Au fil du temps, j’ai acquis l’intime conviction d’être un homme. Un homme qui n’aime que très modérément le changement. Le premier Jak & Daxter, j’en garde un souvenir mémorable, au point que je le considère aujourd’hui encore comme le meilleur platformer 3D de tous les temps, proposant un monde cohérent et sans cesse renouvelé, une diversité d’action bienvenue, une panoplie de mouvements hétéroclite qui s’adapte au joueur et ses approches, un sidekick rigolo… en fait, il ne manque qu’un héros un poil plus charismatique et une difficulté un chouïa réhaussée pour que le soft soit parfait. J’attendais donc avec impatience ce fameux Jak II. Vint alors le premier trailer du jeu, diffusé lors de l’édition 2002 de l’Electronic Entertainment Expo, plus communément appelé Ikioube…
Une ville futuriste, des caisses qui volent, un hoverboard, une espèce de milice armée, des gunfights à foison…que le monde féérique gentiment naïf du premier opus paraît loin ! Moi qui suis le premier à critiquer le manque de prise de risques de la série castelloplombière, je suis resté assez dubitatif devant une évolution aussi brusque, aussi radicale. C’est d’autant plus étonnant qu’il est finalement plutôt rare qu’un gros développeur comme Naughty Dog puise son inspiration chez un succès concurrent (ndmoi : GTA III), en particulier quand c’est pour créer une suite à un premier opus excellent qui a lui-même connu le succès… Mais bon, si ne pas aimer le changement est une chose, la fermeture d’esprit en est une autre, et c’est avec une curiosité certaine que je décidai de tenter l’expérience…
Jak II est la suite directe du premier, enfin, si vous aviez fini le jeu à fond et récupérer les 101 piles d’énergie servant à ouvrir ce mystérieux portail des précurseurs… Portail propulsant Jak et ses comparses vers un lieu particulièrement hostile, une cité futuriste du nom d’Abriville dirigée d’une main de fer par le baron Praxis, en guerre constante contre les Metal Heads, des fans de bonne musique assiégeant la ville pour pouvoir assister à un concert d’Arch Enemy. Ou bien ce sont des espèces de créatures sauvages, je ne sais plus trop… Quoi qu’il en soit, Jak est aussitôt capturé par les grenagardes, la milice de la ville, afin de servir de cobaye pour des expériences extrêmes à base d’injections d’éco noire… Un calvaire qui durera deux longues années, jusqu’à ce que Daxter parvienne à le faire s’échapper…
Cette thérapie a l’éco noire a permis à Jak de développer des capacités destructrices qui se révèlent lorsqu’il se transforme en Dark Jak (pour une durée limitée). Sous cette apparence, il devient à la fois plus fort, plus rapide et plus résistant, mais ne peut plus utiliser ses armes en contrepartie. Car oui, dorénavant, et même si la majeure partie de sa panoplie de mouvements est toujours d’actualité, Jak aura également la possibilité de faire parler la poudre, par l’intermédiaire de quatre armes : le pulvérisator (shotgun), le blaster (sorte d’AK-47), le vulcanobarillet (émule de M-16) et le pacificateur (lance-roquettes?). Si la plateforme tient encore -et heureusement!- sa place, le soft est devenu très largement, et même principalement, un shooter. On peut même parler de GTA-like à ce stade…
Absolument tout fait penser à GTA dans ce Jak II, notamment quand on évolue à l’intérieur-même d’Abriville : les bolides qu’on peut "car-Jaker" pour se déplacer plus vite, la milice qui nous poursuit quand on commet une infraction, les contacts qui nous donnent les missions faisant progresser le scénario… Un scénario d’ailleurs pas trop mal ficelé, malgré certaines "révélations" qu’on devine aisément au bout de 20 minutes ("ohoh, je me demande qui peut bien être ce gamin à la mèche rebelle ?"), qui semble parfois être la seule véritable carotte nous incitant à avancer , tant certains partis-pris peuvent s’avérer TRÈS frustrants.
