« J’aimerai avoir le pouvoir de changer les choses pour le mieux »

« Les jeux narratifs sous format épisodique ça marche bien ces dernières années ? Bon alors, vous les petits frenchies derrière Remember Me, vous êtes plutôt talentueux et vous n’avez pas de licence rentable sur laquelle bosser, alors vous allez m’en faire une nouvelle avec ce concept ! » Dis comme ça, on pourrait croire à un énième clone pas inspiré d’un concept qui a su plaire au grand public à un moment donné, principalement sous l’impulsion de Telltate au début des années 2010, appelant un éditeur en quête de sa part de gâteau sur ce marché bien précis. Mais j’ai déjà vu des a priori clones d’un concept proposer une solide alternative à leur modèle de base, voire les surpasser, alors je me suis lancé dans ce Life is Strange en espérant me retrouver devant ce cas de figure. Je vous propose pendant cette lecture l’écoute du très relaxant To all of you que l’on peut entendre dans le prologue du premier épisode.



GAMEPLAY / CONTENU : 6 / 10



Life is Strange repose sur un principe que je trouve absolument génial, un jeu narratif sous format épisodique façon Telltate Game dans lequel notre avatar a le pouvoir de remonter le temps à chaque moment. En fait, on a toujours ce pouvoir dans ce genre de jeu, à tout moment on peut charger une sauvegarde précédente pour modifier un choix selon les conséquences qu’on a pu voir, mais seul nous joueur le savons, notre avatar n’intègre pas cette logique évidemment. Là c’est le cas, elle sait qu’elle peut manipuler le temps et d’autres personnages aussi peuvent le savoir. Que l’idée soit géniale c’est une chose, mais est-ce que je l’ai trouvé bien exploitée ?


Pour être tout à fait honnête, pas toujours. Autant j’ai adoré la possibilité d’obtenir une information, de revenir dans le passé et de me servir de cette information pour obtenir une réalité alternative qui me convient mieux, j’ai bien aimé l’idée de puzzles à résoudre à partir de cette faculté puisque ça ouvre la voie à pas mal d’originalités, j’ai apprécié les quelques petits jeux de mémoire comme avait pu le faire en son temps Heavy Rain où il faut se souvenir de petits détails qu’on vient de voir dans un game-design très proche... Mais les collectes d’objets dans un environnement clos, comme le ramassage de bouteilles dans l’épisode 2, sont vraiment sans intérêt et les différentes phases de jeu ne sont pas toujours très bien réparties avec énigme sur énigme par exemple.


On peut avoir par exemple 3 chapitres dans un épisode et tout un chapitre basé sur une seule mécanique de jeu répétée dans un même environnement, c’est assez maladroit alors que si on enchaînait des séquences de jeu plus courtes, sans qu’elles ne soient spécialement plus diverses ou mieux élaborées, je pense que ça serait mieux passé. On sent qu’il y a un certain manque de maîtrise à ce niveau-là et même dans un jeu essentiellement narratif, c’est important. On ne fait pas que suivre des dialogues et prendre des décisions, on a des véritables phases de jeu à part entière et si celles-ci peuvent être intéressantes, elles ne sont pas toutes réussies ou bien réparties, en plus de parfois nuire au rythme du récit mais c’est un autre problème.


Elles peuvent aussi être un peu trop dirigistes, j’ai plusieurs fois eu le sentiment que le jeu mettait des barrières un peu partout pour que je fasse les choses uniquement comme c’est entendu que je les fasse et il y a assez peu de phases de jeu facultatives ou différentes façons d’en mener une à bien. Par exemple, dans une phase de réflexion, là où je pourrai contourner un obstacle de 3 ou 4 manières assez facilement et vraisemblablement, le jeu m’impose sa façon dans un premier temps parce que c’est comme ça que se déclenchera le script suivant qui m’amènera ensuite à essayer une deuxième façon tout aussi imposée, indisponible tant que je n’avais pas essayé et manqué la première. C’est un peu dommage.


Sinon, pour ce qu’il s’agit du contenu il faut admettre que les développeurs sont relativement généreux avec des épisodes qui atteignent facilement les 3 heures sans trop se gonfler artificiellement de contenu sans intérêt la plupart du temps, ce qui est tout de même honnête vu les normes du genre et le modèle économique. Enfin, il manque à mon sens trop de maîtrise sur des points assez élémentaires pour que je ressorte vraiment satisfait de la dimension ludique de Life is Strange, qui est tout de même loin d’être une catastrophe d’autant que ça tend à s’améliorer d’épisode en épisode. Voyons ce qu’il en est sur un plan plus narratif, le cœur du sujet de ce genre de jeu évidemment.



