Il était une fois Miami, la Floride et ses palmiers, sa chaleur et son opulence. Un homme, anonyme, reçoit d'étranges coups de fil concernant des livraisons "spéciales". Vêtu de son blouson universitaire il monte dans sa Delorean, il a le culte chevillé au corps et il remonte le temps pour nous. Destination : 1989, ambiance électronique et bigarrée, période post Disco et pré Grunge. Terre et époque de tous les excès, de toutes les outrances. Derrière des masques grotesques notre avatar sans nom s'en va massacrer des mafieux, poussé par cette voix inconnue au téléphone. Couteau, marteau, batte, shotgun, machette... le sang gicle, la cervelle éclabousse les murs, les tripes se répandent sur le sol. Au son de puissantes mélodies électroniques les cadavres sans têtes et les membres arrachés se mêlent au carrelage kitsch et aux tapis criards pour transformer le décor acidulé en théâtre des horreurs. Les coups de couteau comme les coups de feu doivent être précis, efficaces et meurtriers. One shot, one kill, la toute puissance se fait sentir lorsque les victimes s'enchaînent. One shot, one kill, le joueur sur un pied d'égalité avec ses cibles. One shot, one kill, pas le droit à l'erreur.

La moindre balle est fatale, le moindre coup dans le vent et c'est la sanction immédiate, la cervelle qui éclabousse les murs sera la notre. Aussi rapide que la mort, le reload de la partie. Recommencer, encore et encore. Recommencer parce qu'on a mal géré les munitions, recommencer car on a mal évalué les distances, recommencer parce qu'on a paniqué, recommencer parce qu'on a voulu aller trop vite. Le compteur de score augmente avec notre frénésie et notre créativité meurtrière mais il nous pousse aussi à la faute. Avoir de bons réflexes est vital, réfléchir au déroulement des évènement l'est tout autant. Hypnotisé par la musique qui pulse dans nos oreilles comme le sang pulse dans nos veines, chaque nouvelle tentative est plus irrésistible que la précédente. La tension ne cesse de monter, les nerfs à vif on ne pourra pas abandonner tant que la soif de sang ne sera pas étanchée.

La porte s'ouvre, un homme de main est à terre pour quelques instants, pas le temps de réfléchir, ses deux collègues foncent déjà sur nous. Bang, la chevrotine déchire le torse d'un malfrat, cric-crac, l'étui fumant est éjecté de la chambre, clic, l'arme est vide. Fendant l'air tel un boomerang absurde le shotgun traverse la pièce et vient heurter le deuxième assaillant. La barre de fer qu'il tenait à la main roule jusqu'à nos pieds, le temps de l'attraper, de se retourner. Le premier type, celui mis à terre par la porte, vient juste de se relever et l'intérieur de son crâne voit désormais la lumière du jour pour la première fois. Il reste le troisième mec, inconscient sur le sol après avoir été assommé par le fusil à pompe volant. Un couteau traîne à proximité, inutile de le laisser se relever, la carotide s'ouvre, le sang repeint la moitié de la pièce. Et soudain...

Le silence.

C'était le dernier ennemi du niveau, en même temps que sa vie, la musique s'éteint et la tension retombe, d'un coup. C'est à ce moment là qu'on se rend compte de la portée viscérale d'Hotline Miami, cette réaction physique que l'on a, ce soulagement d'avoir enfin réussi. Plus le jeu avance et plus notre avatar se perd, aidé en cela par une narration éclatée mais maîtrisée, référentielle (Les crédits de fin remercient Nicolas Winding Refn, ceux ayant vu Drive auront fait le rapprochement d'eux-même) mais pourtant unique. Rêve, réalité, vie, mort, passé, présent, comment, pourquoi... tout se mêle et tout se brouille. Les repères du personnage principal explosent, ceux du joueur aussi, les deux sont plongés dans la même spirale de violence sans concession, dans le même bad trip. L'anti-héros anonyme porte lui même un masque pour perpétrer ses crimes, de la même manière que le joueur se camoufle derrière le personnage de jeu vidéo. Chaque nouveau masque donnera l'occasion de modeler le massacre à son propre style, d'affirmer sa signature macabre. Sado mais maso, jouissif mais tenace, Hotline Miami s'approche au plus près de la folie. Jonatan Söderström et Dennis Wedin, les deux créateurs, s'amusaient pour la promo du titre en placardant "based on a true story" dans les différents trailers pour se moquer gentiment de ce type d'exercice. Premier jalon d'une oeuvre grotesque et géniale puisqu' Hotline Miami s'inspire bien d'une histoire vraie, pas celle d'un serial killer des années 80 mais celle du joueur qui y joue.

Créée

le 5 déc. 2012

Modifiée

le 9 déc. 2012

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