Je comprends parfaitement l'attachement des joueurs envers la série des Yakuza : leur emphase sur les dérives sociales du Japon, leurs scénarios aussi complexes qu'invraisemblables qui s'apparentent souvent à du catch IRL, la mise en scène grandiloquente durant les moments emblématiques et la prolifération de mini jeux aussi inventifs que loufoques.
Ce que je parviens néanmoins beaucoup moins à comprendre, c'est la tolérance totale dont bénéficie encore cette série dans la stagnation régulière de sa formule, en dépit de sa production constamment abondante depuis à présent vingt ans : les mêmes environnements à chaque nouvel opus (déjà quelque peu redondants à explorer au bout d'une quarantaine d'heures), les mêmes mécaniques d'un système de combat fun au premier abord mais lassant et trop imprécis sur le long terme, la même structure narrative avec cette parlotte interminable qui découlera obligatoirement sur des affrontements ponctuels où les personnages prendront une posture menaçante avant d'enfin cesser de déblatérer leurs menaces, les mêmes quêtes secondaires désespérément cheap sans doublages ou mise en scène associée et enfin ce même manque permanent de rythme dans l'ensemble de l'aventure. Une fois ça peut passer, deux fois ça commence à agacer, trois fois ça devient chiant, quatre fois ça énerve vraiment et cinq fois, n'en jetez plus, la coupe est pleine et c'est un peu mon cas malheureusement. J'avais adoré l'expérience de Yakuza 0 malgré les écueils déjà mentionnés mais celle de Yakuza Kiwami m'avait laissé de marbre; j'avais adoré la parodie JRPG de Yakuza 7 mais le rythme n'en demeurait pas moins effarant et l'histoire un peu trop encline au mélodrame à mon goût (d'autant que sa composante sociale se voulait surtout grotesque et pas vraiment subversive); j'avais trouvé plaisante la première proposition de Judgment mais ce Lost Judgment m'est très rapidement tombé des mains.
La trop grande similitude avec les Yakuzas habituels était déjà un reproche que je pouvais adresser au premier volet mais ce dernier avait néanmoins pour qualité de proposer une ambiance assez captivante, parfois même occasionnellement glauque, et une intrigue policière de qualité avec un mystère intriguant à résoudre. Enfin à résoudre surtout pour le personnage principal car la réflexion du joueur n'était malheureusement guère sollicitée durant l'accomplissement de l'enquête, le récit déroulant une structure d'une linéarité éhontée à tel point que même les choix de dialogues se révélaient factices puisqu'il était toujours imposé de sélectionner la réponse adéquate pour poursuivre la discussion. Même rengaine pour les séquences d'investigation avec ces indices à collecter en intégralité quand bien même le déroulement logique de l'action a déjà été décelé depuis un bon moment par le joueur; à cette formule peu fameuse et largement sujette à amélioration, Lost Judgment ne peaufine absolument rien et ne rajoute que des séquences d'escalade dirigistes (évidemment) et laborieuses qui succèdent à des séquences d'infiltration dirigistes (ÉVIDEMMENT) et encore plus laborieuses. Le créateur de la franchise, Toshihiro Nagoshi, avait certes toujours assumé l'accessibilité de sa licence visant un public d'adultes pouvant aisément prendre le jeu en main après une durée journée de travail, y compris donc par rapport à sa relative facilité pour un jeu vidéo Japonais, mais il est tout de même regrettable d'avoir à ce point le sentiment de regarder une série télévisée vaguement interactive au lieu de participer pleinement à son déroulement. Bref un jeu d'enquête qui n'en a encore une fois que le nom et dont le seul intérêt par rapport à la concurrence est son cadre d'action assez dépaysant dans le genre même si malheureusement, nous sommes toujours en présence d'un jeu Beat Them All où les Yakuzas attendent encore de se faire tabasser à chaque coin de rue (oui j'avais oublié de mentionner l'harcèlement des combats de rue comme écueil récurrent de la franchise également :) ).
Dépaysant...Tout du moins dans le précédent titre car le jeu tente un changement d'ambiance assez radical dans cette suite (et plutôt louable pour le coup) sans fluctuer pour autant d'un iota sa mécanique de gameplay : Yagami se retrouve à mener une investigation au sein d'un lycée privé et se voit amené à intégrer un club de mystères en consultant externe afin de légitimer sa présence sur les lieux. Vous l'avez sans doute déjà devinés, notre beau gosse deviendra vite le gardien protecteur des adolescents en détresse, d'autant que les affaires de harcèlement se multiplient dans l'établissement déjà encombré d'une lourde réputation en la matière depuis le suicide d'un de ses élèves, quelques années auparavant. Une idée originale et intéressante sur le papier; la pression exercée dans le milieu scolaire étant une thématique récurrente de nombreuses œuvres Japonaise (Silent Voice ou March Comes in Like a Lion dernièrement) mais malheureusement pas spécialement finaude dans le cadre de ce Lost Judgment, pour ne pas dire franchement embarrassante par moments : les adultes déblatèrent soudainement des discours de sociologie ou même carrément de biologie pour expliquer l'attitude des individus en groupe et les moqueries malsaines infligées aux marginaux tandis qu'ils installent d'entrée de jeu des caméras (What the hell?) dans les couloirs pour épier les fauteurs de troubles; bon, le Japon n'est pas spécialement avant-gardiste par rapport aux bouleversements sociaux de ce vingtième-un siècle (et parfois tant mieux, j'ai envie de dire) mais j'avoue avoir été un peu décontenancé de la maladresse avec laquelle le jeu aborde par moment son sujet; lourdeur d'autant plus accentuée qu'en parallèle, il ne change donc absolument pas sa sempiternelle formule, même si elle s'avère assez risible dans le cadre présent : les interminables parlottes se succèdent donc aux inévitables séquences de combat où Yagami va donc se retrouver à péter la gueule de ses maudits voyous désobéissants, parce que quand même faut pas déconner la baston c'est important, avant que la seule enseignante du coin visiblement douée de raison ne vienne le sermonner vivement, Yagami ne cessant de s'étonner de sa froideur à son égard (il est incarné par une star après tout et Lost Judgment prend bien garde à ce que le joueur ne l'oublie pas).
Bref, GTO sans l'humour ou les excentricités d'Onizuka mais avec autant de bourrinage dans le propos, malgré le ton beaucoup plus premier degré que le récit voudrait adopter. :p Un choix un peu particulier qui ne m'a clairement pas convaincu alors que le reste de la formule Yakuza était déjà essorée à l'extrême. Désolé Yagami mais le reste de l'enquête se fera sans moi; et désolé Yakuza, mais à part peut être le prochain Ishin! et son enthousiasmant décor de Samouraïs, je pense que je passerais mon tour pour la prochaine fois.
En Occident, Assassin's Creed a été légitimement conspué pour sa redondance créative et interactive mais la franchise d'Ubisoft fournissait pourtant bien plus d'efforts pour renouveler son contexte géographique / historique et même ses propositions de gameplay; peut être ne suis je pas assez sensible à la touche personnelle des Yakuzas pour tolérer leur stagnation structurelle depuis maintenant deux décennies mais même une bonne soupe devient quelque peu redondante quand elle est resservie pour la cinquième fois. Et j'avouerais qu'en dépit des nombreux comparatifs un peu irréfléchis entre les deux licences, la démarche de Shenmue, elle, m'interpellait bien davantage car la lenteur n'y était certainement pas auréolée d'un tel remplissage boulimique pour alimenter un contenu pas toujours de grande qualité.