Harvester, le jeu le plus stupide, le plus inutilement violent, le plus ridiculement gore... On lis plein de choses sur internet, la plupart sont vraies, mais elles ne parlent pas vraiment de ce qui fait le génie du jeu.
Le héros, insignifiant, se réveille dans un monde à l'esthétique parodiant les années 50 : la mère a la cuisine toute la journée, et son frère devant la télé absorbé par son émission. Peu à peu, d'habitant en habitant, on découvre que la seule personne à peu près saine d'esprit est la fille du boucher, qui vis reclue dans sa chambre. Ils vont essayer ensemble de résoudre l'énigme de cette ville, qui est étroitement liée a La Secte, étrange organisation dont chaque personne en ville veut faire partie, mais où il faut prouver sa valeur et sa dévotion sans faille pour pouvoir en devenir un membre éminent...
D'abord, les défauts du jeu sont aussi concrets : il n'est pas magnifique, est complètement ringard (mais n'est ce pas le but?), il est court et au final beaucoup de choses sont peu évidente sans soluce, il est même possible de perdre car on ne peut plus revenir en arrière pour récupérer un objet (j'ai dû utiliser un code pour passer directement a la zone suivante).
Le principe du jeu est, avant tout, la mise en abîme. Sans mémoire, le personnage principal cherche à découvrir comment s'échapper de la ville, et son envie se confond avec celle du joueur qui en fera son objectif également. Il n'y a aucun contexte, il nous est donc obligatoire d'accepter tout ce qu'on pourra faire dans le jeu. On commencera d'abord à ressentir un malaise en écoutant chaque personnage déblatérer des dialogues incompréhensibles avec assurance (le frère qui nous insulte ouvertement en regardant une série de cow boy ultra violente où des indiens se font massacrer en chaîne, la mère qui au fil des discussions n'est pas contre un peu d'inceste mais faut faire la vaisselle avant, le militaire cul de jattes qui possède un bouton pour les missiles nucléaires) jusqu'à comprendre que notre seul point d'attache sera l'intriguant chef de La Secte, qui nous donnera, a l'issue du premier jour, une mission absurde : rayer une voiture. C'est stupide et inintéressant, mais le joueur devra le faire pour faire avancer l'intrigue. Puis il nous demandera autre chose, autre chose, jusqu'à un enchaînement d’événements malencontreux qui amèneront de plus en plus de malheur...
Mais il faudra le faire pour rejoindre La Secte. Parce que tout le monde nous chante ses louanges. Parce que cela semble l'idéal à accomplir dans celle ville. Parce qu'on se sent obligé d'accepter, étant donné que l'on semble "élu", profitant d'un privilège que tout le monde envie. Mais pour cela, il faudra accepter de commettre des actes de plus en plus horrible, pour nous conditionner à accomplir l'inévitable, le fait de rayer la voiture n'étant qu'un test. On ne peut avancer dans l'histoire sans accepter les ordres. D'abord involontairement, en causant le suicide de la patronne du drive in après avoir brûlé son restaurant, le personnage commettras son premier acte irréversible. Puis encore involontairement, en volant une lumière chez le barbier ce qui dénude un fil et cause l’électrocution du patron. Mais, ayant déjà causé une mort, n'aurait-on pas du arrêter là et ne plus accepter de mission de la part du gourou de La Secte? On pouvait, mais cela voudrait dire arrêter le jeu. Et en tant que joueur, on doit continuer. Pour savoir ce qu'il va se passer.
Lors de sa séquence finale, tout s’enchaîne : on tue car on se fait agresser, puis on tue car la personne bloque le chemin. Les remords du début deviennent une jouissance et jusqu'à la cinématique de fin on ne se demande plus si nos actes sont légitimes ou non, on embrasse totalement le fait de tuer pour avancer. On commence même a y prendre du plaisir. Dans le dernier combat, comme un point final a cette descente en enfer de la moralité, on fini même par tuer notre propre vision pervertie du joueur, un avatar virtuel exalté par les écrans.
C'est là qu'on apprend le fin mot de l'histoire: tout était, en réalité, une simulation. Une simulation destinée à nous conditionner à la violence, à ne plus en avoir peur, à l'apprécier. Pour terminer notre initiation, on doit commettre l'acte final : tuer une vraie personne. La seule autre vraie personne dans cette simulation, la fille du boucher, avec qui nous avons tissé des liens durant tout le jeu. On peut choisir de ne pas la tuer, et le gourou nous laisse alors dans la simulation, jusqu'à la fin de notre vie. Mais ainsi, quel était le but de toute cette aventure? On a rien accompli. Alors il faut tuer, sortir de la simulation, et embrasser sa nouvelle vocation, en étant totalement insensible a la violence et même, en l'appréciant. C'est ainsi que via la simulation, le jeu, le joueur est devenu avec le protagoniste un tueur, car il n'a pas éteint le jeu avant qu'il soit trop tard. Il a accepté d'agir en connaissance de cause, la personne du gourou étant la personnification de la tentation malsaine.
Je cite le créateur du jeu : "Je voudrais aborder un sujet qui me tiens particulièrement a cœur : LA CENSURE. Il va de soit que je serai le premier a interdire a mes enfants, quand j'en aurai, l'accès a TOUS les jeux violents comprenant des scènes sanglantes ou choquantes. Mais il me parait évident également que les adultes ne doivent pas être privés du plaisir de jouer a ces jeux, qui comprennent des avertissement très clairs afin d'être laissés hors de portée des enfants, de même qu'ils ont le droit d'aller voir un film interdit aux mineurs. Il est temps que la société évolue et réalise que dans un pays ou règne la liberté d'expression et de création, l'éducation des enfants est l'affaire des parents, et non celle de l'industrie des loisirs !"
Je pense que ce texte, omis par beaucoup (je ne les blâme pas, il faut avoir le jeu en boîte) montre bien l'intention des créateurs de faire un jeu qui est conscient de ses tares et joue dessus.
Toute cette histoire est donc une réflexion sur la violence dans les jeux vidéos et notre façon de la comprendre. Via ses protagonistes, il nous est expliqué que la sur-exploitation de la violence nous amène a en être totalement désintéressée, et de la regarder d'un air distant quand on y est confronté. Les jeux violents, et par extension la violence commise dans un jeu vidéo, n'est que du fait du joueur lui même, et lui seul. Autant que les créateurs, il doit prendre sa responsabilité et assumer sa curiosité macabre, son catharsis.
Je finirai sur une anecdote : l'acteur jouant le personnage principal a fini par être arrêté pour pédophilie. Et, sur son mugshot, il portait la chemise que le personnage porte durant le jeu. Comme si il y avait une morale à tirer de son expérience...