Revenge is a dish best served cold
Front Mission est le premier jeu d'une aujourd'hui célèbre saga de Tactical-RPG. Le premier épisode a cartonné au Japon. En effet, plus d'un demi million de copies ont été vendues dès la première semaine d'exploitation. Succès qui ne sortira pas de l'archipel nippon vu qu'il faudra attendre le troisième opus cinq ans plus tard pour voir la licence pointer le bout de son nez en occident. Heureusement, la communauté de traducteurs amateurs est devenue extrêmement active ces dernières années, nous permettant de découvrir des tas de titres auxquels tout les non japonisants n'auraient jamais pu toucher autrement. Front Mission fait partie de ceux-là.
La base scénaristique étoffée laisse imaginer une histoire solide qui va prendre progressivement de l'ampleur. Si c'est vrai au début, le soufflet retombe assez vite pour laisser la place à une progression classique à travers les différentes batailles. Il y aura bien deux, trois intrigues parallèles à la guerre, mais seulement développées en surface, le temps d'un affrontement, avant de retourner au train-train habituel. Mais le jeu réussit le pari d'étonner dans son dernier tiers, en prenant une tournure inattendue et révèle enfin tout son potentiel scénaristique, alliant révélations surprenantes et retournements de situation parfois radicaux.
L'histoire de Front Mission se passe sur une île fictive créée pour l'occasion, mais elle se situe bel et bien sur sur notre bonne vieille planète. Les nombreuses références explicites à d'autres lieux existants sur Terre ne laisse pas de doute là-dessus. L'époque futuriste laisse imaginer une technologie avancée sur tout les plans mais il n'en est rien. Si les robots de guerre montrent fièrement les progrès scientifiques réalisés, les villes n'en restent pas moins similaires à celles que nous connaissons, avec leurs autos, leurs routes et leurs immeubles tel qu'on peut les voir de nos jours. De plus l'environnement très sauvage de l'île, avec ses jungles, ses montagnes et son désert tranche assez radicalement avec la vision futuriste intégrale tant dépeint par la science-fiction traditionnelle.
La progression dans le jeu s'effectue toujours selon le même schéma. On fait ses préparatifs en ville, on part au combat, on revient, et rebelote. Une routine imposée, surtout que la map du jeu n'autorise les déplacements que sous forme de point'n'click, annihilant tout envie de ballades improvisées. On note tout de même la présence de quelques activités pour s'occuper en ville, cette dernière étant d'ailleurs tristement représentée par une image fixe illustrée des diverses options possibles.
Le bar permet d'aller tailler le bout de gras avec la populace. L'arène vous invite à envoyer un combattant de votre équipe affronter un adversaire en duel moyennant finance, rapportant une récompense du même acabit au vainqueur. Plus la cote de celui que vous affrontez est élevé, plus vous pouvez gagner d'argent. Le bureau militaire servira à déclencher les dialogues de progression dans l'aventure. Vous pourrez aussi changer les pièces d'équipements de vos robots, gérer votre inventaire et accéder aux statuts de vos pilotes. Sans oublier bien sûr la possibilité de sauvegarder. Vous pourrez d'ailleurs y accéder entre chaque bataille, le jeu n'imposant jamais plusieurs affrontements successifs.
Attardons-nous sur le magasin, dernière possibilité offerte par les cités. Le vendeur aux airs de hippie vous permettra de customiser vos Wanzers à outrance. Ceux-ci sont composés de quatre parties essentielles : les pieds, le bras gauche, le droit, et le corps comprenant le buste et la tête. Chacune de ces parties peut être changé. Le corps fait office de cœur de la machine. Plus son volume est élevé, plus vous pouvez équiper des charges lourdes sur vos robots. En effet, une donnée chiffrée représente le poids total de votre machine, et il ne doit jamais dépasser 100. Les bras permettent de porter les armes. Il y a celles tenues à la main, de courtes et longues portées, et celles accrochés aux épaules, que ce soit des lances-missiles ou des boucliers de défense. C'est ainsi pas moins de quatre armes qui peuvent être associées à une unité de combat. Quand aux jambes, elles jouent sur vos capacités de déplacement et d'esquive. Ajoutez à cela l'ordinateur central et le « sac à dos » qui permettront respectivement d'augmenter les statistiques (surtout la précision) et de transporter plus d'objets utilisables en combat sur sa machine.
Tout ceci est modifiable à volonté. Vous pouvez mélanger les pièces de différents modèles pour monter le mécha de vos rêves. Une option permet d'observer les changements des stats et du visuel, et le tout en temps réel avant de valider vos achats. Et c'est très chronophage. On fait ça avec plaisir au début, mais arrive un moment où cela devient plus une tâche rébarbative qu'autre chose. Car la progression dans le jeu imposera une visite prolongée au magasin de chaque ville où vous mettrez les pieds. Sans celle-ci, vous risquez de vous heurter à un mur à la bataille suivante. Même une unité de bas niveau peut vaincre un adversaire plus puissant avec un équipement au top. Et vous vous retrouverez parfois avec des unités imposées en bataille via le cours de l'histoire. Il est donc nécessaire de revoir les équipements de tous vos robots y compris celui de ceux que vous n'utilisez jamais. Imaginez faire ça sur une quinzaine de machines différentes régulièrement et vous comprendrez à quel point ces phases peuvent être lassantes.
