique, force est de constater que la taille de cette même carte jure avec le principal modèle qui a servi pour les développeurs : le parc national de Yosemite. Enfin, il faut accepter le fait de se balader dans un parc avec une faune quasi inexistante. Si cela permet de mettre en valeur les rares rencontres que nous pourrons faire avec un raton laveur ou une tortue par exemple, là encore cela nuit à la crédibilité de son univers. M'enfin, on reste sur des défauts minimes, compréhensibles pour un jeu indé.
Surtout que quitte à parler du cadre du jeu, de son univers, on y trouve davantage de qualités que de défauts. Malgré leur côté stylisé fait sous Unity, les décors sont crédibles et très agréables à l'œil (et en plus, on a droit à du full body awareness). On sent qu'il y a derrière cette production une équipe compétente (et c'est le cas) qui sait placer les éléments aux bons endroits et aux bons moments afin que le joueur ne se lasse pas de retraverser les mêmes décors, tout en arrivant à ne pas trop le dépayser. À noter, au passage, que Firewatch est un titre qui s'apprécie aussi, et peut-être même mieux, sans les aides visuelles activées par défaut, témoignant, là-encore, de la maîtrise des développeurs sur leur level design… dommage qu'elles ne soient pas désactivées par défaut ceci dit. À cela, il faut ajouter un travail sur le son, exceptionnel, apportant davantage de crédibilité à l'univers et renforçant l'immersion. En termes d’ambiance, vous l'aurez compris, Firewatch fait un sans-faute… mais là encore, on y reviendra plus tard.
Car ce serait inimaginable de parler de Firewatch sans évoquer son scénario, ainsi que des éléments qui gravitent autour : ce que le titre cherche à raconter en substance, les nombreuses interactions et dialogues entre Henry et Delilah, et des comédiens de doublage qui se trouvent derrière eux.
Pour commencer, l'intro de Firewatch est maîtrisé : on suit Henry, de son départ du Colorado, jusqu'à son arrivée au Wyoming, le tout entrecoupé de ce qu'on pourrait appeler des « flashbacks textuels » : de la rencontre de la personne qui deviendra sa femme, Julia, au départ d'Henry, mais surtout en passant par le diagnostic de démence précoce de celle-ci. Il faut noter que cette introduction, qui m'a beaucoup fait penser à celle de Là-Haut (mais en moins bien faut quand même pas abuser), permet de s'approprier le personnage d'Henry : le titre nous faisant faire des choix qui n'auront aucune répercussions sur l'ensemble du jeu, certes, mais qui nous permettent de faire corps avec le personnage.
D'ailleurs, en parlant de choix, si ceux de l'introduction ne seront (pratiquement) pas pris en compte pour le reste de l'aventure, ce sera aussi le cas pour tous les autres : ceux entre Henry et Delilah. Et c'est là où on va parler de l'une des plus grosses qualités du titre, si ce n'est LA plus grosse qualité du titre : la relation entre les deux protagonistes.
Connaissez-vous Soma ? Oui, non ? Je m'en fiche, je voulais poser une base, une base que les développeurs derrière Firewatch ont compris, à l'inverse de ceux derrière Soma : si vous voulez que les joueurs suivent votre scénario, qu'ils soient immergés dedans au point de ne pas vouloir manquer un seul morceau, faites-en sorte d'avoir de bons doubleurs derrières, et, si possible, dirigez les biens. Ça vous évitera de lasser les joueurs au bout de deux minutes montre en main. Plus sérieusement, oui, le doublage de Firewatch est excellent : Cissy Jones (connue pour avoir un trilliard de voix dans les Walking Dead de Telltale) et Rich Sommer (Mad Men) ont fait un travail exceptionnel. Ce travail étant porté par un autre travail, celui des scénaristes, et des nombreuses lignes de dialogues et autres interactions entre les personnages… alors que, leur relation passant par des talkiewalkies uniquement, on ne verra pas Delilah de tout le jeu. Ce que je trouve brillamment réussi dans cette relation à distance, c'est qu'on y croit tout du long. Nos choix ont beau n'avoir aucun impact sur l'enchaînement des situations ou sur la fin, le jeu prend très souvent en considération ce que nous venons de dire, ce que nous venons de faire, pour le réutiliser plus tard lors d'une conversation entre nos deux protagonistes. Le tout, sans que cela fasse « artificiel », sans que l'on ait l'impression que les développeurs raccrochent les wagons avec un bout de scotch (oui, je modernise les expressions). Certes, il n'y a pas de dialogues complexes, car… bah, on reste sur des conversations entre deux gardes forestiers. Aucune raison de bourrer son jeu de dialogues pseudo-philosophiques ou de faire des dizaines de références à la seconde : ce n'est pas le propos et c'est très bien comme ça. Bref, on croit tout du long en la relation entre les deux personnages.
