Grandia n’était-il finalement qu’un one shot, une exception ? En tous les cas, je te remercie, cher Grandia II. Merci d’avoir confirmé ce que j’affirme depuis bien longtemps, à savoir que pour (me) hyper, un (J-)RPG se doit d’avoir principalement deux qualités : un gameplay un minimum accrocheur ET une bonne histoire. Et si Grandia II reprend (en un peu moins bien) le meilleur système de jeu ever vu dans un RPG sauce nippone initié par son prédécesseur, c’est vraiment au niveau du scénar’ -et par extension de ses personnages- que ça coince, débordant de manichéisme et de mièvrerie (surtout sur la fin). Mais d’abord…
En lisant les multiples critiques sur la toile, on constate deux choses. La première, c’est que les SS (Sega sexuels), n’ont rien à envier aux NSA (Nintendo Sex Addict) quand il s’agit de dénigrer les autres relig… partis pol… euh, consoles. Et on peut d’ailleurs largement y inclure la presse dite "spécialisée" dans le lot (big up à EGM, qui passe d’un 9/10 sur DreamCast à un pathétique 4/10 pour la conversion PS2, pourtant loin d’être la catastrophe annoncée). La seconde, c’est que beaucoup jugent le scénario de Grandia II comme "mature", par opposition à un Grandia premier du nom considéré comme "naïf", "simpliste", "gamin"…sérieux, j’ai rarement entendu (enfin lu) des propos autant à côté de la plaque…
Oui, Grandia est relativement enfantin. Mais c’est aussi et surtout une véritable ode à la poésie, une alternative bienvenue aux héros/mondes torturés habituels (FF en tête), dans la droite lignée d’un Chrono Trigger, avec des protagonistes supra-optimistes et une impression de découverte et de voyage constante, bref, une Aventure avec un grand A. Tout le contraire de cette suite qui la joue destinée apocalyptique vue et revue mille fois… Grandia II prend pour point de départ un lointain affrontement entre Granas (divinité bienveillante) et Valmar (sa némésis), le premier triomphant du second, le découpant en apéricubes pour les sceller aux quatre coins du globe. Dans le temps présent, un mercenaire du nom de Ryudo accepte d’accompagner contre espèces sonnantes et trébuchantes la très fade prêtresse Elena jusqu’à une tour sacrée afin qu’elle accomplisse un rite sensé empêcher le retour de Valmar…
Bien entendu ça tourne mal, Elena se retrouvant même possédée par les ailes de Valmar -personnifiée par une certaine Millenia- et Ryudo forcé de prolonger son contrat d’escort-boy afin de mener Madame jusqu’à la cathédrale de Granas, située sur le continent voisin, pour y rencontrer le chevalier des Gém… Grand Pope, seul personne théoriquement apte à briser la malédiction… Si on met de côté l’horripilante nonne, véritable parangon de la foi aveugle plutôt bien mise en exergue durant tout le jeu, et qui sera d’ailleurs la seule des héros à ne subir aucune évolution du début à la fin (en plus d’être la cause de la plupart des problèmes qui surviennent), ben…l’histoire se laisse suivre. C’est pas transcendant, mais juste correct. On parcourt le monde, on résout quelques affaires persos, on défonce du Valmar en kit, on note les quelques méthodes expéditives -pour ne pas dire inquisitrices- de la gentille église du bien qu’elle est trop choupi, tout en comprenant bien vite qu’il y a anguille sous roche avec l’histoire de Valmar telle qu’elle nous est contée…
Puis arrive son inéluctable résurrection, et avec elle l’ouverture des abysses scénaristiques, dans une dernière partie qui dure -littéralement- des plombes, et pendant laquelle le charisme des protagonistes (Millenia en tête) fond comme neige au soleil, le scénario ayant en outre la "lumineuse" idée de sacrifier le plus intéressant d’entre eux… Car à ce moment-là entre en scène le plus éculé des clichés du shônen en manque d’inspiration (âmes sensibles s’abstenir) : le Mal ne peut être vaincu que par…le pouvoir de l’amitié, et la pureté du cœur… Très mature en effet… Et au cas où on n’aurait pas piger la première fois, les dialogues insisteront bien dessus à intervalles réguliers, genre 70 fois !
On se consolera alors avec le gameplay, toujours aussi grandiose, bien qu’un chouïa réaménagé. Mais avant même d’évoquer le système de combat, parlons brièvement du petit défaut des déplacements sur la carte : c’est tout comme Grandia…ou presque. La représentation est la même, avec des lieux souvent labyrinthiques, des ennemis visibles sur la map qu’on peut chercher sciemment à combattre ou esquiver, une caméra qui se manipule grâce aux boutons de la tranche… Qu’est-ce qui cloche, alors ? C’est très simple : les personnages étant dans cet opus plus imposants à l’écran et la caméra beaucoup trop proche du sol, on peine souvent à bien distinguer l’environnement et l’adversité autour de soi, ce qui est pas mal contraignant dans un jeu où la prise d’initiative est essentielle pour une stratégie de combat optimale…
Rappelons justement les bases du système de combat de la série : dans le coin inférieur droit se situe une sorte de jauge ATB divisée en plusieurs portions et commune à tous les intervenants, qui s’y déplacent plus ou moins vite selon leur célérité. Une fois l’extrémité de la portion "COM" atteinte, on choisit une action à effectuer (attaque physique, magie, objet, garde…) puis on entre dans la portion "ACT" ; ce choix est capital, car chaque action possède ses spécificités : en optant pour une attaque physique, on agira directement, mais il faut prendre en considération la distance plus ou moins longue nous séparant de la cible, ainsi que la particularité du coup sélectionné ; si une attaque "combo" occasionnera de bons dégâts mais ne fera qu’immobiliser l’ennemi un court instant, une attaque "critical" sera relativement moindre (on tape qu’une fois) mais le fera reculer sur la barre d’ATB ! Et plus il était proche d’agir, plus c’est efficace !