SCENARIO / NARRATION : 6 / 10



L’idée de base du scénario et la manière dont il évolue fait énormément penser au film L’Effet Papillon. Je ne veux pas trop en parler parce que ça spoilerait beaucoup le film mais je pense que ça a été la source d’inspiration principale des développeurs qui ont réinventé ce pouvoir de remonter le temps du point du vue du protagoniste. Cette mécanique de jeu de base a néanmoins une énorme incohérence scénaristique qu’ils n’ont pas réussi à éviter, quand on remonte le temps on ne le remonte qu’autour de nous, on ne suit pas nos mouvements (dès que vous essayez vous comprenez tout de suite le problème) ce qui nous donne l’étrange capacité de nous téléporter et de causer plein de paradoxes temporels assez évidents, le principe de causalité est ignoré aussitôt que ça arrange les développeurs.


C’est dommage, je sais que pour certains ça a foutu en l’air la crédibilité du truc, moi j’ai fini par ignorer ce problème mais clairement c’est mal foutu il faut le reconnaître et d’autres incohérences et maladresses d’écriture plus mineures peuvent entacher le récit ici et là. Heureusement, le jeu peut compter sur d’autres choses que cette excellente idée pas toujours bien utilisée : ses personnages avec en tête l’héroïne Max. Dans ce genre de jeu focalisé constamment sur le point de vue de notre avatar, dont on ne cesse d’entendre les pensées, à travers laquelle on vit tous les événements... qu’on trouve ses réactions cohérentes et son histoire attachante est primordiale et là c’est vraiment le cas.


C’est subjectif bien sûr mais j’ai trouvé la protagoniste Max très bien écrite, doublée et mise en scène, tous les personnages autour d’elle sont variés et s’avèrent souvent un peu plus profonds qu’on ne pourrait le croire, ils ne restent pas dans leur stéréotype et je me suis attaché à beaucoup d’entre eux en ayant la possibilité de faire ce que j’avais en tête avec Max 9 fois sur 10. Certes, cet univers teenage ainsi dépeint ne plaira pas à tout le monde, voire pourra même vous insupporter, mais les thématiques qu’il justifie (cyber-harcèlement, pression sociale, apparence physique, identité sexuelle…) sont pertinentes et bien traitées à mon sens, donc c’est un choix qui me va sans problème.


Malheureusement, Chloé, second personnage du récit, m’a été largement insupportable par son comportement très puérile et immature sur beaucoup de scènes et ça a créé un décalage à certains moments où Max là considère comme sa meilleure amie alors que je n’arrivais pas à comprendre ce qui les rapprochait à ce point, même si je vois bien pourquoi ils ont fait ça. La qualité du scénario est très irrégulière, parfois sympathique, parfois ennuyeux, parfois incroyablement émouvant et surprenant. Car oui, il y aussi des moments dans cette première saison de Life is Strange qui figurent parmi ceux qui m’auront procuré le plus d’émotions dans ma vie de gamer, et une fin qui fut un twist bien fichu à un moment où je me disais que le scénario était un peu trop prévisible. J’ai d’abord été dubitatif devant cette fin avant de la comprendre différemment et je la trouve au final très intelligente :


Max doit choisir entre ce qu’elle veut faire idéalement sans pouvoir réellement l’accomplir et au mépris des autres, un comportement assez puérile et égoïste typique de Chloé elle-même ; ou alors accepter une dure vérité et prendre ses responsabilités en faisant ce qui est réaliste et juste, un comportement très mature et altruiste qui lui ressemblerait plus. La thématique centrale du jeu c’est le passage à l’âge adulte et cette fin y revient très pertinemment, même si la fin où l’on choisit de sauver Chloé est assez étrange et plutôt incohérente à mon sens, ça sanctionne d’une certaine façon notre comportement donc j’ai envie de dire que ça passe.


