Heureux qui, comme il glisse, a fait un beau voyage...
Je serpente de vagues en creux, je tangue dans un champs de stèles funéraires vers les blocs épars d'aqueducs qui enjambaient, jadis, les quatre bras du Monde. Je glisse sur la houle ardente éblouissante comme de la neige. Le bruit de mes pas sur le sable chante comme une fraiche bruine de printemps. Ici un palais enseveli décoré d'ablaq, là un orgue de colonnes cannelées. Plus loin, sur la crête d'une dune moussante d'écume, ondulant sous la chaleur, se profile le reflet liquide d'une silhouette familière.
Ce n'est pas un mirage mais un inconnu, vagabond des contrées oubliées, paré comme moi d'une épaisse cape de pourpre à gallons dorés, le front ceint d'un fin diadème et le cou enroulé d'une écharpe qui frémit comme une longue queue luisante de salamandre. Il s'avance et lâche un chant puissant, une onde de choc qui rafraîchit mon corps et réchauffe mon cœur. Je lui réponds par quelques notes légères. Je crois déceler sous ce chœur monocorde un rire. Tout du moins un simple "Bonjour" des plus amicaux. لسلام عليكم, χαiρε, ♐'∮♫♣... Qu'importe ! Nul besoin de mots.
Nous voguons, loffons l'écharpe, manœuvrons au sirocco. Notre but semble le même : atteindre coûte que coûte cette montagne au pyramidion argenté qui se dresse à l'Ouest et surplombe tout le pays de son obélisque de lumière. Bien que ne connaissant ni nos noms ni notre provenance (sais-je ne serait-ce que la mienne ?) nous nous épaulons. Explorant les recoins reculés des relais, il m'indique où se trouvent les Sources de hiéroglyphes. Ensemble, nous descellons des grilles et des portes ajourées qui crachent des tentures nous catapultant vers de hautes terrasses maçonnées. Marche à marche sur cet escalier de géant saccadé de cascades de limon. Nous sommes bien sur la voie droite : parfois, sous un tronçon de muraille, un peu rongé par la morsure du vent et du mica, un vieux relief illuminé révèle le chemin des Pionniers Blancs. Au fil des anciens autels rencontrés, nous tissons et brodons l'histoire coruscante de notre périple.
Nous accélérons ! Particules d'étoiles, poussières de comète, filets d'argent, atomes de sable, spirales de confettis rouges, serpentins de sinople, algues de tapisserie damassée où se faufilent des serpents cyclopes, brume mordorée peuplée de méduses de coton qui inonde un ascenseur de cuivre grinçant où fusent les lucioles ambrées, flocons de mélopée glacée entre des stalagmites en laine de verre ou papier crépon. Enfin, des baleines-brocarts de cinabre et d'or entourées de banc de cotillons écument les vents, nous frôlent et nous portent au loin. Plus haut.
Pentecôte en langues de bleu azur, Ouroboros vermeil et métempsycose dans des champs de draps qui sèchent au vent sous les portes d'air de Shambala. Et même si nous ne faisons que planer, pour un court instant, nous avons l'impression de voler.