En choisissant par contre une magie ou une attaque spéciale, souvent bien plus dévastatrice, on aura un petit temps de préparation à prendre en compte, nécessaire pour "concentrer son ki" ; et si dans Grandia, n’importe quelle attaque de ce type ne faisait qu’immobiliser l’adversaire, à l’instar donc de l’attaque combo précitée, dans ce Grandia II, certains spéciaux ont un "cancel effect", agissant un peu comme un critical -il ne nécessite d’ailleurs presque aucun temps de préparation- mais en contrepartie l’opposant doit impérativement être dans la dernière portion de la barre ATB, soit la zone rouge, pour que le recul soit effectif. Bref, un zeste de tactique en plus appréciable, qui théoriquement hisserait ce Grandia II au dessus de son prédécesseur en terme de gameplay, sauf que…ce serait oublier tout ce qui a changé, et pas forcément en bien…
En premier lieu, bye bye la diversité des armes : si dans Grandia, chaque perso avait accès à 2 ou 3 types d’arme, offrant chacunes leurs propres coups spéciaux, dans Grandia II, chacun a son arme de prédilection, point final. Ryudo manie l’épée, Elena se sert d’un sceptre, Roan manipule la dague… C’est pareil pour la magie, où non seulement les 3 niveaux de magie ont fusionné les 3 jauges de MP en une seule et unique jauge (ce qui fait que les MP partent parfois très vite), mais en plus les œufs mana fonctionnent différemment : ils sont ici "spécialisés" (axés soin, puissance, ou un mix des deux) et interchangeables à l’envie, là où s’en équiper dans Grandia était irréversible et offrait un panel de magies relatif à un élément bien précis (feu, eau, vent, terre), donnant accès à d’autres éléments en les combinant (feu + vent = électricité par exemple)…et où chaque perso avait des sorts lui étant exclusifs.
Le renforcement naturel n’est également plus d’actualité : dans Grandia, plus on usait d’une arme, plus on la maîtrisait, et plus les techniques s’accumulaient ; plus on se servait d’un élément magique, plus sa puissance augmentait et plus les sorts se multipliaient , etc. L’ultra efficace "Dragon’s King Slash" de Justin par exemple, combinant attaque à l’épée et utilisation du feu et du vent, permettait de progresser petit à petit dans les trois caractéristiques à chaque coup porté… Dans Grandia II en revanche, on emmagasine simplement des MP et SP à répartir comme bon vouloir entre l’apprentissage de nouvelles techniques, les œufs mana et les livres de sort, ces derniers étant des espèces de power ups à équiper pour améliorer ses stats ou la puissance d’un élément donné.
Alors attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, c’est très loin d’être un système d’expérience pourrave, c’est même plutôt bon à vrai dire, et je l’aurais sûrement adoré plus que de raison si je n’avais pas joué au premier Grandia avant celui-ci. Sauf que Grandia est juste l’un de mes jeux préférés ever (tous genres et époques confondus)… :p
Quant aux autres aspects du jeu, il n’y a pas grand-chose à reprocher. Côté technique, le jeu fait le job, mais mieux vaut tout de même éviter de le mettre à côté de son grand rival orienté piraterie… Les environnements sont assez disparates et plutôt détaillés, au contraire du bestiaire un poil étriqué (excepté pour les boss), et l’animation est rarement à prendre à défaut. Les magies sont parfois superbes (je surkiffe le dragon électrique) mais auraient gagné à pouvoir être abrégées un minimum (comme les invoc’ et leurs overdrives dans Final Fantasy X par exemple). Côté son, on a une OST vraiment bonne, notamment au niveau des différents battle theme très inspirés, et l’éclectisme est de mise. Les doublages en revanche…bon, on ne va pas trop taper dessus, ils sont relativement corrects, et plus ou moins équivalents à ceux de Grandia… Un petit mot enfin sur la durée de vie : si Grandia était très dirigiste (mais très long) et ses quêtes annexes se comptaient sur les doigts d’une main, Grandia II est encore plus linéaire, est plus court, et semble avoir banni les à-côté de son vocabulaire…
Dire que j’en attendais probablement trop de Grandia II serait un euphémisme, d’où ma relative déception, alors que le jeu est très loin d’être une purge. Faut dire que, contrairement à un art comme le cinéma, on attend souvent d’une suite vidéoludique qu’elle surpasse son aïeule, par des mécaniques de gameplay plus poussées, ou des outils de développement mieux optimisés… Sauf que Grandia était -et est toujours d’ailleurs- un chef d’œuvre, et il est logiquement très difficile de surclasser un chef d’œuvre…