La fusion de Dark Souls, The Witcher et Ocarina of Time

Nous sommes en 1999. Ubisoft, récemment auréolé du succès de Rayman 2, passe un contrat avec la marque de jouets la plus populaire du moment : Playmobil. Eh oui, à l'époque, LEGO n'a pas encore activé ses partenariats avec de grosses licences et se meurt petit à petit.

De cette alliance incongrue naîtront trois jeux PC. Deux d'entre eux mêlent aventure et éducation et sont à destination des plus petits, Alex à la Ferme et Laura et le Secret du Diamant, mais le troisième est destiné à des enfants un peu plus âgés et est bien plus orienté action : Hype The Time Quest. Il aura droit à des portages sur PS2 et Game Boy Color en 2001, après que des versions N64 et Dreamcast aient été annulées.

Le jeu me faisait de l'oeil depuis que je l'avais vu en publicité dans le DVD de la série animée Rayman, je suis très content de m'y frotter enfin, notre héros sans bras ni jambes fait d'ailleurs une petite apparition dans l'aventure. Et je réalise en tapant ces lignes que j'ai acheté le DVD Rayman il y a 20 ans, argh…


Dans le jeu Hype, on incarne le chevalier Hype dont le royaume s'est fait envahir par un étrange chevalier noir, qui a réussi à l'envoyer dans le passé. Charge à nous de trouver un moyen de remonter le temps pour sauver le roi et notre fiancée !

J'avoue avoir été un poil déçu une fois la cinématique de fin terminée, parce que la prémisse "on renvoie un chevalier dans le passé" aurait pu être vachement drôle, Hype aurait pu atterrir à l'âge de pierre ou dans la Rome antique et ç'aurait été très original. Las, il s'avère qu'on n'a fait un saut dans le temps que de 200 ans, toute l'aventure aura donc lieu au Moyen-Age, dommage.


On va donc visiter notre royaume à 4 époques différentes, et je trouve que les développeurs s'en sont vraiment bien sortis. La map reste globalement la même à chaque ère, on commence à chaque fois dans l'observatoire du sud avant de traverser la forêt pour atteindre le bourg, mais les lieux évoluent au fil du temps. Des quartiers se créent, des bâtiments qu'on a détroussés 50 ans plus tôt deviennent inaccessibles au public, de vieilles reliques sont découvertes, des personnages vieillissent et disparaissent, les prix subissent une inflation (beaucoup trop réaliste ce jeu)… Chaque époque a sa propre ambiance (guerre civile, période faste…) qui est retranscrite aussi bien dans les environnements que dans la musique.

En terme de présentation donc, on est non seulement en face d'une ambition surprenante pour un jeu à licence à destination des enfants, mais c'est en plus réussi, bien que le manque de budget se fasse par moment ressentir (peu d'animations même pour notre héros, beaucoup de modèles de PNJ réutilisés, chaque doubleur prête sa voix à plein de personnages…). Evidemment, tout ça a vieilli et 25 ans plus tard on n'est guère impressionnés par des Playmobil avec une tête en 2D, mais on ne peut pas dire que les développeurs d'Ubi Montréal se soient foutus de la gueule des jeunes joueurs de l'an 1999.


Eh oui, c'est la branche canadienne d'Ubisoft qui s'est chargée du développement, et il s'agit même du tout premier jeu où Patrice Désilets, futur créateur d'Assassin's Creed, est crédité. Dites-vous donc que sans Playmobil, on n'aurait peut-être pas eu d'assassin à la cérémonie d'ouverture des JO…

J'ai parlé des musiques plus haut donc embrayons dessus. Je la trouve absolument charmante, les thèmes médiévaux sont bien retranscrits et il y a suffisamment de variété dans la bande-son pour qu'on n'entende pas les mêmes morceaux en boucle (même s'il y a une réutilisation d'un leitmotiv, que j'aime beaucoup personnellement). Je vous encourage à aller écouter toute l'OST, mais si je devais sélectionner quelques morceaux, je retiendrais le thème du vol et celui du bourg lors de la deuxième ère, qui m'a fortement fait penser à la Lande aux Esprits Frappés de Rayman 3. Il ne s'agit toutefois pas du même compositeur, Robbi Finkel a malheureusement eu une très courte carrière dans le JV, mais qui semble avoir été plus productif dans d'autres domaines (il a même bossé pour Dutronc et Higelin si j'en crois Wikipedia, carrière respectable donc).

