L'évasion n'est pas toujours une évasion hors de soi
Une image vaut mieux que des mots. Un chef d’œuvre interactif vaut mieux qu'un long discours sur le potentiel émotionnel du jeu vidéo. Journey ne se contente pas seulement de sublimer la démarche de Flower par son approche intimiste et pacifique, sa sensation onirique de liberté par son interactivité instinctive ou encore son apaisant pouvoir de suggestion plus évocateur que tous les dialogues du monde. Cela il le fait déjà, sachez le. Mais il parvient à véhiculer de surcroît une formidable dimension épique, appuyant en permanence le contraste entre la silhouette fragile de notre personnage et l'immensité du décor qu'il doit surmonter, donnant parfois le sentiment de vivre le Seigneur des Anneaux tel que Tolkien l'aurait imaginé en jeu vidéo. Comme souvent dans les grands récits interactifs, cette sensation de vulnérabilité intensifie l'impact désiré par le Game Design et dans le cas présent, sa composante multijoueur.
Bien étrange et merveilleuse sensation que celle de la coopération dans Journey. En étant privé de communication explicite avec son partenaire, le joueur se tourne naturellement vers la gestuelle de son personnage pour renforcer sa proximité émotionnelle avec l'autre petit être qui entreprend la spectaculaire ascension de cette montagne. Un procédé que j'ai personnellement vécu de la meilleure manière possible en ayant reçu une aide salutaire durant la dernière partie du périple beaucoup plus chargée émotionnellement où un autre joueur a partagé sa connaissance de l'aventure pour me permettre de poursuivre ma route, attendu patiemment lorsque le vent me projetait en arrière avant de virevolter ensemble dans les airs au sein d'un monde d'une créativité visuelle sans précédent. Une démarche qui m'a fait ressentir plus d'empathie et de sympathie pour cet autre joueur que jamais auparavant dans un jeu vidéo alors que j'ignorais pourtant jusqu'à son nom.
Il serait possible de continuer encore longtemps dans divers superlatifs mais ce serait vous faire perdre du temps, temps que vous pourriez consacrer à découvrir directement ce formidable chef d’œuvre dont la puissance onirique est telle que je ne saurais lui rendre justice avec de simples mots. Sachez simplement que Journey n'a pas seulement condensé en une poignée d'heures plus de sentiments humains que je n'en ai ressenti dans des dizaines d'autres jeux mais qu'il a offert au média interactif son plus beau message d'espoir et d'apaisement donnant envie de regarder l'avenir de l'humanité avec moins de peur.