Forcément, si l'influence BioShock est évidente, il est à noter que Campo Santo a quand même décidé de placer la barre un cran au-dessus puisque les deux comédiens ont dû enregistrer leurs lignes de dialogues dans des studios séparés, mais, afin de conserver le côté naturel des conversations, le faisaient lors de conférences téléphoniques. Dernière initiative intéressante : Cissy Jones et Rich Sommer ne se sont pas rencontrés durant tout le tournage dans le but de ne pas perdre ce lien distant entre les deux personnages.
Bien sûr, je peux gloser autant que je veux sur l'exceptionnel doublage du titre, reste à parler du scénario… scénario qui aura fait couler beaucoup d'encres. Autant ne pas y aller par quatre chemins : je disais plus haut dans ma critique que le côté « très terre à terre » est ce qui avait déçu beaucoup de joueurs avec Firewatch, et autant je comprends la critique, autant je ne la partage absolument pas.
En fait, ces défauts que j'ai pu lire, je les avais déjà lus… mais pour un autre jeu : Gone Home. En effet, les deux titres ont cette particularité d'être très terre à terre : de laisser le joueur s'imaginer certaines choses, de lui faire craindre le pire… pour tout désamorcer tôt ou tard. Ça tombe bien, Firewatch n'hésite d'ailleurs pas à faire une référence explicite à Gone Home à un moment donné, et Chris Remo, le bonhomme qui s'est occupé en partie du game design, de l'histoire et du son de Firewatch, a aussi bossé sur ce même Gone Home… bon ok, il n'a fait que composer les musiques, mais quand même, il y a un lien ! Non ? Plus sérieusement, forcément, quand on est un joueur biberonné aux twists débiles et aux films et jeux vidéo grand spectacle, le fait que Firewatch reste terre à terre a de quoi déstabiliser. Pourtant, c'est bien ça qui fait la plus grande force du récit.
En effet, Firewatch ne nous parle pas d'area 51 bis ou d'un giga-complot, mais d'un personnage, ou plutôt de personnages, qui ont décidé de faire une pause dans leur vie, qui ont décidé de fuir quelque chose, plus ou moins temporairement. Henry n'est pas un héros, certes, mais il n'est pas non plus détestable… en fait, c'est un Monsieur tout-le-monde : un type qui avait une vie relativement normale et qui, face à la maladie de sa femme, s'est mis à fuir. Une fuite qui l'a fait rencontrer Delilah, un autre personnage qui fuit quelque chose, et un personnage qui va même jusqu'à fuir Henry durant l'intégralité du jeu, y compris lors de sa fin… ce qui a accentué la frustration de certains joueurs, déçu de ne pas avoir rencontré Delilah durant l'aventure. Même celui qu'on pourrait qualifier d'antagoniste, Ned, fuit. Il fuit la mort de son fils, Brian, décédé suite à une chute, et vivant dans la forêt depuis le drame. Devenu paranoïaque après avoir vu Henry sortir de la grotte dans laquelle se trouve la dépouille de son fils, il va se mettre à espionner les conversations des jeux protagonistes et ira même jusqu'à créer un incendie et à agresser le personnage principal. L'ironie est là : chacun des deux groupes croit en une machination… provenant de l'autre groupe justement. En cela, et pour compléter sur l'ambiance évoquée plus haut dans cette critique, le titre a un petit côté Hitchcock dans son côté enquête/thriller/paranoïa, même si le côté paranoïaque y gagne finalement plus que les autres. Quoique ce même côté paranoïaque aurait pu y gagner encore plus, le titre plaçant des ellipses à certains endroits, nous renvoyons directement au camp, à des moments où le jeu nous fait des révélations, alors qu'il aurait précisément gagné à nous laisser jouer quelques minutes de plus.