Finissons sur les personnalités autour du jeu en mentionnant les acteurs. Tout le jeu est doublé en français, ce qui est assez impressionnant car il y a une assez grande quantité de dialogues, et Ubisoft s'est offert les services des plus grandes voix de l'époque. Pour ne citer que les plus célèbres, nous avons Brigitte Lecordier, Benoît Allemane, Jean-Claude Donda et même Emmanuel Curtil qui double les deux pauvres dialogues de Hype !


Revenons au jeu. Hype est un jeu d'action-aventure à la Zelda, et son gimmick de voyages temporels alors qu'il est sorti seulement un an après Ocarina of Time lui aura valu le (glorieux) sobriquet de "Zelda sur PC". Ubisoft ne s'est d'ailleurs pas fait priver pour l'imprimer sur la jaquette US.

En tant que fan absolu d'OOT, je trouve évidemment que Hype a bien plus de défauts, mais c'est très loin d'être un échec. Il a même de bonnes idées de gameplay, comme le fait que notre épée émette un rayon à chaque coup (à la Zelda 1, avec moins de portée), ce qui permet d'avoir une hitbox tout à fait correcte et qui facilite grandement les combats au début du jeu. Ca n'empêche pas la difficulté d'être assez retorse sur la fin, et le nombre de points de sauvegarde assez faible peut vous surprendre en début de partie et vous faire recommencer d'assez loin si vous cumulez les erreurs. C'est un équilibre parfait dans un jeu pour enfant.

Il y a même de très bonnes trouvailles, comme ces soldats imprimés sur des fanions qui prennent vie lorsque vous passez devant, tout en restant en 2D ! J'étais scotché la première fois que j'ai vu ça, c'est très créatif.

Quelques énigmes sont même assez poussées, et je me suis surpris à quelques reprises à chercher une solution sur le net. Qui aurait pu prédire qu'un jeu Playmobil soit à ce point pensé pour les hardcore gamers ?


Dans le domaine des défauts, je trouve l'inventaire un peu lourd, même si ce n'est pas insupportable, c'est un peu chiant de devoir équiper manuellement des clés ou un objet spécial à montrer à un PNJ au lieu que ça se fasse automatiquement.

La caméra n'est pas toujours très coopérative (je la trouve trop collée au sol) et ne peut malheureusement pas être dirigée. Ca peut poser des problèmes, en particulier lors des phases de plate-formes qui sont peu nombreuses mais peuvent vraiment vous taper sur les nerfs assez vite. Mais le plus gros souci de ces phases, c'est que Hype est un jeu en tank control, ce qui ne se marie vraiment pas bien avec la précision que certaines requièrent (je hais le clocher du monastère, qu'on doit escalader deux fois).

Le jeu a aussi le même problème que (l'ignoble) StarFox Adventures, à savoir que ça manque d'option pour voyager plus vite, et idéalement se téléporter. On doit assez fréquemment se taper le même chemin en forêt lorsque le scénario impose des aller-retours, c'est sympa au début mais ça saoule vite. Heureusement, la map est suffisamment petite pour que ça ne prenne pas trop de temps (ce qui n'enlève pas la répétitivité), et on peut débloquer des bottes plus rapides sur la fin qui atténuent légèrement le problème.


Et puis, par rapport aux jeux LEGO qui ont des décors en brique ou des personnages qui se démembrent, l'esthétique Playmobil n'est pas vraiment exploitée ici. Les personnages et les animaux sont des modèles de Playmobil certes, mais en-dehors de ça on ramasse des joyaux lambdas, on évolue dans des décors médiévaux classiques… Les Playmobil ont une patte qui est beaucoup moins identifiable que celle des LEGO et l'époque ne permettait évidemment pas de faire des textures plastiques avec des effets de lumière réalistes, mais c'est dommage quand même, je pense qu'il y avait moyen de faire plus.

Notez aussi que si vous êtes sur PS2, les zones ont été divisées (la forêt est en deux tableaux au lieu d'un), ce qui entraîne plus de temps de chargement.


Le monde du jeu est assez petit mais finalement plutôt dense, il y a un peu de contenu annexe (des mini-jeux, la recherche de nouvelles magies…), quelques lieux à côté desquels on peut passer sans jamais le savoir (comme la boutique de potions, qui est pourtant bien utile en fin de jeu) et certaines quêtes à la fin du jeu demandent de faire des aller-retours entre les époques. Ca arrive un peu tard à mon goût et on voit très peu d'interactions entre les ères (on ne nous demande qu'une seule fois de ramener un objet dans le passé par exemple), mais ça permet au moins de revisiter les époques une dernière fois avant le donjon final. Donjon qui a la très mauvaise idée de nous y bloquer une fois qu'on y arrive, j'espère que vous aviez pensé à acheter des potions avant et que vous ne comptiez plus boucler des quêtes annexes, une fois que vous sauvegardez dedans, c'est fini. Comme Beyond Good and Evil, tiens.

