Leibniz aurait joué à LOL
Le meilleur des mondes selon celui qui fut le précurseurs des Lumières est le notre puisqu'il combine un maximum d'ordre, de rationalité à un maximum de liberté, d'accidentalité, de contingence possible.
LOL est de loin le jeu qui ressemble le plus au meilleur des mondes : plus de 110 champions (à l'époque où j'y jouais, je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui) invocables dans une team de 5 innovateurs, contre une autre team de 5 innovateurs. Calculons : nous avons donc 5x110^110, soit 1.79x10^225 gameplays différents possibles, soit un nombre, qui pour notre courte vie se rapproche dangereusement de l'infini, une partie durant plus ou moins 45 minutes. Tout s'y comprend, tout s'y analyse, rien n'arrive dans ce monde sans une cause (et les miracles qui peuvent s'y produire s'expliquent par le fait que vous jouez en face d'un enfoiré de shitteur), et pourtant, les causes sont si infinies que les événements possibles sont innombrables et la variation y est continue, bref, on ne s'emmerde que rarement !
Le problème de League of Légends, c'est que, comme dans notre monde à nous, la liberté possible que renferme le jeu n'est pas exploitée. En effet, un moutonisme chronique guide la masse qu'est la communauté du jeu vers des champions en vogue, ceux qu'à un moment donné on qualifie "d'OP", moutonisme qui se complète par une ruée sur les nouveaux champions dans une démarche, peut être inconsciente de regardez-moi-j'ai-le-porte-feuille-bien-rempli. Résultat : on joue toujours contre les mêmes champions dans la frustration de ne pas pouvoir pousser au bout la richesse des prédicats (terme de Leibniz qu'on pourrait traduire par "facultés ") que notre champion renferme. L'individualisme est autant présent dans le jeu que dans le monde réel et on se bouscule pour invoquer des champions qui sont censés faire un bon nombre de kills. Et bim, au lieu d'avoir une bonne team constituée de chacun qui joue son rôle à la perfection, on se retrouve avec 3 glandus qui squatent la midlane et qui ont trop d'ego pour se résoudre à emprunter une autre lane. Et lorsque les concepteurs, qui sont l'équivalent leibnizien de Dieu, ou bien de l'Etat dans une philo politique, lance un système qui permet enfin d'avoir de bonnes équipes et l'exploitation possible de toutes les libertés qu'offre le jeu, la grande majorité lui préfère le bordel monstrueux de l'ancien, quitte à se faire bouffer sa jungle par quelqu'un de sa propre équipe !!
Replions-nous donc sur le jeu en solo contre des bots. Mais le bot est une version LoLoise d'un individu sans âme. Il est subordonné à un programme qui lui interdit toute marge de liberté. Aucun accident avec un bot puisqu'il joue à la perfection (j'entends par perfection qu'il est au maximum de ce que sa liberté lui permet, en l'occurrence pas grand chose). La richesse de LOL réside donc dans le fait que, puisque le jeu est un MMO, je joue contre un champion guidé par un individu réel, donc avec une âme; et que ce champion est capable de me surprendre en tant qu'il exerce sa liberté. Cependant, le moutonisme chronique se substitue encore une fois à la liberté du joueur qui se précipite sur millénium.com pour voir le comment. Mais en cherchant le comment sur un site, le joueur ne peut aboutir qu'à une version générale du comment, tandis qu'en cherchant par lui-même le comment (en expérimentant différents stuffs, en boostant différentes compétences..) il pourrait constituer son propre comment, son propre gameplay et serait en mesure alors d'étonner l'adversaire. En effet, la grande majorité des Tristanas se forme en Carry AD alors qu'on peut tout à fait concevoir une Tristana Carry AP. La grande majorité des Tristanas n'exploite pas les libertés possibles du champion et peu se risque au magnifique combo z+r afin de passer par dessus la tête du champion adverse et de l'envoyer directement sous la tourelle afin qu'il se fasse b.. comme il se doit !
Chaque champion renferme donc un grand nombre de prédicats (de facultés) qui sont plus ou moins exploités (plutôt moins que plus, comme nous venons de le voir) par leurs invocateurs, mais la plupart d'entre ces derniers oublie d'exploiter un prédicat majeur de leur champion : le jeu d'équipe. En effet, le champion est invoqué au sein d'une équipe et s'en souvenir est le premier et le plus fondamental des pas vers la victoire. Il est bien plus intéressant de laisser son Carry AD prendre les kills et se comporter en vrai support plutôt que faire le gros gamin et multiplier les KS alors qu'on n'en a pas besoin, contrairement à d'autres. Mais Riot Games est à l'image de Dieu : il ne remercie pas, ni ne valorise ceux qui prennent conscience de cet impératif qu'est le jeu d'équipe, tout comme la société ne les valorise pas dans le monde réel. Arrêtons donc de chercher la grandeur dans l'exploit, cherchons là en ne se soustrayant plus à notre appartenance à une communauté, à une team, mais en revendiquant cette appartenance par un gameplay qui fera gagner l'équipe et non pas un qui nous placera en tête du classement de fin de game pour ensuite pouvoir se la péter bien comme il faut et dire qu'on a perdu à cause d'une bande de noobs (qu'on a littéralement envoyé se faire foutre en jouant solo) et se faire honorer par l'équipe adverse.
LoL est donc un jeu magnifique mais dont la communauté présente exactement le même problème que la population humaine : un manque cruel d'originalité combiné à un individualisme exacerbé. Le résultat est déplorable : la liberté que le jeu offre est considérablement réduite par le moutonisme chronique de sa communauté ainsi que l'ordre qui y est établi puisqu'à la possibilité d'une belle game où chacun remplit son rôle de la meilleure façon qui soit, se substitue un foutoir pas possible de personnes incapables de s'écouter les une les autres.
Ce monde n'est pas virtuel, ce monde, c'est le notre.
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