Firewatch est donc un titre qui, à travers la stagnation de ces personnages, demande au joueur d'avancer, mais de vraiment avancer, de ne pas simplement fuir en avant. C'est pour cela que Firewatch m'a beaucoup parlé, un peu fait déprimer même (ça va, j'ai l'habitude), et c'est aussi (en partie) pour cela que je joue à des jeux vidéo, non pas pour déprimer, mais pour que « quelqu'un me parle ». Certes, Gone Home m'avait déjà fait le coup il y a quelques années, et je n'avais donc aucune chance d'être surpris ou déçu par la fin que le titre propose, mais cela n'empêche que ç'a fonctionné sur moi. Une fin douce-amère en somme, forcément décevante… et c'est bien ça qui fait sa force.
Surtout que, truc que je n'ai pas précisé jusqu'ici, mis à part la trame principale, Firewatch possède quelques embranchements secondaires sympas. Notamment une romance à la Brokeback Mountain entre Ron & Dave, deux hommes dont on ne verra jamais l'apparence ; ainsi que quelques autres clins d'œil, à la réalité notamment, l'avis de disparition concernant Mitch Michaels renvoie directement au cas de Keith Reinhard. Dans l'ensemble, et pour en finir avec la comparaison avec Gone Home, j'aurais tout de même tendance à considérer ce dernier comme plus détaillé, plus dense, à ce niveau-là.
Quoi qu'il en soit, Firewatch se termine en un peu moins de 4 heures. Une fois ceci fait, la rejouabilité sera tout de même un peu maigre : débloquer les rares succès encore non débloqués, parcourir la carte en mode libre… reste à noter la présence d'un making-of, mais en VO uniquement… dommage, pour le coup, Gone Home (ah merde ! on y revient !) il l'avait avec les sous-titres lui.
Aujourd'hui, difficile de connaître l'état du studio, où en sont les membres. Après avoir dévoilé leur deuxième production, In The Valley of Gods, au Game Awards 2017, le studio a été racheté quelques mois plus tard par Valve, et depuis… c'est le silence complet concernant In The Valley of Gods. Bien que le titre n'ait pas été annulé, sa date de parution est fixée à décembre 2029 sur Steam, et autant vous dire que j'y crois moyen moyen.
Quant aux membres du studio, on en retrouve la majorité dans les crédits de Half-Life Alyx, mais Valve étant ce qu'il est, difficile de savoir à quel point les membres de Campo Santo ont bossés sur le jeu, savoir s'ils ont juste aidé, ou s'ils ont eu une responsabilité plus importante.
Ah si ! Reste à évoquer l'adaptation cinématographique de Firewatch, annoncée en 2016, qui a connu quelques changements au niveau de la production en 2020 et depuis… plus rien. Bien frustrant tout ça !
Firewatch mérite donc sa réputation qui le place dans le sommet des walking-sim. Bien qu'il ne s'agisse pas du meilleur titre du genre auquel j'ai pu jouer, reste que j'y ai passé un très bon moment et que je ne regrette pas ces quelques heures passées en compagnie d'Henry et Delilah.
À faire au moins une fois, même si on n'est pas trop fan du genre.