Sinon, les références à la pop culture sont extrêmement présentes, ça manque un peu de subtilité la plupart du temps mais ça pour le coup ça ne m’a pas dérangé, au contraire de ce point de vue je suis plutôt un public facile et apprécie qu’on évoque au détour d’un dialogue un film, une série... que j’aime bien, même si c’est gratuitement. En somme, ça m’est très compliqué de juger le scénario de Life is Strange qui combine des qualités grandioses avec une protagoniste très charismatique, des moments d’une terrible intensité émotionnelle, une fin très intelligente qui conclut très pertinemment le cœur du propos... et des grosses et nombreuses maladresses et incohérences dans un rythme très irrégulier pour un jeu qui met tant l’emphase sur sa narration. Heureusement, une partie du jeu a quant à elle mon approbation plus certaine, la réalisation et l’esthétisme.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10



Pour un jeu de 2015, j’ai été tout d’abord assez refroidi par les textures très grossières, les visages peu détaillés, les aires de jeu assez petites, des effets de particules très cheaps... ce n’est clairement pas une nouvelle référence technique, c’est même très moyenne gamme pour un jeu édité par Square Enix. Bon après, on peut le relativiser puisque le jeu est certes assez faible compte-tenu de son époque mais il est optimisé de façon à ne jamais avoir de baisses de framerates, d’apparition tardive de textures... ce qui est sans doute le plus important et qui ce qui fait que je ne le sanctionnerais pas plus que ça. Et puis la technique ne fait pas tout, l’esthétisme rentre aussi en jeu.


Cet univers teenage avec ce fil rouge artistique qu’est la photographie est très bien rendu, les effets de flou exagérés qui imitent les photos, les contours des silhouettes sélectionnées comme si elles étaient crayonnées, la police d’écriture un petit peu stylisée... le jeu arrive à avoir une certaine identité visuelle assez appréciable qui colle assez bien avec son univers. Ce n’est pas du grand art, mais ça permet de compenser tout de même les carences techniques qui encore une fois font juste jeu moyenne gamme, loin du ratage complet. Et s’il y a le visuel d’une part, il y a la bande-son d’autre part, et là c’est déjà bien plus réussi.


Les musiques chantées suffisent presque à elles seules à rendre l’expérience très plaisante, ma musique préférée est celle que j’ai mis en lien en début de critique. Ces moments où l’on peut simplement se poser et admirer les environs paisiblement sont particulièrement réussis grâce à cet accompagnement musical par exemple, surtout quand on peut y contribuer. Dans le premier épisode, on peut par exemple s’asseoir, jouer de la guitare, et/ou mettre de la musique sur la chaîne-hi-fi, pour construire nous-même cette petite ambiance un peu comme on le veut, c’est vraiment très sympa dans l’idée.


Bon après il faut relativiser un point, c’est que beaucoup de ces musiques n’ont pas été conçues spécialement pour ce jeu, 14 sur 22 sont reprises de façon identique d’albums déjà existants. Néanmoins, les musiques composées par Jonathan Morali sont tout à fait satisfaisantes et le jeu parvient à conserver une certaine cohérence dans son style musical malgré tous les artistes dont il reprend le travail et souvent assez pertinemment, ce qui fut d’ailleurs l’occasion pour moi d’en découvrir certains dont je suivrai le travail par la suite. La composition musicale est donc très efficace et c’est ce qui compte.


Si techniquement le jeu est assez moyen et si ses musiques sont pour beaucoup simplement reprises à l’identique, le jeu parvient à dégager une ambiance très agréable de par un esthétisme assez bien pensé et un accompagnement musical du plus bel effet dont le jeu sait faire profiter. C’est vraiment ce genre d’ambiance qui n’est pas incroyable, qui n’est pas spectaculaire, mais qui fait que de façon assez indescriptible, tu te sens bien devant ton écran à apprécier poser la manette pour juste en profiter le temps que tu souhaites avant de reprendre le cours de ta partie détendu.



CONCLUSION : 6 / 10



Life is Strange est techniquement à la rue, souffre de grosses incohérences, impose un rythme comprenant des moments d’ennui bien prononcés mais il est aussi un concept très intéressant, une excellente protagoniste, une ambiance plaisante et des moments d’émotion et de suspense mémorables... Si j’en fais une analyse aussi objective que possible, je suis obligé d’en limiter la note et c’est ce que je fais maintenant avec le recul, mais si je me fie à mon ressenti subjectif en oubliant ses défauts, je dois reconnaître avoir vécu une très belle expérience que je vous recommande, en dépit de tous les défauts citées précédemment, en espérant que vous saurez en faire abstraction.

damon8671
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le 2 juil. 2016

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damon8671

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