J'ai eu un peu peur au début du jeu, ayant bouclé les deux premières ères en 3h. Finalement, le jeu est un peu plus long que ce que je craignais et arrive à renouveler sa formule au cours de la troisième ère, le jeu m'a au total pris 8h30, sans compter les heures perdues à relancer ma sauvegarde lors de passages compliqués !


Il y a deux passages en particulier qui m'ont bien fait chier et qui ont tous deux la particularité de mélanger plate-formes et archers ennemis. Les archers sont d'une précision redoutable, et s'ils touchent Hype, le recul le fera probablement tomber, forçant à recommencer la section.

C'est dans ces moments-là que j'ai pesté contre l'arbalète, qui est une arme qu'on a dès le début du jeu mais que j'ai peu utilisée à cause de sa lenteur (il faut passer à la première personne pour viser une cible qui n'est pas à notre niveau) et surtout de son manque de précision, la moindre pression sur la croix directionnelle faisant partir votre viseur à l'autre bout de l'écran. Elle aurait pu être utile pour sniper les archers adverses, mais sa maniabilité désastreuse a fait que j'ai abandonné l'idée, et j'ai fini par franchir ces deux passages en bourrinant et en priant. C'est pas glorieux, ou pas hype, comme dirait un Youtubeur en mal de jeux de mots.


J'ai parlé de narration par l'environnement plus haut, mais l'écriture du jeu est elle aussi une surprenante réussite ! Le scénario comporte un certain nombre de retournements de situation que sa prémisse ne laissait pas envisager, on a par exemple beaucoup de trahisons de la part de certains PNJ ou les attitudes des différents rois à notre égard qui sont très variées (allant de la franche hostilité au respect total), mais on a aussi des moments qui sont franchement émouvants, surtout sur la fin. Les retrouvailles avec notre fiancée sont adorables comme tout et les acteurs arrivent vraiment à faire passer l'amour qui les unit malgré le manque d'animations faciales ; la visite du laboratoire de notre allié Gogoud dans la quatrième ère est pesante, notre ami étant à l'article de la mort dans la troisième ère et le lieu étant tombé en ruines ; une jeune fille tombe sous notre charme (certes trop facilement) mais doit accepter de nous laisser partir dans le futur, ce qui lui brise le coeur…

C'est vraiment un jeu intelligent, qui n'a pas peur de parler frontalement de tortures ou de magouilles politico-religieuses, tout en étant subtil quand il le faut. Je le redis, mais l'équipe derrière le jeu ne se foutait pas de la gueule des enfants et n'a pas traité ce projet par-dessus la jambe !


Et du coup, c'est presque triste quand on arrive à la fin du jeu et qu'on détruit le boss final en une minute. Les boss ne sont pas le point fort du jeu, mais celui-ci est particulièrement médiocre vu qu'il a peu d'attaques. J'ai cru qu'il allait avoir une deuxième forme, la cinématique suivant sa défaite laisse penser à un twist à la "Ganon détruit sa tour pour t'emporter avec lui", mais même pas. Les deux autres boss qu'on affronte dans le même donjon étaient plus vénèrs.

Le seul boss à peu près valable, c'est notre jumeau maléfique qui possède des sortilèges qu'on n'a pas encore à ce stade du jeu et qui peut vraiment nous prendre par surprise.


Enfin bon, le jeu n'est pas parfait et a clairement vieilli sur certains aspects, mais on ne peut pas lui enlever son charme et son intelligence. C'est un très bon jeu, et je suis sûr que les enfants qui l'ont découvert à 6-9 ans en ont d'excellents souvenirs. J'ose même croire qu'il les a rendus un peu meilleurs en leur enseignant de belles leçons de vie, chose que personne n'attendait d'un jeu Playmobil mais qu'Ubi Montréal a parfaitement su implémenter.

Si j'étais milliardaire, je rachèterais la licence Playmobil juste pour produire un remake et des suites de cet univers prometteur qu'est Hype. En plus ça tombe bien, Désilets n'a rien branlé depuis 5 ans.

Sonicvic
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le 16 août 2024

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