Tenez-le vous pour dit, Jak II est réservé aux joueurs ayant des nerfs d’ACIER. La difficulté y est très en dents de scie, mais globalement très élevée et ce, dès le début du jeu. L’une des toutes premières missions du jeu par exemple, consiste à un moment donné à traverser une zone à découvert gardée par un tank : j’ai eu beau essayer une bonne dizaine de fois de passer en comptant sur ma dextérité, rien à faire, sa cadence de tir est trop rapide, et le bougre enlève les points de vie deux par deux… La seule solution que j’ai trouvée fut de me transformer en Dark Jak pour gagner en résistance, et de tracer comme un dératé jusqu’à l’autre côté… Dans le même ordre d'idées, on peut également critiquer une gestion assez calamiteuse des checkpoints, mal placés, trop espacés, parfois même inexistants…
Et puis, il y a les nombreuses missions chronométrées, parfois à la seconde près, impliquant souvent parcœurisme "d’une autre époque" et/ou connaissance parfaite du terrain de jeu. On en distingue essentiellement deux types : les petites quêtes de recherche d’orbes précurseurs, et les parcours en véhicules qu’on peut assimiler sans peine aux courses taxis des GTA-like, plus ou moins complexifiés par l’importance du trafic. On pourrait également y inclure les défis de scores, comme les champs de tir ou les sessions d’hoverboard, dont les highscores ne s’atteignent qu’à force d’acharnement…
Je sais aussi que beaucoup de joueurs exècrent le comportement des bolides, que ce soit lors des compétitions de course ou simplement pour se déplacer en ville. Je ne conteste aucunement que leur inertie est délicate, à tendance désagréable (ce qui serait complètement con) ; cependant, cette tenue de route "horrible" est à mon sens parfaitement cohérente quand on regarde les bestiaux qu’on est amené à piloter… Au pire, l’hoverboard s’acquiert relativement vite…
Bon, je vais arrêter là les critiques sur ce pauvre Jak II, ou je vais finir par faire croire que c’est un mauvais jeu, ce qu’il n’est pas. La plupart des "défauts" précités, qui peuvent d’ailleurs ne pas en être si on adhère au revirement shooter de la série, ne concerne généralement que les missions se déroulant dans Abriville (et ses égouts). Mais à maintes reprises, certains objectifs nous imposent de sortir de la ville, par l’intermédiaire de mini-portails, afin de rejoindre des environnements autrement plus naturels, ou la plateforme reprend peu à peu le pouvoir, pour notre plus grand plaisir. Et là, on retrouve un peu de la magie du premier…
Et puis techniquement parlant, il envoie du pâté le Jak II. C’est proprement hallucinant d’avoir un graphisme aussi détaillé dans une ville ouverte et d’une superficie fort respectable, avec ses rues souvent bondées de piétons et/ou de véhicules, et ses quartiers riches de diversité qui, à l’instar de son modèle, permettent de s’approprier très vite le terrain de jeu et de se repérer instinctivement. Le moteur physique est un modèle du genre, l’animation n’est jamais à prendre à défaut, et l’IA fait le job. Côté son, les doublages français sont globalement bons, l’atmosphère en ville est bien retranscrite, et les quelques thèmes musicaux (essentiellement de discrets thèmes d’ambiance) s’affranchissent enfin -et logiquement- de la saga Crash Bandicoot…
Pour résumer, Jak II, c’est tout simplement LE jeu charnière dans l’histoire de Naughty Dog. C’est l’époque précise où le studio a décidé de peu à peu délaisser la plateforme pour s’orienter vers des jeux toujours plus axés sur l’action et le spectaculaire, autrement dit le moment-clé où le studio a muté en l’entité que nous connaissons tous aujourd’hui, en 2017, pour le bonheur des uns (apparemment une majorité), et le malheur des autres (dont moi-même). Un studio qui divise, tout autant que ce Jak II.