"Révolutionnaire", "expérience unique", "génial", "La maturité du jeu vidéo", "incroyable", "cosmicocéleste (ou tout autre expression du genre)"... Heavy Rain a fait couler beaucoup de foutre, beaucoup d'encre et entrainé beaucoup de coup de fils... Difficile de passer à côté du phénomène médiatique (On a même eu droit au publi-reportage, complaisant par nature, sur France 2), battage qui rend la perception du phénomène vidéo-ludique d'autant plus trouble à force de nous enfoncer des phrases chocs dans le crâne.
Maintenant que les passions sont retombées et que chacun a retrouvé son calme (à part quelques irréductibles décidément bien têtus) on peut enfin aborder Heavy Rain pour ce qu'il propose.
Jouons cartes sur table : impossible de ne pas avoir un apriori négatif sur ce titre pour les raisons évoquées au dessus.

Si le terme de "révolution" est largement galvaudé dans le cas qui nous intéresse (à moins de n'avoir jamais touché un jeu vidéo de sa vie) il n'en demeure pas moins qu'Heavy Rain arrive à proposer quelque chose de convaincant, au grand dam de ma mauvaise foi.
Vous noterez que j'utilise le mot "quelque chose" au lieu de "jeu vidéo" ou de "expérience", terme tant employé des professionnels de la pignolade.
Oui, "quelque chose" parce que ça résume un peu tout le paradoxe qu'est Heavy Rain. Alors que j'étais parti avec la ferme intention de lui coller 4/10 je me retrouve frustré de ne pas pouvoir lui mettre 7/10 sans que ma conscience ne vienne me chatouiller. Explications.

Heavy Rain nous propose de suivre le parcours de 4 personnages (un agent du FBI, un artchitecte/père de famille, une photographe et un détective privé) qui se lance à la poursuite d'un tueur en série, l'Origami Killer qui tue des enfants en les noyant dans de l'eau de pluie.
Un pur Thriller "à l'américaine" donc, aux références multiples et à peine dissimulées. Ainsi on pense immédiatement à "Se7en" pour l'ambiance dépressive de la ville sous la pluie, ambiance qui renvoyait à "Blade Runner" que l'on retrouve aussi via les fameux origamis disséminés à travers l'intrigue.
Une ambiance travaillée et familière, peut être un peu trop tant les modèles sont écrasants et tant le jeu s'y colle sans trop se démarquer (intérieurs aux papiers peints pourris inclus).

Si un soin particuliers a été apporté à l'ambiance il en va de même pour les personnages dont les traumas font partie intégrante du titre.
Ainsi notre architecte de service subira des crises d'agoraphobie faisant écho à "Body Double" ou "Vertigo" dont une assez marquante dans une gare sortie de "Blow Out" ou d'"Incassable". Comme si cela ne suffisait pas il est victime d'absences tel le héros de "The Machinist" et se retrouve téléportés dans des endroits sans se souvenir de ce qu'il a fait avant d'y arriver.
Le filc du FBI est accro a une substance illicite et se réfugie derrière ses lunettes High-tech, qu'il enfile mieux qu'Horatio Caine des "Experts : Miami", grâce auxquelles il peut manipuler virtuellement les preuves comme dans "Minority Report" ou... "Les experts : Miami". Des inévitables hallucinations (dont l'intervention d'un barman sorti de "Shining") et crises ne vont pas tarder à parasiter l'enquête.
Le détective privé est seul et à moitié alcoolique comme dans... 90 % des films avec des détectives privés.
La photographe quand a elle est harcelée par des cauchemars récurrents et n'arrive plus à dormir.
Une cascades d'emmerdes donc qui permet d'épaissir la sauce et de s'attacher à ces personnages tout sauf parfaits.

On soulignera aussi le travail de Normand Corbeil, le compositeur, qui signe là une bande originale forte même si les emprunts à Bernard Herrmann (le compositeur attitré d'Alfred Hitchcock) ou Howard Shore (le compositeur attitré de Cronenberg et aussi connu pour son travail sur "Le Seigneur des Anneaux" et sur la BO de.. "Se7en" ! Tiens donc) se font parfois un peu trop sentir.

Que serait ces éléments sans un bon scénario ? Hein ? Je vous le demande.
Comme dans la franchise "Saw" dans laquelle le jeu puise le coeur de son intrigue (et même plus car les couleurs maronnasses de l'image ont également fait le voyage) on a un tueur qui met ses victime face à des choix aussi sadiques que cornéliens (Il y a d'ailleurs des reprise directes de certains pièges de "Saw") et tout ce beau monde évolue dans un "Whodunit". Un genre où l'enjeu principal est de traquer et deviner l'identité du tueur avant l'inévitable révélation finale.
Un genre qui a la particularité d'être très facilement prenant (Un joueur/spectateur n'est jamais aussi heureux que lorsqu'on lui donne la possibilité de faire son petit malin) mais qui demande un récit très structuré et une attention particulière sur les détails.

