Itinéraire d'une fuite
Cela faisait un petit moment que je souhaitais commencer If Found, traitant des LGBT, de coming-out... Le concept du jeu est assez simple, il faut effacer les mots et les situations pour faire...
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le 12 juin 2021
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Critique publiée à l'origine sur Etoile et champignon.fr
If found… est en substance une bande-dessinée légèrement interactive, qui s’appuie sur l’action d’effacer à la gomme, comme moyen de passer d’une image ou d’un bout de texte à l’autre. Le jeu nous propose de naviguer dans un journal intime entrecoupé de dessins, qui racontent le parcours sentimental de Kasio, jeune fille transgenre confrontée à l’incompréhension de sa famille puis accueillie par une bande de gentils marginaux. Formellement, le jeu est impeccable. Il se présente comme un feuilleté d’images où chaque plan est comme une surface fragile, dont l’effacement révèle un autre plan : la nuit peut se révéler sous le jour, une maison dans le noir peut s’éclairer, l’intérieur d’une pièce peut apparaître derrière un mur, par la magie de nos coups de gomme qui sont comme une plongée dans le flux du temps qui passe, irréversiblement (ce qui est effacé ne pourra pas être relu ou revisité).
Si l’idée est visuellement intéressante, elle n’est malheureusement pas investie de beaucoup de sens sur le plan du récit. Il faut attendre la fin du jeu pour ressentir ce qui semble être l’intention des concepteurs du jeu, celle de faire effacer comme on tente d’oublier des souvenirs douloureux, à l’occasion d’un passage décrivant la dépression comme un désastre cosmique où les coups de gommes dévoilent les rayons brûlant de supernovas, et font passer quelque chose de cet état de tristesse incandescente dans laquelle on se trouve aux moments les plus rudes de sa vie. Avant cela, tant qu’on ignore le pourquoi du comment, le fait d’effacer n’est guère plus qu’une coquetterie esthétique : on gomme comme on tourne une page en cliquant sur la flèche « suivant » dans Power Point. C’est donc une occasion manquée que cette action à peine expressive (gommer pour oublier ce qui fait mal), et pas du tout ludique (gommer pour porter à conséquence sur le fil des événements, en modifiant la réalité par exemple).
Quant au récit à proprement parler, il est fait à hauteur d’adolescence : on y suit une série de premières fois – premier retour au bercail en tant que fille, premières sortie de rail scolaire, premiers frissons amoureux –, décrits sans le recul nostalgique que donnerait le temps passé, mais « vues du dedans », avec tout ce que cela implique de questionnements identitaires mais aussi, et c’est plus fâcheux, d’ego-trip désagréable. Le monde entier s’efface derrière l’obsession de reconnaissance de Kasio : reconnaissance de sa différence parmi les ploucs cathos (pour reprendre sa vision des choses), reconnaissance de sa valeur scolaire (elle piétine dans ses études, certes, mais d’astrophysique, s’il vous plait), autour d’une question qui semble être : « Mais bon sang, suis-je cool, oui ou flûte ?! », comme elle se le demande lors du concert où elle se perd en considérations sur son « rang » social, plutôt que profiter de la musique.
Jamais les pensées de notre personnage ne dépasseront ces questionnements auto-centrés, le monde extérieur n’étant interrogé que pour ce qu’il dit d’elle, pour l’image qu’il lui renvoie d’elle-même, pour ce qu’il lui concède ou lui refuse. Exemple emblématique avec la scène de Noël, où Kasio explique qu’elle « n’avait prévu de cadeau pour personne, mais que tout le monde a été très gentil » et lui en a offert quand même : la scène, vécue positivement juste parce qu’elle est le centre des attentions, a quelque chose d’indécent. Inversement, on est frustré de voir sa mère décrite sous le seul angle de sa fermeture d’esprit, sans que jamais son point de vue ne soit situé ou expliqué, quitte à le déplorer ensuite. Il n’y a pas même l’amorce de ce type de réflexion : face à l’incompréhension d’autrui, notre personnage se braque immédiatement et claque littéralement la porte comme une ado contrariée, et nous, joueurs, nous retrouvons embarqués dans ce narcissisme adolescent comme dans le champs gravitationnel d’un trou noir, pour reprendre l’image cosmique utilisée par le jeu.
Une autre manière d’aborder l’identité transgenre aurait pu consister à en faire une donnée parmi d’autres, chez un personnage qui existerait de plein d’autres manières, par plein d’autres qualités ; or le point de crispation terminal que le sujet devient ici empêche tout autre considération d’exister, au point que l’on ne comprend pas grand-chose au contexte du jeu, à son lieu, à ses personnages, que le jeu s’obstine à mal regarder, à ne décrire que partiellement et comme cela l’arrange. A quoi ressemblent vraiment les « amis » qui gravitent autour de Kasio, et dont elle ne retient que de dérisoires anecdotes qui en disent long sur son manque d’intérêt pour autrui ? Son frère peut-il être réalistement aussi odieux et acharné contre elle, plutôt que de s’occuper de sa journée comme le bon gros bourrin qu’il semble être ? Le soupçon d’exagération est constant, et donne l’impression que tout nous est décrit sous le prisme déformant d’un regard auto-centré, qui dirait « moi d’abord, le monde ensuite » et s’impatienterait de la moindre résistance, mettant immédiatement le monde à distance. On aurait préféré un parcours qui s’efforce tant bien que mal de faire le lien entre les deux.
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Créée
le 3 juin 2020
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