Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr


It Takes Two est une bonne surprise, mené par le game-designer Josef Fares dont on avait apprécié le Brothers, qui tournait déjà autour de l’idée de binôme jouable. Dans It Takes Two, la coopération va plus loin puisqu’elle devient entièrement multijoueur : l’action et la plateforme s’y jouent vraiment à deux, dans une combinaison de gameplays qui rendent les parcours de l’un et de l’autre indissociables. Si les phases collaboratives sont une franche réussite, une première bonne surprise tient plus simplement au gameplay « plateformesque » : le maniement des personnages est vif et précis comme dans un Mario 3D, et procure d’excellentes sensations sur lesquelles les nouvelles mécaniques viendront se greffer naturellement.


Mais It Takes Two est aussi, hélas, un jeu dont l’histoire peut agacer au point de gâcher un peu le plaisir. Résumons-la en deux mots : un couple est sur le point de se séparer, leur fille se confectionne deux poupées à leur effigie pour jouer leur réconciliation, et la magie du conte fait le reste. Leur esprit est insufflé dans ces corps miniatures, faisant de leur maison un immense espace découpé en niveaux explorables (le garage, la chambre de la fille, le jardin, le grenier…), en même temps que le lieu de leur rabibochage au forceps. Quelle drôle d’idée, déjà, que de faire converger cette histoire de gens qui ne se supportent plus au quotidien vers l’impérative reconstruction de leur amour, présentée comme une inquestionnable bonne chose. En défense du jeu, on doit pouvoir penser (et encore…) que l’histoire se raconte dans la tête de la fille, qu’il s’agit de l’expression de son espoir secret et non d’une réalité dans la fiction… mais cela ne rend pas plus supportable les cinématiques qui ne cessent de rabâcher un même schéma horripilant : les deux personnages commencent par se mitrailler de reproches négatives, toujours un peu les mêmes, suite à quoi le script leur intime de s’entendre en les aiguillant vers le chapitre d’après munis d’une nouvelle mécanique, suivant l’idée qu’ « en s’aidant concrètement dans l’action, on ne peut que finir par s’apprécier à nouveau ».


Le scénario n’esquissera pas même l’hypothèse que ces parents sont peut-être légitimes à vouloir se séparer, qu’ils peuvent avoir leurs excellentes raisons, qu’il n’y a pas lieu de les questionner. Ils font erreur, un point c’est tout, et leur aventure va leur (et nous) apprendre à bien se comporter l’un avec l’autre pour mieux se « retrouver ». Cette perspective moralisante de l’histoire, au ton vaguement pédago, nous a agacé au plus haut point et nous semble plus généralement une mauvaise piste, pour toute forme de récit que ce soit. Mais ce qui a fini de nous irriter, c’est surtout la bêtise de dialogues rejouant tous les clichés des problèmes de couples, culminant dans la nullité avec les interventions sensément comiques du « Livre de l’Amour », sorte de conseiller marital à la noix dont la niaiserie n’a d’égale que la laideur du design digne des pires productions Dreamworks.


Quel dommage, vraiment, que le studio ait manqué de lucidité sur sa narration, quand il aurait suffit pour fonctionner de la jouer cartoonesque et sans prétention, à la manière d’un jeu « Rare » sur N64 (de Banjo à Conker), ou de s’appuyer sur des situations plus purement visuelles à la manière d’un Unravel, au ton beaucoup mieux senti. On pourra nous arguer qu’il reste possible de zapper les cinématiques ; mais comme elles comptent pour 2h30 des 10 à 12 heures du jeu, ce sera s’amputer d’une part conséquente de l’expérience : la prétention narrative d’It Takes Two est telle qu’il nous est impossible d’ignorer son impact négatif sur notre expérience de jeu.


On le déplore d’autant plus que la pratique est inversement enthousiasmante, portée par un nombre étourdissant de mécaniques : on nous fait jouer beaucoup de bonne plateforme, mais aussi pas mal de glisse façon « grand huit », des variantes sur le thème du jeu de tir, une séquence en planeur et une autre en bateau-pirate, un chapitre sous-marin et un autre de pure voltige, un peu d’A-RPG vu du dessus et même un soupçon d’infiltration, pour ne citer que quelques-unes des directions prises par le jeu, toutes maîtrisées, immédiatement jouables et amusantes. Au delà de la prouesse technique qui la tient, cette folle dépense a l’incontestable atout d’empêcher tout risque de lassitude ; mais elle a aussi son contre-coup : beaucoup de gameplays sont trop vite zappés, vouant le jeu à ne laisser que le souvenir de plaisirs brefs et diffus, jamais tenus sur la durée. On aurait préféré voir les meilleures mécaniques développées plus en profondeur, et les éprouver plus fortement dans une difficulté plus relevée, notamment dans leur part « puzzlesque » qui relève souvent de l’évidence, résolue en quelques secondes d’observation du décor – l ‘excellent coop de Portal 2 reste à ce titre la proposition la plus idéalement calibrée -.


Pour n’être pas très mémorable, It Takes Two n’en propose pas moins un medley de gameplays toujours au moins sympathiques, voire franchement excellents à leur meilleur (le jeu sur les aimants, le rembobinage temporel), dans une présentation soignée : les textures restituent joliment les matières, les animations sont pleines de caractère, et les niveaux proposent une réinterprétation visuellement stimulante d’espaces et d’objets familiers – des outils de bricolage, des jouets … – détournés de leur fonction initiale pour constituer une grammaire « plateformesque » étonnante, que l’on prend plaisir à découvrir. Mais si l’on devait ne retenir qu’une chose du jeu, plutôt que son nombre record de mécaniques ou sa réalisation impeccable, ce serait son idée de plateforme réellement coopérative, à l’origine de ses meilleurs moments. Tous reposent sur un même principe : un joueur doit aménager le parcours de son collègue en activant les plateformes et supports manquant à son chemin, parfois presque sous ses pieds. On a adoré ces moments parce qu’ils engagent une lecture des niveaux qui doit être réellement partagée, et une action à synchroniser presque parfaitement, comme dans une performance musicale (en se calant par exemple sur un décompte vocal). Si l’un se rate, oublie ses marques ou dévie du tempo impulsé par son partenaire, la séquence capotera à coup sûr ; à l’inverse, toute réussite se ressent comme le fruit d’un engagement collectif dans l’action, évoquant un ballet où tous les gestes du duo ont trouvé leur juste place, récompensé par un déplacement fluide et sans accroc des deux joueurs en parallèle, ponctué de spectaculaires changements de rôles et passages de relai à la volée. On a tant aimé pratiquer ses parcours entremêlés que l’on sera ravi de voir cette idée creusée par d’autres jeux moins balourds sur leur narration ; en l’état, et malgré ses défauts, It Takes Two en propose une première version riche en joies partagées, qui mérite largement le détour.


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Benetoile
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le 10 nov. 2021

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