On touche là une des principale qualité du jeu ainsi que l'un de ses gros défaut.
Qualité car l'aventure possède une efficacité indéniable, impossible (n'est pas français!) de commencer la partie sans vouloir connaitre le fin mot de l'histoire. Les rebondissements sont disséminés avec un certain soin et la crescendo dramatique est bel et bien là. Heavy Rain réussi à capter l'attention et à la maintenir grâce à son histoire, s'il n'est pas le premier jeu à faire ça (contrairement à ce que les marketeux veulent nous faire croire), il y arrive parfaitement.
Mais, car il y a un mais, on se rend compte qu'il existe de nombreux trous, de nombreux détails qui ne collent pas une fois les clés du récit dévoilées. Des éléments qui sont là uniquement pour créer des fausses pistes artificiellement, pour ajouter du mystère, pour ménager du suspens. Des éléments qui soit ne sont pas expliqués bien que central dans l'intrigue, soit qui sont simplement incohérents (à moins que les personnages maitrisent le bullet-time ou les arts divinatoires).
Le sentiment d'avoir été trompé sur la marchandise est ainsi assez inévitable.

On en arrive au gameplay, car oui pour un jeu vidéo il faut bien du gameplay.
Heavy Rain est un jeu d'aventure type "point and click" adapté à la playstation 3. On ne "point" pas et on ne "click" pas puisqu'on n'a pas de souris (certains me diront que ça n'empêche pas de sortir des FPS dessus mais soyons sérieux) mais on se déplace et on agit sur le décor via des actions contextuelles (une icône apparait pour indiquer le bouton correspondant) et des QTE (appuyer en vitesse sur les touches indiquées sous peine de rater l'action). Dans l'absolu pourquoi pas.
Seulement à effacer les composantes habituelles des jeux du genre (notamment via la disparition de l'inventaire) on ne se retrouve jamais vraiment face à des énigmes, tout au plus à une série d'épreuves de réflexes. D'autant plus que le système de dialogue est trop souvent fermé à savoir que peu importe la réponse choisie elle ne change pas les options de dialogues suivantes à part lors de quelques embranchements majeurs facilement identifiables.

Afin d'apporter le maximum d'immersion les fameuses touches contextuelles ou QTE sont placés sur les membres/objets/détails sur lesquels ils influent.
Seulement voilà ce choix se retrouve parfois... trop souvent, en fait, pris en défaut. En effet lors de mouvements amples il devient difficile de distinguer les actions, idem lors de certains phases où les instructions ne sont pas clairement définie (le mot "menacer" apparait alors qu'il y a deux personnages à l'écran et on ne peut pas savoir auquel ça s'adresse, résultat on enclenche l'action et elle a lieu sur le mauvais personnage) mais le pire étant lorsque lesdites actions s'affichent simplement en dehors de l'écran où sont obstrués par un élément de décor. On distingue la couleur blanche des touches sans voir la touche en question !
Déjà stressant lors des passages calmes (parfois contournable en changeant l'axe de caméra via L1) ça devient vraiment horripilant lors des séquences d'action... surtout quand cela entraine la mort d'un personnage !
Dans un autre genre : On est prisonnier d'une voiture engloutie sous les eaux avec une autre personne et qu'on essaye de sauver la personne en question : apparait des choix, impossible de savoir exactement à quoi ils correspondent. Je choisi alors celui prêt de mon compagnon d'infortune, celui qui me parait le plus logique pour la sauver et là : mon personnage sort de la voiture et laisse crever l'autre, sans autre forme de choix.
La lisibilité douteuse de l'interface et les consignes anti-intuitives m'ont simplement privés d'un choix, je sors de la voiture et l'autre reste dedans sans que je comprenne pourquoi, sans que j'ai eu l'impression qu'on pouvait sauver cette personne. Un passage tellement mal foutu que j'ai longtemps cru que je ne pouvais pas la sauver.
C'est là qu'il faut se rappeler le prix qu'on a payé son écran HD pour éviter de le balancer par la fenêtre de rage (par chance j'habite au rez-de-chaussée).

