Not all those who wander are lost
J'avais oublié à quel point les séries non terminées étaient frustrantes. Il suffit qu'elles soient un minimum prenantes, qu'elles dessinent un univers, ou une trame, ou des personnages bien construits - ou au moins avec un bon potentiel - pour créer cette envie de plonger à fond dedans et de n'en sortir qu'une fois qu'on aura tout vu, tout assimilé, tout dévoré. La suite ou la fin confirment ou non ces premières impressions, mais en tout cas, le fait est là : un épisode bien fait, c'est un épisode frustrant. C'est vrai avec les séries télé, donc c'est vrai avec les jeux vidéo. *En particulier* avec les jeux vidéo : les épisodes sortent avec plusieurs mois d'intervalle.
Et c'est dur d'attendre tout ce temps avec des jeux de la qualité de Life is Strange. Il s'agit donc d'un jeu vidéo épisodique comme Telltale a si bien su les démocratiser : la saison dure cinq épisodes et pour l'instant, seul le premier est sorti. C'est donc sur celui-ci, intitulé Chrysallis, que va se concentrer ma critique - pour l'instant. Attention, spoilers minimes, mais spoilers quand même.
Life is Strange nous met dans la peau de Max, jeune apprentie photographe au lycée de Blackwell qui passe une bien sale journée : d'abord ce cauchemar à propos d'une tempête qui va ravager la ville, et maintenant cette fille qui se fait assassiner dans les toilettes par un élève un peu instable. Mais tout dérape vraiment juste après cet accident malheureux, quand Max se réveille pour la deuxième fois de la matinée dans sa salle de classe et qu'il se passe exactement la même chose que la fois d'avant. Elle a remonté le temps.
L'ensemble de l'épisode se construit autour de la découverte de cette étrange capacité : on pousse le joueur à jouer avec à fond, à en profiter pour espionner les conversations ou les placards des gens sans avoir l'air d'y toucher, à tester toutes les réactions des gens pour trouver la meilleure manière de développer un dialogue pour parvenir à ses fins. Le jeu se paye le luxe de rajouter un peu de tension face aux choix importantes, laissant au joueur tout le temps qu'il veut pour se décider, absolument touuuut le temps... Et toutes les connaissances, aussi, puisqu'on peut savoir exactement ce qu'il va se passer si on prend l'autre décision - au moins à court terme. Dit comme ça, la chose n'a l'air de rien, mais je la trouve en réalité extrêmement intelligente : puisque le joueur répond en connaissance de cause, il endosse la responsabilité de ses choix jusqu'au bout. La petite pointe de "J'aurais pu faire que les choses se passent autrement" est plus présente que jamais, et si les décisions à prendre lors de cette introduction ne sont pas forcément les plus déchirantes (encore que ça se discute), nul doute que l'avenir nous réserve pas mal de surprise en la matière.
A ce gameplay classique de jeu Telltale auquel s'ajoute une mécanique nouvelle fort bienvenue, les développeurs greffent un univers construit, intelligent et réaliste, bourré de références partout à la culture SFFF (Science Fiction, Fantasy, Fantastique). Je dis bourré de références, je devrais dire saupoudré de clins d'oeil : elles sont nombreuses mais pas invasives, et surtout elle viennent draper le monde d'une couche vivante. C'est, je crois, ce que j'ai préféré pour l'instant dans ce jeu : la qualité de l'écriture et la cohérence de l'univers en font un monde qui possède une vie propre, qui se déroulera (et qui se déroule pendant qu'on joue d'ailleurs) quoi qu'il arrive sans qu'on y change quoi que ce soit. C'est un monde intelligent où chaque détail est utile et pensé pour lui permettre d'exister, tout simplement. C'est un régal de se promener et de découvrir de nouveaux détails, de lire le carnet de Max et de regarder tous ses dessins et ses collages, de traquer les photos à prendre dans le campus, bref, de naviguer là-dedans. A cela s'ajoute une direction artistique que j'ai trouvé plaisante, avec un chouette travail sur les lumières et une documentation manifeste concernant les petits campus américains.
Bref, Life is Strange est une bonne trouvaille. Il y a des défauts bien sûr, mais ces défauts sont inhérents au genre tel que défini par Telltale ces dernières années : un gameplay d'exploration un peu rigide, une impression de film interactif, un découpage frustrant de l'histoire en épisodes. C'est dommage, et ce serait bien que ce type de gameplay évolue vers quelque chose d'un peu moins pesant et d'un peu plus fluide peut-être ; toujours est-il que de mon côté, j'adhère complètement à ce genre "d'aventure interactive dont vous êtes le héros", surtout quand l'écriture et le travail sur l'ambiance sont d'aussi bonne qualité !
Donc si vous avez déjà apprécié les jeux de ce type (The wolf among us pour ne citer que lui), je vous recommande plutôt chaudement de vous essayer à Life is Strange !
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