Il y aurait trop de choses à dire sur Fran Bow. C'est bien simple : je suis persuadé qu'on pourrait rédiger un très bon mémoire universitaire sur ce jeu. Dialoguant avec les plus grands classiques de la littérature pour enfant, flirtant avec les plus poignants des films d'horreurs, côtoyant l'ambiance serrée des films noirs, le jeu ne cache pas ses inspirations mais sait les combiner pour obtenir un mélange détonant et original.
Après avoir mûrement réfléchi sur le jeu est son scénario, je peux l'affirmer au moins en grande partie : "Fran Bow" propose un voyage dans l'imaginaire torturé et complexe d'une psychopate
qui a assassiné ses parents.
Mais là où est le noeud, c'est que cette psychopate est un enfant : à la soif de sang s'entremêle des rêves hybrides, peuplés de créatures improbables qui aide la jeune fille à fuir la réalité - sa propre réalité. Cette proposition de psychologie ne suffirait pas à faire de ce point and click un bon jeu, mais lui confère déjà une profonde intelligence - la confusion que certains ressentiraient au fil des chapitres ne doit se comprendre comme le flou d'un scénario mal maîtrisé, à mon sens, mais comme la volonté de restituer les remous et les sursauts de l'esprit humain ; surtout dans cette période fragile qu'est l'enfance.
En plus d'un scénario particulièrement original et dense, le jeu fait preuve d'une grande richesse visuelle. Si l'on pense d'abord que les producteurs se contentent de jouer avec les codes du film gore en mêlant fresques d'hémoglobine et cris gerbés par l'au-delà, on est vite surpris de constater la diversité des environnements proposés. Sans vouloir trop en dire, il est clair que le jeu ne s'arrête pas aux murs austères de l'hôpital psychiatrique qui est la scène du premier chapitre. Au contraire, l'atmosphère va gentiment changer du tout au tout, mais toujours avec cette direction artistique époustouflante, ce souci du détail, ce graphisme léché sans être m'as-tu-vu.
Car Fran Bow est probablement une oeuvre d'art à tous les niveaux. Chaque scène semble avoir été pensée pour dégager une émotion, pour peindre une ambiance. Personnages et décors se complètent, se superposent, se questionnent dans une harmonie parfois fracturée par des phases de délire, parfois confirmée par des moments de paix.
Et le constat ne serait pas aussi positif si l'image n'était pas accompagnée par une bande-son de toute beauté, inspirée et mélodieuse, qui ne se contente pas de créer une ambiance. Parfaitement adaptée aux chapitres et à la tension dramatique, la musique est aussi une réussite en elle-même, qu'on soit plongé dans le jeu ou non.
Quant au gameplay, car il s'agit tout de même d'un jeu vidéo, il est perfectible mais globalement addictif. Les énigmes proposées ne sont ni trop tordues, ni trop simples ; il y a toujours une solution raisonnable, pour autant qu'on se donne la peine de réfléchir. Étant peu patient dans les jeux d'aventure comme dans la vie, je n'ai pourtant pas consulté souvent la solution de "Fran Bow". 70% des énigmes restent relativement logiques ; pour les autres, il faudra y aller à tâton s'il on se refuse à consulter une soluce.
Dans tous les cas, le mécanisme est assez simple et accessible. Si le système des dialogues est trop dirigiste, l'interaction entre les objets est bien pensée. Un peu comme dans certains Zelda (pour ne citer qu'un exemple), une alternance entre deux ou plusieurs "mondes parallèles" permet d'ailleurs de varier les approches de chaque scène et de dénicher des indices ou des objets à plusieurs niveaux.
On ne peut même pas reprocher à "Fran Bow" sa durée de vie - car les jeux d'aventure ont souvent ce défaut - puisqu'il vous occupera quand même une quinzaine d'heures et qu'il est proposé à un prix raisonnable.
En somme, si vous n'êtes pas réfractaire aux jeux du genre, foncez : plus qu'un jeu, "Fran Bow" est une petite perle rare étonnante de beauté et de richesse. Si certains aspects auraient pu être plus poussés, si le scénario reste globalement obscur, l'expérience de jeu est tout simplement unique. Cette production indépendante montre que le jeu vidéo n'est pas qu'une simulation de combat abrutissante, mais qu'il peut largement s'apparenter à ce qui se fait de mieux sur le plan cinématographique et littéraire.
Chapeau.