Des aléas de gameplay qui peuvent vraiment pourrir la partie. Surtout qu'en terme d'immersion le jeu n'est clairement pas aussi convaincant que ça.
Passons (ou pas) sur les nombreux bug permettant aux personnage d'être assis dans le vide ou d'avoir des gouttes de pluies qui tombent sur leurs vêtements alors qu'on est à l'intérieur. On pourra d'avantage s'intéresser aux séquences où se retrouve à appuyer sur 5 touches en même temps sans devoir les relâcher ne peut se faire qu'au prix de contorsion pour le moins non immersives.
Ensuite les animations des personnages sont littéralement calamiteuse, droits comme des piquets, les habits tatoués sur la peau, et des gestes systématiquement raides. Difficile dés lors de s'impliquer dans certains passage quand la sensation de voir des robots gesticuler de façon chaotique prend le dessus. Idem lors de situations d'urgence où l'on voit nos personnage toujours aussi lent (et oui car courir est impossible dans le monde d'Heavy Rain... sauf quand le game designer en a décidé autrement ce qui arrive 3 fois en tout) et que leurs gestes ne trahissent aucune panique ni empressement.
Quand on chercher tant à se rapprocher du photo-réalisme (comme en témoigne le travail soigné sur les textures ou les décors) se prendre les pieds dans le tapis de la sorte relève de l'ironie. Difficile d'en faire abstraction tant tout le reste du jeu essaye de crédibiliser son univers comme si on était face à un film.

Ces lacunes sont complétées par un système de contrôle poussif à base de gâchette et de stick gauche, rarement l'expression "piloter un char d'assaut" n'aura trouvé un meilleur représentant.
Dans certaines situation se déplacer du bureau à la cuisine relève de la torture pure et trouver les points pour déclencher les actions contextuelles devrait être récompensé d'une médaille de l'Ordre National du Mérite.
Heavy Rain semble être complexé de n'être "que" un jeu vidéo tant les mécanismes utilisés ici sont grippés, on sent bien que la lourdeur et l'ergonomie douteuse sont là pour nous éloigner des canevas habituel... mais l'alternative proposée ici est peu convaincante.

L'autre gros axe du jeu est le côté "Le livre dont vous êtes le héros" à savoir que la moindre de nos action peut avoir des conséquences lourdes et ainsi changer le déroulement et l'issue de l'histoire. Un système déjà présent dans de nombreux jeu (comme dans les excellents "Blade Runner" ou "Colony Wars", dans un genre totalement différent) et qui ici s'intègre bien.
Seulement là encore on se sent légèrement floué lorsque l'on comprend que l'on peut faire n'importe quoi (ou presque) lors des 3/4 du jeu et que la fin ne sera véritablement influencer que par nos choix du dernier acte... quand il s'agit de nos choix puisque certaines QTE arbitraires raté pourront pourrir ce que l'on a fait jusque là, frustrant.
Ainsi peut importe si vous êtes nulles ou que simplement vous décidez que votre personnage est trop con pour s'en sortir il y a aura toujours quelque chose qui vous sortira de là : un rêve, une autre personne qui débarque, un évènement extérieur, etc...
Tout un pan de l'enquête est ainsi sacrifier puisque la résoudre peut parfaitement se faire sans la majorité des indices accumulés jusque là.
L'ultime paradoxe de ce titre réside dans sa structure à tiroir qui invite à faire le jeu plusieurs fois mais ce faisant il ne fait qu'exposer ses approximations scénaristiques et ses tromperies proche de la malhonnêteté pure et simple.

Autre curiosité : à force de nous noyer dans une multitude de choix aux conséquences floues on se retrouve parfois dans des situations où on ne peut pas faire un choix que l'on aimerait faire.
Ainsi un personnage a une boite remplie d'indices majeurs que l'on peut cacher à l'instant t mais pas à l'instant t+1, le choix n'est simplement plus proposé. On ne découvre qu'après que ça permet ainsi à un autre personnage d'ouvrir cette fameuse boite pour créer un rebondissement !
Là encore les lacunes et le côté dirigiste de l'histoire se font lourdement sentir.

Mais voilà, difficile de nier l'efficacité de la narration lors du premier run, le fait est qu'il se termine tout seul, sans forcer et avec intérêt. Heavy Rain arrive même à être vraiment marquant lors que certaines séquences particulièrement inspirées.
Difficile de dire si c'est le temps, l'argent ou le talent qui a réellement fait défaut au développement d'Heavy Rain. On fini l'aventure à moitié content et à moitié frustré.
Heavy Rain c'est un peu comme une "bonne surprise en demie-teinte", mieux que ce qu'on redoutait mais forcément moins bon que ce qu'on nous a vendu.
Vnr-Herzog
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le 2 janv. 2011

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