Les combats se déroulent sur des maps en perspective isométrique où les déplacements se font en diagonale. Avant chaque affrontement, vous choisissez vos unités, dans la limité possible imposée par la bataille. La jauge de vie des Wanzers est répartie entre les quatre parties principales de leurs structures. Une attaque touchera l'une d'elles aléatoirement. Si perdre un bras ou les pieds vous pénalisera fortement, cela ne vous empêchera pas de continuer à lutter. Mais si le corps est détruit, vous pouvez dire adieu à votre machine de guerre. Et cela s'applique aussi aux ennemis. Il existe deux approches pour attaquer un adversaire. Utiliser des attaques à distance, évitant toute menace de contre, ou y aller au contact, que cela soit au poing ou avec une arme courte portée. Un adversaire sur une case adjacente vous répondra à coup sur d'une contre-attaque. Il faudra alors calculer les risques, et pointer le curseur sur les troupes ennemis permettra d'en apprendre plus sur leurs points forts ou leurs niveaux.
En prenant des levels, vous pourrez débloquer des techniques, permettant par exemple de guider vos attaques pour toucher des parties précises de votre cible, ou de la paralyser pour éviter un contre ravageur. Enfin, il ne faut pas hésiter à utiliser les consommables, tels les items de réparations permettant de restituer les points de vie à une partie du mécha concerné. Car un membre perdu l'est jusqu'à la fin de la bataille, et ce n'est pas quand vous vous retrouverez sans bras, et donc sans armes, qu'il faudra vous préoccupez de l'état de votre machine.
La grande majorité des batailles se régleront par l'élimination pure et simple des troupes adverses. Si on trouve parfois quelques objectifs, souvent implicites, ne pas s'en préoccuper ne changera pas la donne quand au déroulement du combat. Vous finirez tôt ou tard par tout faire péter. Le terrain des cartes à son influence. D'une part le nivelé qui rend les attaques à distance plus difficilement réalisables, et d'autre part, les obstacles qui limitent les déplacements. Parmi ces derniers, des bâtiments de taille généreuse peuvent masquer des troupes ennemies et sensiblement vous gêner durant l'affrontement, surtout qu'il est impossible de changer d'angle de vue. Le genre de mauvaise surprise dont on se passerait bien !
Les combats ont le mérite de ne pas trainer en longueur. Sans être petites, les maps ne sont pas immenses au point de vous faire perdre plusieurs tours avant de croiser le fer. Chaque fois que vous attaquez un ennemi, une séquence montre les dégâts infligés. Aucun dialogue superflu (sauf pour des cas très précis mais exceptionnels) ni aucune animation en trop pour perdre du temps, ces séquences sont agréables et on ne ressent pas le besoin de vouloir les faire sauter pour accélérer les combats. L'expérience gagnée se répartit en fonction du type d'attaque que vous utilisez majoritairement. Autant jouer des points forts de chaque combattant. Ceux-ci se recruteront automatiquement durant l'aventure, à l'exception de quelques-uns qu'il faudra chercher. Ainsi, faire un tour au bar ou à l'arène peut parfois réserver de bonnes surprises. À la fin d'une bataille, vous gagnerez de l'argent. Plus vous tuerez d'unités ennemis, plus vous vous en mettrez plein les poches. Mais perdre des alliés implique des coûts de réparations.
Techniquement fort joli, Front Mission laisse entrevoir les capacités graphiques de la Super Famicom. Les sprites des méchas et véhicules sont très détaillés, de même pour leurs animations. On s'en rend d'autant plus compte durant les séquences d'attaque. Les constructions sur les maps et les détails du décor renforcent l'immersion malgré le problème de la caméra objective bloquée sur un angle unique. Les passages dans le magasin sont l'occasion de voir les Wanzers en détails et le travail fait sur toutes les différentes formes des parties des machines force le respect. Quand aux fonds d'écrans qui tapissent les villes et lieux de cette dernière, elles font leurs jobs mais passent vite inaperçues.
On retrouve au character-design un habitué des projets de Square. Yoshitaka Amano fait du Amano dans toute sa splendeur. Son style reste reconnaissable entre mille, et il faut reconnaître que certains personnages ont de la gueule, mais on ressent malheureusement une certaine sensation de déjà-vu sur une partie des portraits. Et si comme votre serviteur, sa patte graphique vous laisse relativement indifférent, ce sentiment de recyclage passera assez mal.
Un duo de compositeur s'est occupé de la bande-son. D'un coté, Noriko Matsueda, qui œuvra la même année sur Chrono Trigger, de l'autre Yoko Shimomura qui s'était auparavant illustré sur Breath of Fire. En résulte une OST de qualité, où les pistes dynamiques des combats viennent côtoyer les thèmes plus lourds dans les passages chargés en émotions. On regrette que malgré un tel travail, le manque de morceaux se fasse vite ressentir tant certains sont réutilisés jusqu'à plus soif. Plus de thèmes de bataille différents n'aurait par exemple pas été une mauvaise chose.
Les effets sonores restent de bon niveau. On rouspètera bien contre quelques sons désagréables telle l'explosion de certains missiles guidés aux allures de sirène d'alarme montant dans les aiguës. Mais hormis quelques exceptions, le boulot a été fait comme il se doit pour immerger le joueur durant l'aventure.
Presque vingt ans et encore toutes ses dents, Front Mission n'accuse que peu son âge et n'a pas à rougir devant les jeunots qui se bousculent au portillon. Une histoire prenante malgré un rythme inégal, un gameplay accrocheur même si abusivement répétitif, une bande sonore de qualité malgré le manque de pistes et une technique correcte, voilà les ingrédients qui font de ce jeu une belle expérience. Et pour peu que vous arriviez à outrepasser ses défauts évidents, c'est une aventure intéressante qui vous attend.